Charles Goerens: Nos destins sont liés pour la sécurité. Le ministre de la Défense au sujet de la défense européenne et de l'Otan

Le Quotidien: Comment jugez-vous la collaboration entre l'OTAN et le Luxembourg?

Charles Goerens: L'OTAN nous permet d'avoir un maximum de sécurité avec un minimum de moyens à mettre en œuvre du fait de la solidarité établie entre toutes les composantes des deux côtés de l'Atlantique.

Est-ce que l'OTAN – en particulier grâce à l'article 5 stipulant une défense collective – a été essentielle pour la sécurité du Luxembourg?

Charles Goerens: Il y a deux articles 5 qui ont été essentiels pour la sécurité du Luxembourg: c'est l'article 5 du traité de Washington d'une part, et l'article 5 du traité de Bruxelles modifié, d'autre part.

Le dernier article 5 est moins connu, bien qu'étant plus contraignant. Il a été en fait le corollaire de l'échec de la politique européenne de défense (FED) à l'issue de l'introduction de la question pénale proposée par Pierre Mendès France en 1954. C'était la fin de la FED et le début de l'union de l'Europe occidentale.

Pourquoi est-ce que je juxtapose ces deux articles? L'article 5 du traité de Bruxelles modifié a donné un plus, une garantie supplémentaire dans la crédibilité du fait de l'engagement de la France. Cela s'est vérifié au lendemain du départ de la France du commandement intégré de I'OTAN.

Considérez-vous que l'OTAN était un instrument de la guerre froide qui aurait dû s'arrêter après l'effondrement de l'Union soviétique au même titre que le pacte de Varsovie en 1991?

Charles Goerens: La création de I'OTAN était une réaction des Européens et des Américains à la Seconde Guerre mondiale. On voulait plus de sécurité. C'était également un moyen de faire respecter par les Allemands des règles acceptées déjà par d'autres, donc de les faire entrer dans la Communauté internationale en créant des liens civilisés entre toutes les composantes.

Au début, cela était conçu, comme disait un diplomate britannique, "pour garder les États-Unis dedans, les Allemands en bas et les Russes dehors". Aujourd'hui, c'est devenu un instrument à très forte tendance inclusive du fait des élargissements successifs qui se sont produits après la fin de la guerre froide.

Mais c'est aussi une organisation qui a compris qu'avec les concepts de la guerre froide, on ne peut plus avancer. D'où la réorientation de la stratégie qui est très nette par rapport au fait que plus personne ne voit venir un danger des pays de l'Est, et notamment de l'Union soviétique qui a cessé d'exister, ni de la Russie qui est devenue un partenaire dans le domaine de la sécurité.

Jusqu'où ira l'expansion de I'OTAN?

Charles Goerens: Six mois avant le second élargissement, on ne savait pas jusqu'où cela pourrait aller. On s'est finalement entendus pour étendre I'OTAN à sept nouveaux pays. Il est prématuré de spéculer sur d'autres adhésions. Certains pays des Balkans ont une vocation naturelle à adhérer à I'OTAN, dans la mesure où ils s'intégreront aussi à l'Union européenne.

Ce serait un réflexe identique à celui manifesté par d'autres pays de l'Europe centrale et orientale, au lendemain de la disparition du rideau de fer. Ils se sont dit que pour la sécurité, l'enclave est le partenariat transatlantique. Pour organiser l'économie et le droit, c'est l'Union européenne.

Est-ce que la création d'une force d'intervention rapide rassemblant 20.000 hommes est le signe de la création d'un instrument militaire de lutte antiterroriste?

Charles Goerens: C'est un peu ça, d'où son caractère redoutable, et aussi la très grande prudence avec laquelle nombre de pays, dont le Luxembourg, abordent cette question.

Etes-vous satisfait de la collaboration luxembourgeoise aux missions de I'OTAN dans les Balkans et en Afghanistan?

Charles Goerens: Le Luxembourg essaie d'apporter une contribution crédible ancrée dans lé respect du droit. Ce qui importe, c'est se mettre d'accord sur l'analyse, sur la pertinence des actions, sur la nécessité de maintenir un système de sécurité international. Lorsque la pertinence n'est pas présente, on assiste à ce qui s'est passé en amont de la guerre irakienne où de nombreux pays dont le Luxembourg n'étaient pas sur la même longueur d'onde. C'est la raison pour laquelle nous avons exprimé nos plus vives réserves par rapport à cette guerre.

La guerre en Irak a provoqué une crise au sein de I'OTAN avec la fronde de la France, de l'Allemagne, de la Belgique et du Luxembourg en avril 2003. Était-ce une excuse pour proposer la mise en place d'une cellule de planification permanente indépendante de I'OTAN?

Charles Goerens: La date est peut-être tombée un peu mal. Dans un contexte qui va au-delà de la crise irakienne, le 28 avril était aussi en amont l'adoption de la nouvelle Constitution européenne. Le moment est toujours mal choisi, mais il faut quand même se déterminer un jour ou l'autre sur le caractère à donner à la future Union européenne à 25.

Est-ce que l'on veut seulement un marché unique ou bien plus? Nous sommes déjà une communauté de destin. Mais veut-on limiter le caractère de cette communauté de destin au fric? L'union économique et monétaire est aussi un moyen de pacification du continent européen.

Quand vous voyez l'écart qui s'était creusé au lendemain de la publication de cette volonté des quatre d'avancer plus vite que les autres, vous ne cessez d'être surpris du rapprochement du Royaume-Uni vers ces quatre-là.

Le week-end dernier à Naples, les Quinze se sont mis d'accord sur la clause mutuelle d'assistance obligatoire en cas de conflit. C'est l'extension à quinze et plus tard à vingt-cinq des principes ancrés dans l'article 51 de la Charte de I'ONU. Cela transforme la souveraineté nationale en une souveraineté commune et en une communauté de destin sur le plan de la sécurité.

Lors de la dernière réunion de I'OTAN à Bruxelles, les États-Unis ont exprimé leur inquiétude sur la défense européenne. Comprenez-vous cette attitude?

Charles Goerens: Tous ces rapports se basent en partie sur des malentendus. Le fait est que les Européens continuent à avoir besoin des Américains comme ils l'ont affirmé à Naples.

Est-ce que la création d'une défense européenne va alourdir le budget des États de l'Union?

Charles Goerens: On fera la paix et cela reste une finalité que personne ne conteste. Il y aura moins d'armement, mais davantage de capacité de transports stratégiques car les opérations qui se déroulent aujourd'hui ont très souvent lieu dans des théâtres lointains. Il faut des concepts extrêmement flexibles, intelligents et susceptibles d'être conformes au droit international et d'apporter une réponse concrète aux problèmes des gens. À l'ère de la mondialisation, l'idée selon laquelle la santé collective conditionne la santé individuelle fait son chemin.

N'est-ce pas paradoxal d'être à la fois ministre de la guerre, avec le portefeuille de la Défense, et de la paix, avec celui de la Coopération et du développement?

Charles Goerens: Être qualifié de ministre de la guerre est blessant et caricatural. Il faut faire la différence entre l'armée de Pol Pot et les actions des Européens sur la sécurité. Faire en sorte que des Tziganes au Kosovo puissent exister au lieu de les laisser crever dans l'indifférence fait que je suis quand même prêt à assumer le titre de ministre de la guerre. Pour moi, venir au secours des gens avec des moyens appropriés reste une priorité. Dans la hiérarchie des moyens déployés, je mets la prévention en tête. Mais parler de prévention au Rwanda lorsqu'un million de personnes sont mortes est un peu hypocrite. Je me réfère à ce que disait Fischer, le ministre allemand des Affaires étrangères: "Lorsque les principes sont mis plus haut que les préoccupations des hommes, il y a un sacré problème".

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