"Le Luxembourg prendra des mesures pour garder les 50-65 ans au travail". Le ministre de l'Emploi François Biltgen au sujet de sa politique en faveur des travailleurs âgés

Le Jeudi: L'OCDE, la Commission européenne et le Fonds monétaire international (FMI) critiquent le Luxembourg sur le taux d'emploi extrêmement faible de la population active entre 50 et 65 ans. Est-ce que les mesures prises par le Luxembourg pour favoriser les départs à la préretraite pourraient être remises en question suite à d'éventuelles pressions politiques et autres de ces trois organes?

François Biltgen: J'aimerais souligner tout d'abord que le Luxembourg ne réagit pas à des pressions internationales, mais que, bien au contraire, le gouvernement luxembourgeois avait pris la décision de participer à l'examen thématique des politiques pour promouvoir les perspectives des travailleurs âgés sur le marché du travail, examen bénévole mis en place par le comité de l'Emploi, du Travail et des Affaires sociales de I'OCDE au printemps 2001.

La question n'est pas de procéder à un démantèlement social, mais bien de promouvoir le travail des personnes âgées – si ce terme est approprié, mais j'en doute – et de mettre fin au danger réel qu'après 50 ans on n'a plus de perspectives.

Toute discussion généralement quelconque sur l'activité des 50 ans et plus doit nécessairement prendre en compte non seulement le contexte économique et social, respectivement la composition des forces de travail sur le marché du travail, mais aussi le vécu, l'historique en quelque sorte, des mentalités et des solutions politiques appliquées.

Concertation

Or, le contexte luxembourgeois se base avant tout sur les réponses données par la politique dans les années 70 et 80 face à la crise sidérurgique et les restructurations opérées dans le temps. Il ne faut pas oublier que les solutions trouvées dans le temps, dont certaines portent encore leurs effets aujourd'hui, ont été arrêtées dans un esprit de concertation très large entre partenaires sociaux dans le contexte du tripartisme typiquement luxembourgeois. La préretraite, ressentie au départ pratiquement comme une mise en fourrière par de nombreux travailleurs, avait en quelque sorte comme objet d'éviter des licenciements massifs dans la sidérurgie par des départs anticipés à la retraite.

D'autres systèmes de préretraite, comme la préretraite-solidarité qui nécessite l'engagement corrélatif d'un demandeurd'emploi, la préretraite pour travailleurs de nuit ou à équipes ou encore la préretraite progressive s'y sont ajoutés par la suite.

Le défi primordial au stade actuel, nonobstant les recommandations des instances internationales que vous citez, consiste à vérifier si les conditions économiques et celles liées au marché du travail, à la base des systèmes de préretraite actuels, restent toujours d'actualité.

Nous allons entamer ce débat très général avec les partenaires sociaux en y incluant notamment les thèmes du manque toujours persistant de main-d'œuvre qualifiée sur le territoire luxembourgeois, les projections à moyen terme concernant le vieillissement de la population luxembourgeoise mais aussi de la Grande Région qui constitue le réservoir de la force de travail au Luxembourg, le besoin en immigration sur l'arrière-fond de l'augmentation du taux de dépendance des sociétés européennes et avant tout d'un changement de mentalité auprès de tous les acteurs. Mais nous allons y inclure bien sûr le problème manifeste des travailleurs âgés de se réinsérer dans le monde du travail.

A cet effet, le comité permanent de l'Emploi, organe tripartite, a décidé de réaliser une étude sur les travailleurs âgés au Luxembourg. Celle-ci comprend des réponses quant au contexte sociologique et démographique, l'offre et la demande, le cadre légal et réglementaire et l'avis des partenaires sociaux.

Le gouvernement, tout en souscrivant au diagnostic de I'OCDE, ne peut pas suivre d'office toutes ces recommandations, alors que le contexte luxembourgeois se doit tout d'abord d'être analysé en détail, ensemble avec les partenaires sociaux, en tenant notamment compte de solutions individualisées, par exemple pour ceux qui ont travaillé dans des conditions difficiles tout au long de leur vie professionnelle.

Vous préconisez que l'on doit promouvoir "une nouvelle culture d'entreprise" pour inciter les entreprises à changer de méthode de promotion pour passer d'une culture basée sur l'ancienneté à une culture basée sur la qualité du travail fourni. Comment voyez-vous cette culture basée sur les résultats qualitatifs du travail?

François Biltgen: Ce n'est tout d'abord pas le ministre du Travail et de l'Emploi qui préconise la promotion d'une nouvelle culture d'entreprise, même si cette recommandation de I'OCDE ne me semble pas fausse. En effet, elle vise la remise en question des pratiques salariales basées sur l'âge ou l'ancienneté, afin d'arriver à mieux prendre en compte les compétences et la productivité du travailleur.

Elle laisse cependant la définition de cette nouvelle approche aux partenaires sociaux, ce qui est tout à fait pertinent! Il me paraît dangereux, voire même néfaste, de vouloir dicter cette nouvelle culture d'entreprise "ex cathedra". Tout comme pour la continuation du système de préretraite, nous avons besoin de solutions individuelles négociées entre partenaires sociaux qui connaissent au mieux la réalité du terrain et de l'entreprise et du salarié. Le législateur devra accompagner cette approche spécifique en misant davantage sur l'amélioration des conditions de travail en général.

Je me dois d'insister, dans ce contexte, sur la mise en place d'actions spécifiques dans les différentes entreprises afin d'éliminer les facteurs stress et mobbing. La qualité du travail est certainement un des facteurs clés qui inciteront le plus les travailleurs âgés à vouloir rester en activité et à faire profiter à l'entreprise et notamment aux jeunes travailleurs des nombreuses compétences valorisantes et de l'expérience acquises au cours d'une vie professionnelle.

Il s'agira donc de miser sur le maintien à l'emploi dans des conditions adaptées à l'âge, afin de garder cette main-d'œuvre pleine de potentialités productives – au sens large du terme – en activité.

L'adaptation des conditions pourrait comprendre, hormis les domaines qui sont du ressort du seul employeur, notamment une discussion plus généralisée entre gouvernement et partenaires sociaux sur le temps partiel, les comptes épargne-vie et des systèmes flexibles de régime actif et passif, donc travail et rente à temps partiel.

Que pensez-vous du fait que les appels à candidature pour des postes à responsabilité dans l'organisation du "médiateur", publiés il y a deux ou trois semaines dans les journaux locaux, sont limités à des candidats en dessous de 45 ans, à un moment où les employeurs privés sont poussés à garder, respectivement à engager des personnes âgées?

François Biltgen: Je me dois de vous rappeler tout d'abord que le législateur a relevé, lors de la réforme du statut des fonctionnaires, la limite d'âge pour l'entrée en service des fonctionnaires au service public de 40 à 45 ans. Les annonces parues dans la presse luxembourgeoise sont donc en parfaite conformité avec la législation actuelle.

Transposition

S'agissant cependant des actions politiques en la matière, je vous rappelle que le gouvernement a déposé deux projets portant transposition de la directive 2078 (CE) du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, qui prévoit entre autres l'abolition de toutes discriminations liées à l'âge du travailleur, donc aussi auprès de la fonction publique. Dès que ces textes seront adoptés, des annonces telles que celle que vous citez ne se verront plus.

L'ensemble des démarches entreprises par le gouvernement sont donc parfaitement pertinentes par rapport à une politique de non-discrimination des travailleurs âgés face au marché du travail.

Dans ce contexte, je rappelle que le gouvernement actuel a veillé à éliminer les barrières administratives en matière de droit du travail pour le maintien à l'emploi des travailleurs âgés, en abolissant les dispositions relatives aux autorisations de travail pour bénéficiaires de pensions de vieillesse.

A votre avis, quelles sont les actions prioritaires à envisager pour garder actives les personnes ayant dépassé la cinquantaine?

François Biltgen: Comme je l'ai déjà annoncé, je vais, dans les semaines à venir, consulter dans des réunions bilatérales les partenaires sociaux. Le rapport de I'OCDE «Vieillissement et politiques de l'emploi» constitue, quant au diagnostic, une excellente base de travail.

S'agissant dans ce contexte des recommandations, il s'agit de pistes à discuter et à fouiller le cas échéant en tenant compte des intérêts spécifiques de mes interlocuteurs.

Le rapport OCDE, tout comme les recommandations de la Commission européenne et du FMI, à eux seuls ne suffisent pas pour trouver des solutions adaptées à la situation luxembourgeoise. Voilà pourquoi il m'importe de finaliser en parallèle l'étude actuellement en cours par le CEPS et pilotée par l'Observatoire des relations professionnelles et de l'emploi au Luxembourg. Ce ne sera que par après que nous pourrons décider d'une stratégie globale cohérente pour garder actives les personnes ayant dépassé la cinquantaine.

Ma première action prioritaire consiste donc en une prise de conscience avec interrogation des intérêts des employeurs et des syndicats, et un début de sensibilisation permettant à moyen terme d'opérer un changement de mentalité auprès du grand public. Un plan d'action d'ensemble sera défini sur base synthétique des intérêts convergents des partenaires sociaux.

Vouloir, au stade actuel, diriger les discussions dans une direction spécifique ne me paraît nullement indiqué, alors que cela réduirait de manière inutile et inefficace l'ensemble des pistes à creuser.

Dernière mise à jour