"Ceux qui font l'école ne l'aiment pas". Interview du Premier ministre Jean-Claude Juncker dans le cadre du projet "Presse à l'école"

Le Quotidien: Monsieur le Premier ministre, que pensez-vous d'une réduction de l'âge minimal pour voter, pour permettre aux jeunes d'avoir plus d'influence sur les décisions politiques nationales?

Jean-Claude Juncker : J'hésite. J'hésite parce qu'il est commode de dire aux jeunes de 16 ans qu'ils devraient avoir le droit de participer aux élections. J'hésite, car s'exprimer au moment des élections est un acte de citoyen et, pour être citoyen, il faut avoir accumulé un minimum d'expériences de vie. Je pense, en me souvenant de ma propre jeunesse, que je ne les avais pas encore acquises à l'âge de 16 ans. Donc, je pose sur cette question un regard intéressé, mais pas encore convaincu. Je crois qu'il faut réfléchir à deux fois sur cette question. J'y ai seulement réfléchi une seule fois.

Nous sommes venus en tant qu'élèves. Êtes-vous satisfait du système scolaire alors qu'on entend beaucoup de gens, qu'ils soient élèves ou professeurs, se prononcer sur ce sujet?

Jean-Claude Juncker: Je crois que tout le système scolaire a des lacunes plus ou moins graves. Je crois que le système scolaire doit s'adapter en permanence au monde tel qu'il est, sans devenir le monde tel qu'il est. L'école n'est pas seulement faite pour préparer les jeunes à la vie professionnelle. L'école, c'est beaucoup plus que la préparation à la vie active. L'école n'est pas une fabrique de salariés plus ou moins compétents. L'école, c'est plus que la préparation au marché de l'emploi. L'école est une préparation à la vie d'adulte.

Ceux qui font l'école n'aiment pas l'école. Et ceux qui, à vrai dire n'ont plus le besoin individuel d'aimer l'école, sont ceux qui sont supposés produire une école qui est faite pour être aimée par ceux qui la font. Je crois que la qualité de notre enseignement est bonne mais je vois, tout de même, des lacunes nombreuses et difficiles à décrire. En plus, je vois des dérapages que je ne comprends plus, sans doute parce que je suis trop âgé pour tout comprendre. Qu'on puisse laisser décider le juge si oui ou non on doit passer des examens supplémentaires, cela me paraît assez grotesque. C'est même la fin de l'école.

L'année dernière, le Luxembourg a occupé une des dernières places de l'étude PISA. Quelle est votre opinion à ce sujet?

Je n'étais pas très enchanté de nous voir figurer parmi les derniers. Mais, si on avait organisé en Europe un test sur les connaissances linguistiques des jeunes, donc sur la faculté de communiquer avec les autres, sans doute aurions-nous occupé, sinon la première, du moins une des premières places.

Je pense que dans un monde qui s'internationalise de plus en plus, qui se globalise parfois à outrance, le fait de pouvoir communiquer sans problème majeur avec les autres est tout de même une richesse énorme qui n'a pas intéressé I'OCDE. Cette dernière aime les chiffres, les volumes et les formules, mais ne s'intéresse que très peu à ce qui fait le propre de l'homme, c'est-à-dire la langue et l'art de savoir communiquer avec les autres. Les autres sont plus forts en mathématiques et en sciences, mais nous avons moins de chômage, nous avons moins de déficit budgétaire. Nous avons un tissu industriel complet, nous avons su implanter au Luxembourg des activités novatrices que d'autres, en dépit du fait qu'il soient meilleurs en mathématiques, n'ont pas su saisir en tant qu'opportunité de développement de leur pays.

Je ne dirai jamais que nous sommes les meilleurs, mais je crois que le système PISA, en ce qui nous concerne, est passé à côté de l'essentiel.

... et le luxembourgeois à l'école?

Jean-Claude Juncker: Moi, j'aime le Luxembourg, les Luxembourgeois et le luxembourgeois. Mais ce que j'aime chez les Luxembourgeois, c'est qu'ils parlent plusieurs langues et ce que j'aime dans le luxembourgeois, c'est que c'est la langue de mon pays et je voudrais qu'elle soit parlée et écrite par le plus grand nombre de façon correcte. C'est un des éléments qui nous permettent de nous rassembler autour de quelque chose et je voudrais donc que nous trouvions pour le luxembourgeois une place qui tienne compte de toutes ces dimensions. Mais non pas au détriment de l'enseignement des autres langues, enseignement qui reste essentiel pour une nation comme la nôtre. Je n'aime pas les Luxembourgeois qui disent du mal du luxembourgeois. C'est une mode, un snobisme qui veut que nous nous exprimions en français, même lors des séances académiques strictement luxembourgeoises, que nous ayons recours à d'autres langues pour prouver à je ne sais qui que nous sommes différents des autres.

Je suis le premier Premier ministre luxembourgeois qui a fait une déclaration gouvernementale en luxembourgeois, j'ai présenté en 1999 le programme gouvernemental en langue luxembourgeoise, je tiens les discours sur l'État de la nation en luxembourgeois alors que tous mes prédécesseurs le faisaient toujours en français. Je parle d'abord aux Luxembourgeois, j'aime parler en luxembourgeois lorsque je m'adresse à leurs députés et à eux-mêmes dans la langue du pays. Nous ne devons pas en avoir honte.

Est-ce que malgré vos fonctions vous avez encore un peu de temps libre pour des loisirs? Si oui, lesquels?

Jean-Claude Juncker: Très peu! Très peu! Je lis beaucoup mais toutes sortes d'écrits, pas seulement des rapports. Et puis je joue au flipper. C'est ma grande passion les dimanches après-midi, le seul temps libre dont je dispose. Je joue comme un fou, comme un forcené, comme quelqu'un qui ne pense pas qu'il s'agit d'un flipper. Ce n'est pas très intelligent, mais ça me plaît.

Mais est-ce que ça vous rappelle votre jeunesse?

Jean-Claude Juncker: Je n'ai pas vraiment joué au flipper lorsque j'étais jeune, je jouais plutôt au kicker, en dehors des autres activités sportives que je pratiquais : football, volleyball, tennis de table. Mais, aujourd'hui, je joue au flipper. Je fais craquer la machine, je fais hurler les figures, je déclenche des musiques insoupçonnées... Ça me change les idées. Cela ne me donne pas d'autres idées, mais cela me les change.

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