Mieux expliquer l'Europe. Interview avec le nouveau ministre délégué aux Affaires étrangères et à l'Immigration

La Voix du Luxembourg: Quelle impression cela fait-il lorsque l'on est un haut fonctionnaire, d'être contacté pour devenir ministre?

Nicolas Schmit: J'avais entendu des rumeurs dans ce sens, j'étais donc quelque peu préparé psychologiquement à l'idée que l'on pourrait me solliciter. J'éprouvais des sentiments mitigés. Je n'étais ni ravi ni soulagé car je m'étais préparé, pour la présidence luxembourgeoise de l'Union européenne, à présider le Comité des représentants permanents dont j'étais d'ailleurs le doyen en fonction. J'étais donc plutôt réservé mais lorsque j'ai senti la pression monter, les sollicitations croître, j'ai accepté de relever le défi.

Malgré votre sentiment plutôt mitigé lors de votre précédente expérience en politique, lors de votre passage d'un an comme secrétaire parlementaire du groupe socialiste?

Là, je prends la politique par un tout autre bout. Vous savez, j'ai rejoint les rangs du LSAP à l'âge de 17 ans. La politique est une passion, quelque chose d'important dans ma vie mais je ne pensais pas revenir à une forme de politique active. Elle m'a rattrapé.

Quelle motivation peut pousser à passer de l'ombre à la lumière lorsque l'on a travaillé pendant deux décennies dans la diplomatie au service de la construction européenne?

Mais je n'avais pas envie. Je dois maintenant m'y habituer. Je me trouvais bien dans l'ombre. Mais ce qui m'a fait franchir le pas, c'est peut-être et sûrement d'expérimenter une autre forme d'action en quelque chose que je crois. C'est de travailler avec d'autres moyens au service d'un grand dessein, essentiel pour nous, mes enfants, les enfants de chacun d'entre nous. Voilà en fait ce qui m'a convaincu à changer de rive. Mais n'oublions pas aussi le fait qu'il existe une belle équipe et quelques amis en faisant partie, m'ayant persuadé de l'intérêt à franchir le pas.

Sans présidence luxembourgeoise de l'Union européenne durant le premier semestre 2005, Nicolas Schmit serait-il revenu en politique?

Je ne sais pas. Probablement non. Mais j'assume pleinement ce choix. C'est une chance inouïe. Je ferais tout pour bien servir mon pays, comme je l'avais fait avant à Bruxelles, avec une grande fierté que mes compétences puissent être utiles.

Sera-ce une parenthèse dans votre vie?

Non. Je m'engagerai à tous les niveaux. Donc également dans ma région d'adoption, auprès des habitants de la circonscription Est. Il ne s'agit pas d'un passage éphémère dans un ministère mais d'un engagement au service des citoyens, si je peux me permettre un peu d'emphase.

Il est clair que la présidence de l'Union européenne sera votre grand rendez-vous?

Un très grand rendez-vous pour moi, mais surtout pour le Luxembourg qui doit et va montrer qu'il peut pleinement jouer un rôle dans l'Europe élargie. Mais ce sera un travail d'équipe. De tout le gouvernement, de tous nos collaborateurs au ministère faisant preuve d'un dévouement exemplaire. Mais la politique étrangère n'existe pas que pendant ces six mois. Il ne faudrait pas non plus sous-estimer une autre dimension de mon mandat, l'immigration. Il s'agit d'un phénomène difficile, sensible, humainement parfois critique mais, j'en suis convaincu, d'un grand dossier de notre temps. Il y a là un problème fondamental qui touche aussi le Luxembourg. J'ai travaillé comme représentant permanent à Bruxelles sur les textes et directives pour la mise en place d'un début de politique européenne. Il s'agira de transposer et de gérer le phénomène dans le contexte luxembourgeois de façon aussi humaine que possible mais avec à l'esprit qu'il y a des limites. C'est un grand défi pour un responsable politique.

Ne craignez-vous pas des chevauchements de compétences avec le ministre Luc Frieden?

La ligne de partage est très claire au sein du gouvernement. D'ailleurs nous avons développé une bonne complicite entre-temps. Nous allons nous retrouver aux mêmes conseils des ministres, comme dans le passé. Simplement j'y viendrai dans une autre qualité. Et à chacun son style.

Vous serez quatre au gouvernement à vous occuper de la présidence de l'Union européenne. Ne craignez-vous pas des interférences?

Non. Il y a le Premier ministre, Jean-Claude Juncker, dont le rôle est très important. C'est un grand Européen et il a montré qu'il savait l'assumer. Le rôle du ministre des Affaires étrangères, Jean Asselbom, et de moi-même est multiple. Il y a les conseils, les contacts avec les pays tiers, le Parlement européen, la communication avec le citoyen, ce qui est nouveau pour moi. J'ai pris conscience que l'on ne peut pas travailler de la même manière comme ministre et comme ambassadeur. Et cela vaut aussi pour la présidence. Expliquer à nos concitoyens l'importance, la chance qu'il y a à pouvoir l'assumer encore, voilà un volet essentiel sur lequel le ministère des Affaires étrangères doit aussi s'activer. Le référendum sur la Constitution européenne sera l'occasion de mieux expliquer, de rapprocher l'Europe. On ne la construit pas contre ou en marge des citoyens. Il est essentiel d'aller vers les gens pour leur faire comprendre les enjeux. C'est une mission qui me tente beaucoup.

Quels seront les gros dossiers de la présidence luxembourgeoise?

J'y vois trois grands axes. D'abord les dossiers internationaux comme les relations avec les Etats-Unis et transatlantiques, voire avec les pays tiers comme la Russie, mais aussi la contribution européenne à la stabilisation des Balkans. Le deuxième axe réside dans la mise au point du paquet 2007-2014 de financement de l'Union européenne.

Les approches divergent pour l'instant beaucoup entre les Etats membres, certains pays contributeurs nets refusant tout net les projets de la Commission européenne. Un calendrier est-il prévu?

L'objectif est de trouver un accord politique en juin 2005. Il s'annonce difficile en raison des positions éloignées mais nous allons tout faire pour nous en rapprocher. Je suis d'un tempérament optimiste. Je crois que nous réussirons à rapprocher les vues car il n'y a pas d'alternative. Nous avons un destin commun. Il y aura une prise de conscience et nous ferons tout pour approcher en juin d'un dénominateur commun.

Vous parliez d'un troisième axe?

Il s'agit de la relance du processus de Lisbonne, élaboré en 2000. Les travaux débuteront sérieusement au Conseil européen de mars. Il s'agit d'une échéance importante car l'Europe connaît à ce stade un taux de chômage élevé, rencontre des problèmes de compétitivité et la protection sociale est mise à mal dans divers pays car l'économie européenne ne génère pas les taux de croissance espérés. L'objectif de faire de l'économie européenne la première du monde grâce aux efforts dans les domaines de l'éducation, la recherche en technologies nouvelles n'est pas près d'être atteint. Il faut que les Européens se donnent les moyens de retrouver un niveau de croissance suffisant pour que le plein emploi redevienne un objectif crédible et que nos systèmes sociaux restent supportables par les générations futures. Ce dossier engagera le Premier ministre, le ministère des Affaires étrangères mais aussi les autres ministères, en particulier celui de l'Economie. Il s'agira d'un travail à mener en équipe.

Dans cette perspective, l'élargissement constituet-il une chance ou un handicap?

Je ne crois pas qu'il s'agit d'un handicap. Il est évident que la situation des nouveaux Etats membres est différente de celle des anciens mais ces pays ont connu un processus de changement économique et social considérable. Ils peuvent nous apporter une expérience. Il n'y aura pas de solution unique et il raudra tenir compte des différences.

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