Charles Goerens: Le Luxembourg n'est pas en guerre

Le Jeudi: "Le Luxembourg sera-t-il également en guerre en cas de déclaration de guerre unilatérale des Etats-Unis?"

Charles Goerens: "Non. Il n'y participera en aucune manière."

Le Jeudi: "Et si les Etats-Unis demandaient de l'aide..."

Ch. G.: "Vous faites référence au cas de figure de l'article 5, l'article dit du casus belli, celui où un allié ferait l'objet d'une attaque venant de l'extérieur. Auquel cas il faudrait identifier cette attaque, voir qui est l'agressé et qui est l'agresseur, et puis se mettrait en route tout le processus de consultation prévu par l'article 4 pour déboucher sur une décision politique du type article 5."

Le Jeudi: "On ne voit pas très bien dans cette guerre comment un des alliés du Grand-Duché pourrait être l'objet d'une telle attaque."

Ch. G.: "Il faut raison garder et dire que ce cas de figure n'a pour l'instant pas de raison d'être."

Le Jeudi: "Comment a-t-on pu en arriver là? Qui est responsable. d'après vous, de l'échec de la diplomatie mondiale?"

Ch. G.: "Tout simplement ceux qui ont fermé la fenêtre diplomatique. Qui se sont mis en dehors du processus de consultation qui a été interrompu, ce qui est une décision fort regrettable. Ce n'est pas le Luxembourg qui en porte la responsabilité."

Le Jeudi: "Les Etats-Unis?"

Ch. G.: "Ceux qui se sont refusés à accepter la poursuite du dialogue au sein des Nations unies."

Le Jeudi: "Comment qualifier une déclaration de guerre qui se fait en dehors des Nations unies?"

Ch. G.: "C'est extrêmement regrettable. Ce n'est que dans le cadre de fortes alliances, respectivement d'institutions qui ont à la base de leur fonctionnement le respect des principes de légalité, la primauté du droit, que nous avons pu asseoir notre sécurité et notre prospérité.

En dehors d'un tel cas de figure nous avons toujours eu des problèmes. Si, par contre, nous sommes partie prenante de ce processus respectueux des règles que je viens d'évoquer, tous les espoirs sont permis. Pour nous c'est extrêmement vital. Tout un chacun, à un moment ou à un autre, a besoin de ses partenaires. Et a un intérêt primordial à ce que ce respect de la primauté du droit prévale."

Le Jeudi: "Que diriez-vous au président Bush si vous l'aviez au bout du fil?"

Ch. G.: "Je crois que la probabilité d'avoir Bush au bout du fil est nulle. C'est aussi peu probable que si le chancelier Schrôder arrivait à lui téléphoner."

Le Jeudi: "II refuse de vous parler?"

Ch. G.: "Dans le cas de Schrôder c'est un refus, dans le nôtre c'est tout simplement une habitude qui ne s'est pas prise. Non, je lui dirais simplement que, dans la globalisation qui est en train de se développer, nous avons un intérêt à nous doter de quelques repères très solides: le droit, les corollaires qui découlent de la primauté du droit, donc des institutions qui fonctionnent selon des règles et des principes respectés par tout le monde. Nous avons intérêt à ce que les grands défis qui marquent la globalisation soient traités dans cet esprit."

Le Jeudi: "Et l'Europe dans tout cela? Sommes-nous face à un champ de ruines?"

Ch. G.: "L'Europe doit faire l'inventaire de ses propres faiblesses. Et ces faiblesses sont de taille. Elle doit aussi faire l'inventaire des occasions ratées. Je rappelle au passage qu'au début des années 90, lorsque la discussion s'était une fois de plus engagée sur la question de savoir s'il fallait se diriger vers une confédération ou une fédération, on n'a pu se mettre d'accord ni sur l'une ni sur l'autre. La même question s'était déjà posée.

A l'époque le chancelier Kohl était prêt à sacrifier le mark pour obtenir en échange une Europe politique. Une Europe susceptible de dégager des décisions à travers un processus décisionnel issu d'un abandon de souveraineté des Etats membres.

Que ceux qui l'ont refusé à l'époque ne viennent pas nous verser des larmes de crocodile aujourd'hui. Je me rappelle toutes ces discussions avant Maastricht et tous ceux qui prédisaient la fin du monde dès lors qu'on était appelé à abandonner des bribes de souveraineté. Si l'on avait ce processus décisionnel aujourd'hui, avec une majorité qualifiée qui serait la règle pour fixer les grandes orientations, les grandes décisions politiques, on serait plus loin.

L'Europe ne peut pas ne pas refaire cet examen de conscience. Il ne suffit pas de colmater les brèches. Je crois qu'il faut vraiment s'exposer à l'examen de fond de cette question et voir comment on va s'organiser. Aux Nations unies, si tous ceux qui ont un siège soit permanent soit temporaire ne se consultent pas, s'il n'ont pas un mandat clair de l'Europe, la démonstration de la pluralité des points de vue des Etats membres de I'UE est la règle. Si la Convention veut avoir une raison d'être, il faut qu'elle trouve une solution à ce problème."

Le Jeudi: "Qui dit politique dit aussi militaire..."

Ch. G.: "Si l'Europe veut peser davantage dans les discussions internationales, il faut qu'elle sache au moins régler des conflits du type: dispute sur une île espagnole à proximité de la côte marocaine... On ne peut pas non plus attaquer les Américains pour leur politique au Kosovo, si l'Europe a été incapable de faire quoi que ce soit. Pour que l'Europe puisse au moins gérer les conflits à sa périphérie, il faut qu'elle se dote de quelques moyens."

Le Jeudi: "Que dire aux Luxembourgeois qui s'inquiètent des conséquences de la guerre?"

Ch.G.: "Il faut leur dire que nous sommes très dépendants de ce qui se passe à l'extérieur. C'est dans ce genre de circonstances que nous nous apercevons que nous sommes très, très petits. Et puis, il ne faut pas se lasser de donner des impulsions politiques pour que les règles du jeu soient plus claires, plus contraignantes pour tout un chacun."

Le Jeudi: "II y en a sans doute chez nous qui s'inquiètent des conséquences directes de cette guerre. Avez-vous pris des mesures pour qu'ils se sentent en sécurité?"

Ch. G.: "Nous ne vivons pas dans un monde inodore, incolore, insipide et aseptisé, mais dans un monde dont la santé individuelle est conditionnée par la santé collective. Nous avons intérêt à nous entendre sur quelques règles élémentaires comme la primauté du droit. De toute manière, on ne pourra pas tabler sur un monde plus serein si le fossé qui continue à séparer riches et pauvres s'agrandit sans cesse. C'est "la" réponse aux défis qui nous entourent."

Le Jeudi: "Le Luxembourg est-il menacé aujourd'hui?"

Ch. G.: "Pas directement, du moins d'après les informations dont nous disposons. Il faut rester vigilant, mais il faut dire aux gens, de grâce, ne vous affolez pas. Si c'est de la sécurité entre nos quatre murs dont vous parlez, je peux être rassurant. Touchons du bois pour qu'il n'arrive rien. Toutes les mesures sont prises pour que ça ne dérape pas."

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