"Il faut apprendre à aimer l'Europe". Le Premier ministre au sujet de l'avenir de l'Union européenne à 25

Après le fiasco du sommet de Bruxelles, en décembre, y a-t-il une chance d'adopter la Constitution d'ici à la fin de l'année?

Jean-Claude Juncker: Contrairement à ce que j'entends ici ou là, l'Europe n'est pas en crise avec un grand C. Avec vingt-cinq chefs d'Etat et de gouvernement, il est normal que des opinions divergentes s'expriment. Personne n'a jamais calculé combien de partis politiques sont représentés autour de la table: leur nombre doit tourner autour d'une centaine. L'UE ne fait que refléter le caractère complexe de nos sociétés démocratiques. Il est encore beaucoup trop tôt pour dire quand la Constitution aura une chance d'être adoptée. La présidence irlandaise de l'Union ne soumettra un paquet d'ensemble au Conseil européen que si elle a la certitude du succès. Le prochain essai doit être le bon, sinon il deviendra difficile de renouer le fil.

L'Espagne et la Pologne portent-elles la faute de cet échec?

Jean-Claude Juncker: En partie seulement. L'Espagne et la Pologne avaient des idées figées sur le vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil des ministres. Mais à supposer que l'on ait pu trouver une solution à ce problème, il y avait encore au moins vingt ou trente points de désaccord assez substantiels entre les Vingt-Cinq.

Comment trouver un compromis maintenant?

Jean-Claude Juncker: Cette affaire est certes importante, mais pas existentielle. On pourrait vivre jusqu'en 2014 avec le traité de Nice, adopté en décembre 2000. Puis, à partir du ler janvier 2015, nous passerions au système de vote à la double majorité (50% des pays représentant 60% de la population européenne, ndlr). Les pays qui pensent que leur grandeur passe exclusivement par leur nombre de voix auraient ainsi plus de temps pour réajuster leur raisonnement.

Cette négociation va avoir lieu en même temps que les discussions sur le futur budget 2007-2013 de l'UE. N'est-ce pas un moyen de pression?

Jean-Claude Juncker: Je ne souhaite pas que les deux débats soient mélangés, les uns cédant sur la Constitution, les autres sur le financement On ne dirige pas un continent de cette façon. Si nous devions connaître un nouvel échec sur la Constitution, ce qui montrerait l'absence de projet européen, la question du financement se posera sans doute différemment. Mais je n'admettrai pas que les liens de solidarité infra-européenne passent pour autant à la trappe. Le marché intérieur, la monnaie unique, les politiques communes continueront d'exister.

Que pensez-vous de la lettre des Six, dont la France, qui proposent de limiter le budget à son niveau actuel en dépit de l'élargissement?

Jean-Claude Juncker: On m'a soumis cette lettre, puisque le Luxembourg est contributeur net à hauteur de 0,25% de son PIB et se situe donc devant l'Allemagne et la France. J'ai refusé de la signer. Vouloir enfermer l'ambition européenne dans une cage limitée à 1% du PIB communautaire jusqu'en 2013 n'est pas de bonne méthode.

Certains ont vu dans le récent sommet Blair-Chirac- Schrôder, à Berlin, les prémices d'un directoire.

Jean-Claude Juncker: Il est aberrant de critiquer cette rencontre. A l'époque des désaccords graves sur l'Irak, nous avons beaucoup reproché aux grands de ne pas avoir tout fait pour trouver un accord entre eux. Dans une Europe à vingt-cinq, comme à quinze, il est normal que les décideurs politiques se rencontrent dans des formats différents selon les sujets ou les intérêts géographiques ou historiques. Je ne crois pas au risque du directoire: pour diriger l'Europe, il faut être d'accord sur l'essentiel...

Quel est le portrait idéal du futur président de la Commission?

Jean-Claude Juncker: Une personnalité forte capable d'être un meneur de jeu et non pas un juge de touche qui veillerait au seul respect des règles du marché intérieur. Il doit aussi être un bon communicateur: il doit apprendre aux Européens à aimer l'Europe.

Propos recueillis par Jean Quatremer (c) Libération

Dernière mise à jour