Le Premier ministre Jean-Claude Juncker au sujet de l'évolution de l'économie luxembourgeoise

En général, l'année 2003 a été une année difficile pour l'économie luxembourgeoise tandis que l'année 2004 s'annonce légèrement meilleure. Quelle est votre appréciation sur l'évolution de l'économie luxembourgeoise en 2003 et les perspectives économiques pour 2004?

Jean-Claude Juncker: L'année 2003, telle que la reflètent les estimations des comptes nationaux, clôt une période de "vaches maigres" qui aura duré trois années de suite. Certes nous avons évité la récession, mais la croissance modeste, due en grande partie à l'environnement international obstinément morose, a eu un effet défavorable sur le marché du travail, la compétitivité-coût et l'équilibre des finances publiques.

Les prévisions économiques pour la nouvelle année sont bien plus optimistes. Il faut se rappeler que nous exportons environ 85% de nos biens et services dans I'UE, dont l'essentiel vers nos voisins: c'est dire que la reprise de l'activité au Luxembourg dépendra de la reprise de l'économie dans l'Union européenne. Prudent, le STATEC annonce une croissance autour de 2%; cependant, il n'est pas interdit d'envisager une croissance plus forte, dans une fourchette de 2,5 à 3% si l'économie internationale redémarre durablement.

La FEDIL se voit confirmée par l'analyse récente du Comité de coordination tripartite ayant attesté une compétitivité de l'économie luxembourgeoise en dégradation au cours des dernières années. Comment le gouvernement entend-il contrecarrer ce phénomène de perte de compétitivité?

Jean-Claude Juncker: Le Comité de coordination tripartite a constaté que la productivité du travail et les coûts salariaux avaient eu tendance à diverger au cours des trois dernières années: une baisse significative de la productivité du travail et une hausse pénalisante des coûts salariaux dans la comparaison internationale ont effectivement détérioré notre compétitivité-coût. Il faut espérer que les partenaires sociaux arrivent à s'entendre sur une norme salariale compatible avec l'évolution de la productivité du travail.

De plus, on oublie parfois que la compétitivité est une notion complexe qui comprend également des éléments qualitatifs comme l'innovation, la recherche, la formation continue et l'éducation, les infrastructures ... pour ne citer que ceux-là. Dans tous ces domaines, des avancées notables ont été réalisées. Enfin, il faut signaler qu'avec la reprise, la compétitivité devrait s'améliorer au cours de cette année.

Le 1er mai 2004, dix pays de l'Europe centrale et orientale vont rejoindre l'Union européenne. D'un côté, cet élargissement présente certainement des opportunités pour nos entreprises, mais constitue de l'autre côté, surtout en termes de compétitivité, un nouveau défi de taille. Qu'en pensez-vous?

Jean-Claude Juncker: Ma réponse est bivalente et change en fonction de l'axe du temps et du contexte. A court terme il ne fait guère de doute que les nouveaux Etats membres avec leur main d'œuvre bon marché et souvent bien formée, peuvent poser un défi sérieux pour nos entreprises. Néanmoins, je pense qu'il faut fortement relativiser cette prétendue menace et comparer ce qui est comparable.

L'industrie luxembourgeoise se caractérise dans son ensemble par une intensité capitalistique élevée, un savoir-faire confirmé et une propension marquée à la recherche-développement et à l'innovation qui résultent dans des produits et services de qualité et à forte valeur ajoutée. Alors qu'en face on trouve des appareils industriels souvent vétustés qui ont ployé pendant des décennies sous le joug communiste sans jamais subir une pression concurrentielle du marché libre. J'en prends pour illustration l'industrie sidérurgique de ces pays qui affrontent actuellement une restructuration radicale qui se traduit par des dizaines de milliers d'emplois sacrifiés et son cortège de déchéance sociale et de misère.

Si je vois un impact négatif pour le Luxembourg, c'est plutôt au niveau de notre politique de diversification et de développement économiques. Déjà maintenant, il faut constater que nombre d'investissements américains et asiatiques sont drainés vers les pays d'Europe centrale et orientale ce qui est, je le souligne, en soi une bonne chose. Cet appel d'air va encore s'amplifier avec l'adhésion de ces pays à l'Union européenne.

Mais encore une fois, le développement économique des nouveaux Etats membres est une évolution qu'il faut saluer, encourager et supporter. Au fur à mesure que ces économies se développeront, leur avantage concurrentiel au niveau du prix de la main d'œuvre va s'éroder alors que parallèlement l'accroissement du pouvoir d'achat à tous les niveaux va ouvrir de nouveaux marchés aussi bien pour des biens de consommation que pour des biens d'investissement durables.

Et enfin, ne perdons pas de vue l'essentiel qui est que l'adhésion des dix nouveaux membres agrandira d'autant l'espace de démocratie, de stabilité et de prospérité que constitue l'Union européenne. Il faut, avant tout, s'en réjouir et, pour une fois, mettre notre frilosité trop coutumière au rancart.

La Fedil craint que l'engagement trop ambitieux du gouvernement luxembourgeois de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 28% par rapport à l'année de référence 1990, risque de mettre en péril le développement futur de l'économie nationale. Quelle est la stratégie nationale que le gouvernement compte élaborer afin que le Luxembourg puisse respecter ses engagements pris à Kyoto? Est-ce que le gouvernement aura recours aux instruments dits flexibles, à l'instar d'autres pays en Europe, permettant d'échanger des droits d'émissions?

Jean-Claude Juncker: Sans l'adhésion de la Russie au protocole de Kyoto, ce dernier ne pourra pas entrer en vigueur. Le marché des droits d'émissions de gaz à effet de serre se trouverait dans ce cas dans une crise de liquidité, ou, en d'autres termes: il y aurait une pénurie de droits d'émission disponibles avec pour résultat une flambée de leurs prix.

Dans l'hypothèse où, en dépit de la non-entrée en vigueur du protocole de Kyoto, la directive européenne du 13 octobre 2003 établissant un système d'échange de quota d'émission continuera d'être mise en œuvre dans sa forme actuelle, le Luxembourg devra faire flèche de tout bois et donc utiliser tous les instruments disponibles pour chercher à respecter ses engagements sans pour autant pénaliser sa compétitivité dans une mesure qui serait dommageable à son économie. Le recours aux instruments dits flexibles est sans doute une des voies à suivre dans ce cas.

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