François Biltgen: Je ne crois pas à une vraie accalmie en 2004. Le ministre du Travail et de l'Emploi présente son action en matière de lutte contre le chômage

Luxemburger Wort: Monsieur le ministre, on comptait 5177 chômeurs en juin 2002. Ils sont aujourd'hui 8308. Sommes nous à la veille d'une explosion du taux de chômage?

François Biltgen: Bien évidemment, il est difficile de prévoir l'avenir. Le chômage progresse toujours, c'est vrai. Mais les derniers chiffres dont nous disposons montrent que la progression est moins forte qu'en 2002.

La tendance pourrait-elle s'inverser?

François Biltgen: Trois facteurs interviennent sur l'évohition du taux de chômage. Le facteur saisonnier tout d'abord, qui devrait être favorable début 2004 puisque le chômage diminue traditionnellement durant le premier semestre, sans pour autant qu'on puisse parler de renversement de tendance. Le taux de chômage dépend aussi du rythme de création d'emplois. Plus de 6000 emplois ont été créés au cours de l'année passée, mais ce rythme reste insuffisant pour compenser les pertes d'emplois. Il faudrait selon le Statec de l'ordre de 10000 nouveaux emplois par an pour voir le taux de chômage baisser de façon automatique. Enfin, je rappelle qu'il y a toujours un décalage entre la reprise économique et la relance de l'emploi. Je reste donc prudent. Je ne crois pas à une vraie accalmie en 2004 même si la détérioration ne sera apparemment plus de même ampleur qu'en 2002, lorsqu'il y a effectivement eu explosion.

Quelles mesures comptez-vous prendre pour contenir la progression du chômage?

François Biltgen: Bien entendu il faut créer de l'emploi, et pour cela il faut de la croissance. Il faut aussi y ajouter des efforts spécifiques pour mieux faire coïncider l'offre et la demande de travail, et cela passe notamment par une meilleure coopération entre l'administration de l'emploi et les entreprises. L'économie continue à créer de l'emploi, mais 70% des nouveaux emplois sont occupés par des frontaliers. Or l'offre devrait pouvoir être occupée en priorité par des résidents.

Les travailleurs résidents ne sont-ils pas compétitifs?

François Biltgen: Il est vrai que les entreprises disent souvent que certains frontaliers sont prêts à accepter un autre salaire que les résidents. Mais les patrons devraient aussi observer les statistiques des arrêts maladie, et ils remarqueront que les frontaliers sont nettement plus malades que les résidents ... Il est vrai aussi que certains pans entiers de l'économie sont occupés par des frontaliers. Dans ce cas, le bouche-à-oreille fonctionne souvent avant l'appel à l'administration de l'emploi.

L'inadéquation entre l'offre et la demande tient aussi à un manque de qualification ou de flexibilité..

François Biltgen: C'est effectivement là un point crucial, en particulier pour le personnel non qualifié d'entreprises qui doivent entamer de nécessaires restructurations. C'est le cas de nombre de personnes licenciées chez Villeroy & Boch. Ces gens de 40-50 ans risquent de ne plus être employables du tout. C'est pourquoi il faut renforcer la formation continue. Nous travaillons actuellement sur ce point avec ma collègue Anne Brasseur pour favoriser l'accès individuel à la formation professionnelle sur base de propositions des partenaires sociaux. Chacun doit pouvoir se former de manière continue, indépendamment des programmes collectifs dans les entreprises.

Aujourd'hui, même les diplômés ne sont pas à l'abri du chômage...

François Biltgen: Cela tient principalement aux restructurations sur la place financière, qui a perdu en net 1200 emplois. Il y a là en partie un problème de mobilité, de chômage frictionnel. Les gens attendent de retrouver le même emploi que celui qu'ils ont perdu. Et à cet égard, il faut dire que les indemnisations perçues peuvent inciter les gens à rester un certain temps inactifs. Encore que l'aide au réemploi, que nous avons introduite, permet de compenser pendant un certain temps la différence entre l'ancien et le nouveau salaire.

Par ailleurs, j'ajouterai que nous sommes une économie de petit espace. On peut être spécialiste pour une profession pour laquelle il n'y a pas d'emplois de façon courante.

Pouvez-vous éviter les abus de demandeurs d'emplois qui ne recherchent pas assez activement un emploi?

François Biltgen: Nous y veillons. Pour la seule année 2002, l'administration de l'emploi a appliqué 7800 sanctions.

La situation des jeunes n'est guère réjouissante aujourd'hui. Alors que les entreprises gèlent les embauches, comment peuvent-ils espérer trouver un emploi?

François Biltgen: Il faut miser sur la formation et sur la possibilité d'avoir une première expérience professionnelle. Car le problème pour les jeunes n'est pas toujours la qualification, mais aussi la compétence sociale: venir à l'heure au travail, venir tous les jours, etc.

Dans ce contexte difficile sur le front de l'emploi, certaines entreprises se plaignent de ne pas parvenir à faire venir des spécialistes non communautaires. Or ceux-ci peuvent stimuler le développement de nouvelles activités...

François Biltgen: C'est un faux procès que l'on nous fait. Toutes les entreprises qui peuvent motiver leur demande sont entendues. Mais dans le contexte actuel, il est normal que celles-ci respectent les procédures, en signifiant notamment à l'Adem leurs besoins. Nous nous retrouvons aujourd'hui avec bon nombre de spécialistes embauchés dans les années fastes, et qui aujourd'hui sont sans emploi car leur profil est extrêmement pointu.

L'administration de l'emploi est parfois critiquée pour son manque d'efficacité. Que pensez-vous de ces critiques?

François Biltgen: Ces reproches étaient justifiés il y a quelques années. Ils ne le sont plus. L'Adem est aujourd'hui proactive et nous avons embauché sept consultants pour mieux cibler les besoins des entreprises. Mais je dois dire que les résultats les meilleurs sont obtenus lorsque les entreprises travaillent elles-aussi de façon proactive avec l'Adem, par exemple en mettant sur pied des ateliers de formation. La lutte contre le chômage ne peut pas être unilatérale.

Aujourd'hui, 4248 personnes bénéficient de mesures pour l'emploi telles que les contrats d'auxiliaire temporaire du secteur public ou privé, de stage d'insertion en entreprise, de mesures spéciales, etc. Le chômage ainsi calculé "au sens large" atteint, d'après le Statec, 6,2%. Ces mesures sont-elles efficaces économiquement?

François Biltgen: J'avoue que la base légale que nous avons actuellement concernant ces mesures pour l'emploi est trop faible, et que l'on peut se poser des questions tant sur l'efficacité sociale de ces mesures que sur leur transparence financière. Nous avons travaillé sur ce sujet au sein d'un groupe de travail tripartite. Un projet de loi a été déposé et nous attendons l'avis du Conseil d'État. J'espère le vote du texte avant les prochaines élections.

L'une des conséquences de cette loi sera de renforcer le rôle de l'Adem pour affecter les mesures aux gens qui en ont effectivement besoin. Le but ne sera pas de stigmatiser les personnes concernées. Mais je crois que dans un souci de transparence et d'efficacité sociale, il faut que l'on sache exactement qui est visé. Il n'est pas question qu'une personne qui peut travailler normalement sur le marché du travail introduise une concurrence déloyale par le biais de mesures sociales financées par l'État.

Ceci dit, les initiatives d'emploi restent une nécessité absolue et elles ont apporté un plus certain.

Le Luxembourg se targue toujours d'avoir l'un des taux de chômage les plus bas en Europe. Mais celui-ci n'inclut pas les frontaliers licenciés. Si les chômeurs frontaliers étaient inclus dans le taux de chômage, quel en serait l'impact à la hausse?

François Biltgen: Pour l'instant, nous ne pouvons pas calculer le taux de chômage des travailleurs frontaliers. Le seul élément dont nous disposons est le nombre de formulaires E 301 distribués pour que ceux-ci soient indemnisés. Or les E 301 ne concernent pas tout le monde – par exemple, en Belgique, on n'en a pas nécessairement besoin – et par ailleurs ces formulaires sont demandés pour moitié par des intérimaires, qui font parfois plusieurs demandes par an. Mais je voudrais tuer une idée dans l'oeuf: j'entends souvent dire que la prise en compte des chômeurs frontaliers ferait exploser le taux de chômage. C'est archifaux! Tout simplement parce que le taux de chômage est établi en divisant les demandeurs d'emploi (8.308) par la population active (emploi total – frontaliers + demandeurs, soit 202.698 personnes). Si les frontaliers au chômage étaient inclus dans ce calcul, il faudrait les ajouter non seulement parmi les demandeurs d'emploi, mais également parmi la "population active". Cette dernière serait alors de 295256. D'après mes estimations, en admettant que les frontaliers feraient au moins un tiers et au tout maximum la moitié des demandeurs d'emploi au Luxembourg, l'impact à la hausse serait de l'ordre de 0,1 à 1,5 point. Le taux de chômage serait donc de 4,2% à 5,6% au grand maximum, soit toujours un taux enviable par rapport à ceux de nos voisins.

De nouvelles dispositions européennes vont, à terme, obliger le Luxembourg à prendre en charge une partie de l'indemnisation de ces chômeurs frontaliers. Quel en sera le coût?

François Biltgen: L'accord que nous avons trouvé avec nos partenaires prévoit que ceux-ci devront indemniser les travailleurs frontaliers et que nous les rembourserons sur base des statistiques qui nous serons fourmes. L'indemnisation portera au moins sur trois mois de salaire. Pour le reste, des négociations bilatérales sont prévues avec nos voisins. A ce jour, je ne peux donc pas anticiper l'impact budgétaire de cette réglementation. En tout état de cause, celle-ci n'entrera pas en vigueur avant 2006 ou 2007 au plus tôt.

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