Anne Brasseur: J'ai agi selon mes convictions. Le ministre de l'Education nationale au sujet de la rentrée scolaire

Le Jeudi: "Vous abordez la dernière rentrée scolaire de votre mandat. L'heure du bilan approche et vous n'avez inauguré que deux lycées, décidés par le gouvernement précédent. N'est-ce pas ennuyeux quand on sait que les électeurs ne croient que ce qu'ils voient?"

Anne Brasseur: "II est vrai qu'en ce qui concerne les infrastructures, nous n'avons pas avancé aussi vite qu'espéré. Mais nous avons posé des jalons importants avec le plan sectoriel "lycées", auquel les communes ont répondu dans l'ensemble favorablement dans leurs avis respectifs.

De même, nous avons standardisé les programmes de construction. Nous ne serons plus obligés de recommencer à zéro pour chaque établissement.

Seuls deux lycées sont inaugurés, mais de nombreux projets existent, je pense à l'annexe du Lycée technique du Centre à Dommeldange, à Pétange, à Rédange... Il reste des constructions provisoires, mais même là, la qualité a beaucoup évolué. Mon bilan n'est donc pas négatif."

Le Jeudi: "On vous attendait sur l'offensive de l'éducation, devenue depuis l'offensive des petits pas. Quel est votre bilan personnel?"

Anne Brasseur: "Si on attend un feu d'artifice, ce n'est certainement pas ma conception d'une offensive. Il ne sert à rien de tout démolir sans savoir où l'on va. Les pas sont peut-être petits, mais ils sont nombreux vers un changement de mentalité en ce qui concerne la rigueur et la culture de l'effort.

Faire LA grande réforme et s'arrêter là est inutile, car on est immédiatement dépassé. Mieux vaut créer une structure qui peut évoluer et être adaptée en permanence. C'est ce que nous sommes en train de faire.

Le changement est déjà perceptible au niveau de l'échec scolaire. Les rapports s'améliorent, même si ce n'est jamais assez bien. Ainsi, dans le cycle inférieur de l'enseignement secondaire technique, on passe en quatre ans de 0,67 année de retard par élève à 0,49 année. Multiplié par 10.300 élèves, on arrive à 823 ans en moins!

Pour en arriver là, nous avons imposé des cours de rattrapage obligatoires et relevé la note seuil de 25 à 27 points. Le résultat n'est pas une augmentation de l'échec, mais des élèves plus assidus. Je vais à présent m'attaquer au cycle moyen en exigeant 40 points non seulement comme moyenne générale, mais aussi dans les branches principales. Mon message est qu'il faut travailler pour l'école."

Le Jeudi: "Avez-vous des regrets, des ratés?"

Anne Brasseur: "Dans l'application à l'école, non. Mais je trouve qu'au niveau de l'allégement des programmes, nous n'avons pas assez avancé. Il n'y a toujours pas assez de temps pour la répétition et l'application du savoir."

Le Jeudi: "Votre attitude face à l'enseignement religieux et l'enseignement privé a été très mal perçue. Estimez-vous avoir fait une erreur stratégique?"

Anne Brasseur: "La nécessité d'une éducation morale pour tous les élèves est ma conviction personnelle. La stratégie n'a pas sa place ici. De plus, nous n'avons pas constaté une explosion des inscriptions dans le privé. Quant à l'Ecole internationale, je suis sûre que c'est très important pour la place de Luxembourg."

Le Jeudi: "Avez-vous conscience d'occuper un ministère piège?"

Anne Brasseur: "Je le savais quand j'ai accepté cette charge qui était - et reste - un défi. On ne peut jamais dire que la mission est accomplie. Tout ce que j'ai fait, je 1'ai transposé avec conviction. Que certains ne l'apprécient pas, que ça n'aille pas toujours assez vite, je le comprends.

Je sais aussi qu'on ne parle pas des choses qui marchent, comme l'introduction d'un nouvel abécédaire, salué par tous les enseignants du primaire, mais je préfère qu'il en soit ainsi. L'école a besoin de calme pour accomplir sa mission essentielle qui est de créer une école qui prépare un maximum d'enfants au mieux à la vie."

Le Jeudi: "Face aux problèmes d'intégration et d'égalité des chances - tant montrés du doigt par PISA -, pensez-vous avoir fait tout ce qu'il fallait?"

Anne Brasseur: "Nous avons commencé dès le début, dans le préscolaire, par l'apprentissage du luxembourgeois pour tous. Nous allons d'ailleurs sortir un manuel didactique pour les enseignants. De même, nous avons instauré une nouvelle méthode d'apprentissage de l'allemand comme langue structurée. J'ai bataillé pour faire développer l'apprentissage du français par le biais de la traduction et du vocabulaire. Nous ne sommes pas francophones, nous ne vivons pas dans un bain linguistique. Cela vaut autant pour les Luxembourgeois que les romanophones. Les devoirs à domicile me tiennent aussi à cœur, des devoirs que les enfants peuvent faire seuls ou non. Tout cela vise à réduire le clivage entre les élèves. Le contact avec les parents est aussi très important. Les séances spéciales à destination de la population portugaise, par exemple, ont été un grand succès avec 450 personnes. Nous allons poursuivre l'expérience.

Sans oublier des filières techniques en français, avec de l'allemand allégé, ou le contraire. Dans la formation professionnelle, la langue doit être une chance, pas un obstacle.

Tous ces petits pas sont autant de pièces d'un puzzle pour faire une école plus équitable. Je ne veux pas d'une école spectacle ou d'élèves clients. Je veux une structure qui reconnaît les problèmes et trouve des solutions."

Le Jeudi: "Vous parlez de politique à long terme. Dans combien de temps verra-t-on les effets de votre mandat?"

Anne Brasseur: "On ne peut jamais faire de bilan définitif, dire que la mission est accomplie. Un des indicateurs est le taux d'échec, qui va dans la bonne direction. Je tiens aussi à transmettre une attitude. On a trop longtemps baigné dans l'ère du pédagogisme, de l'absence de limites et de contrôle. On éduquait les enfants pour un monde qui est bien différent de cela. Les jeunes qui connaissaient leurs premiers échecs à l'âge adulte n'y étaient absolument pas préparés.

Il faut être prêt à reconnaître l'autorité de l'école. On ne peut pas tout renégocier tout le temps."

Le Jeudi: "A défaut de mission accomplie, peut-on parler de mandat accompli?"

Anne Brasseur: "Il est trop tôt pour le dire. Il me reste une année scolaire complète et nous allons continuer notre travail. Je resterai sur mes rails car, dans mon for intérieur, je suis persuadée que c'est le bon chemin. C'est une question de conviction."

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