Mady Delvaux-Stehres: Que l'école devienne un lieu de vie.

Le Jeudi: Ce ministère est un véritable défi. Comment l'abordez-vous?

Mady Delvaux-Stehres: Avec beaucoup d'enthousiasme, parce que je pense qu'organiser l'école pour les enfants, dans le but que chacun ait la chance de se développer au mieux de ses capacités, est, en politique, l'une des missions les plus nobles. Je sais aussi que ce n'est pas facile, car le ministère n'est que le capitaine. C'est seulement ensemble que nous pourrons y arriver, et cela prendra du temps.

L'étude PISA a démontré que vos prédécesseurs avaient échoué. Comment imaginer que vous puissiez faire mieux?

Je n'aime pas trop vos jugements sur mes prédécesseurs, car nous n'avons pas de culture de l'évaluation. Donc, il faut mettre en place des indicateurs. Mais mettre en place des indicateurs et travailler dessus prend aussi beaucoup de temps. Malheureusement pour les politiques, ce n'est pas en cinq ans qu'on obtient des résultats spectaculaires. C'est sur la durée qu'il faut travailler. Ceci dit, il y a plusieurs chantiers sur lesquels je veux travailler tout de suite.

Quels sont ces chantiers?

Il faut tout d'abord revoir les critères de promotion. Parce que, dans le secondaire, ils sont très différents du classique au technique. Je pense qu'il faut les rapprocher, les harmoniser et, par ailleurs,
j'ai demandé une étude sur le redoublement. Parce que j'ai le sentiment qu'il y en a beaucoup et je ne suis pas sûre que ce soit toujours efficace. Mon deuxième chantier, c'est l'école pilote.

En réformant les critères de promotion, vous voulez aussi introduire le droit de recours.

C'est logique! De même qu'il ne doit pas y avoir de vice de forme dans l'utilisation des critères de promotion, il faut aussi que les élèves et les parents puissent s'exprimer. Or, j'ai l'impression qu'on va au tribunal, parce qu'on n'est pas écouté. Il faut donc introduire des mécanismes internes.

Alors, deuxième chantier, l'école pilote...

C'est très important. Ce sera une école à journée continue, donc avec des horaires moins serrés. Il y aura une équipe d'enseignants qui prendra en charge les enfants, ce qui implique qu'ils ne quittent pas l'école juste après les cours. Les équipes devront travailler ensemble pour préparer les cours, pour corriger. Et il faudra une coopération interdisciplinaire.

Journée continue, ça veut dire quoi au niveau du rythme scolaire?

A priori nous ne remettrons pas en question le samedi libre. Pour le reste, ce sera une école qui ouvrira vers 7.30 h pour fermer vers 17.00-17.30h. Et dans la journée, les interclasses seront plus longs et les cours aussi, puisque ce seront des unités de 1.30 à 1.45h. Mais ne me demandez pas d'être plus précise pour le moment! Cela veut dire aussi qu'il y aura des activités offertes en dehors des heures de cours. Et des plages pour les devoirs, pour le soutien scolaire. Il faut que l'école devienne un lieu de vie. Pour le moment,le projet ne concerne que le secondaire, mais il y a des réflexions pour l'adapter au primaire. Ce projet commencera peut-être à la rentrée 2005, certainement en 2006.

Un tel système supposera des effectifs supplémentaires, peut-être même des non-enseignants.

L'idée est que cette équipe comprenne des enseignants et des nonenseignants, comme des éducateurs gradués. Mais ce sont des choses qu'il faut encore arrêter. Et puis il faut un bâtiment, ce qui ne sera peut-être pas le plus facile..

Parmi les chapitres importants, il y a aussi l'enseignement des langues.

Effectivement. Il n'est pas question de remettre en cause le bilinguisme dans les écoles. L'alphabétisation continuera en allemand. Mais nous voulons voir s'il est possible de décaler le français dans le primaire, ou d'insister surtout sur la langue parlée. Ensuite, nous voulons développer des socles de compétences pour que ceux qui vont plus vite puissent avancer. Je veux éviter que les enfants s'ennuient à l'école. Et cela conduira, en arrivant au secondaire, à avoir le choix entre une première et une seconde langue.

Ne risque-t-on pas de voir l'allemand prédominer sur le français?

Je pense qu'il est trop tôt pour le dire. Mais, de toute façon, il faut repenser l'enseignement des langues. Les élèves ont beaucoup d'heures de français. Peut-être faut-il mieux en profiter. Une langue ne doit pas être éliminatoire pour l'orientation.

Autre sujet, le précoce. Pourquoi en rendre l'offre obligatoire?

J'attends un bilan du précoce. On pense que c'est un bon moyen d'intégration, d'apprentissage du luxembourgeois. Si oui, je pense que l'offre doit exister dans toutes les communes.

Les moyens humains et matériels de l'école sont insuffisants. Pourrez-vous mettre en place ces moyens?

Je l'espère. J'ai l'intention de me battre pour. Vous savez qu'il y a un réel problème de recrutement. On lance des concours, mais on n'occupe pas les postes. J'essaie de comprendre le système! Il y a aussi les chargés de cours. Et on n'exclut pas le recours aux étrangers, notamment pour l'enseignement des langues.

Vous prévoyez aussi une diversification de l'offre scolaire...

Le premier pas a été fait avec la loi sur l'organisation du lycée qui a été votée le 25 juin dernier. Maintenant il faut la mettre en musique. Et faire passer l'idée selon laquelle, comme les enfants sont de plus en plus différents, il faut également une offre variée au sein de l'école publique. Car il n'est pas admissible qu'il faille aller dans le privé pour trouver une alternative! Il faut que chaque école réfléchisse sur ses points forts et ses points faibles, pour développer son offre particulière. La difficulté sera de conserver le même niveau partout. C'est pourquoi il faut des épreuves standardisées, des tests nationaux.

II y a enfin le projet de réforme de l'enseignement des valeurs. Dans ce domaine, Anne Brasseur semblait avoir cédé aux exigences du CSV. La nouvelle réforme se fera conjointement avec le Premier ministre. Pourquoi?

Je suppose qu'on a peur, non? Je ne peux pas vous dire pourquoi. Je ne me sens pas provoquée, je me réjouis de collaborer. Honnêtement, ça ne me dérange pas. Je souhaite qu'on arrive à mettre en place un cours digne de ce nom. Car nous allons vers une société où toutes les religions devront coexister. On ne peut donc pas continuer d'enseigner uniquement la religion catholique, sinon on finira par provoquer des tensions.

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