Mady Delvaux-Stehres: Aller à l'école doit être un plaisir. Interview avec la ministre de l'Education nationale et de la Formation professionnelle

La Voix du Luxembourg: Vous avez été ministre des Transports, de la Sécurité sociale et de la Communication de 1994 à 1999. Considérez-vous cette expérience comme un avantage ou comme un inconvénient, eu égard au nouveau portefeuille qui vous incombe, celui de l'Education nationale?

Mady Delvaux-Stehres: Je le vois comme un avantage. Grâce à l'expérience que j'ai acquise dans un autre secteur, je pense avoir une certaine vue sur le fonctionnement d'un ministère. Même si du point de vue contenu, ce n'est pas la même chose, il y a toujours des parallélismes. Et puis, j'étais enseignante dans ma vie antérieure! Donc, je trouve intéressant de combiner les deux expériences.

Quand et dans quelles conditions avez-vous appris votre nomination?

Je l'ai su durant la deuxième moitié des négociations. A partir du moment où le ministère de l'Education nationale avait été attribué aux socialistes, on a su que ce serait moi qui serai choisie. Ces trois dernières années, en tant que députée, j'ai travaillé sur tous les dossiers concernant l'école. C'est un sujet qui m'a toujours intéressée et que j'ai redécouvert au Parlement. Donc, c'était prévisible.

Recevoir ce portefeuille-là, cela vous a-t-il enchanté ou plutôt fait peur? Car on sait bien que le ministère de l'Education nationale est réputé comme un des plus difficiles, pour ne pas dire ingrats, à gérer...

Je pense qu'il n'y a pas de ministère particulièrement ingrat ou particulièrement difficile. Je crois qu'il devient de plus en plus difficile de gérer n'importe quel ministère. Parce que les questions deviennent plus complexes, la société plus compliquée, et la communication de plus en plus importante. Il ne suffit pas de faire, il faut aussi savoir communiquer, ce qui n'est pas le plus grand talent que j'ai...

Pourquoi dites-vous cela?

Mais parce que souvent, j'ai eu l'impression à une époque que ce que je voulais dire n'était pas compris. Mais j'ai pris de bonnes résolutions!

Lesquelles?

Je suis plus patiente qu'avant. Je veux prendre mon temps pour communiquer. Et puis, je suis consciente qu'être ministre de l'Education nationale requiert un travail à long terme: on initie les choses mais on ne voit pas les résultats tout de suite. C'est dans les lycées que se passent les choses et non au ministère: il y a beaucoup de relais, et c'est pourquoi c'est difficile.

Vous allez commencer votre travail avec un «héritage» lourd à porter: les résultats de l'étude PISA, dont les mauvais résultats ont mis en lumière les failles du système scolaire.

La première chose à faire est de définir des compétences, à savoir: quel niveau est censé atteindre un élève à différents niveaux de sa scolarité. Cela nous permettra, d'une part, de mesurer les progrès des élèves en fonction des critères définis, et d'autre part, d'élaborer des programmes adaptés. Car il y a un consensus dans la société luxembourgeoise selon lequel les programmes sont surchargés, et l'apprentissage par cœur privilégié, au détriment de la mise en valeur des connaissances, ce qui a d'ailleurs été mesuré dans l'étude PISA. A la limite, je me dis que l'étude PISA est un moteur pour nous pousser à nous conformer à une pratique pédagogique du modèle de ce qui se fait dans d'autres pays. Mais nous devons aussi nous donner les moyens de mesurer les résultats pour voir si les objectifs sont atteints. Peut-être que le choc de l'étude PISA vient du fait que nous avons toujours pensé que notre enseignement était bien, sans jamais nous donner les moyens de le vérifier. L'enseignement luxembourgeois a des points forts qu'il s'agit de développer. Ce n'est pas une catastrophe. Il faut le voir comme une motivation pour continuer le travail.

Quelles réformes comptez-vous entreprendre en priorité?

Les règlements grand-ducaux sont très disparates pour la promotion et les examens de rattrapage dans les différents ordres d'enseignement: nature de l'examen, nombre d'examinateurs, critères pour passer d'une filière à une autre, etc. La première chose à faire, dès cette année, est d'harmoniser ces critères. La deuxième chose, qui demande une réforme plus en profondeur, concerne l'évaluation des compétences des élèves. En effet, notre enseignement attache beaucoup d'importance à l'écrit, notamment avec l'orthographe et la grammaire. Certes, ce sont des éléments importants, mais je pense qu'il y a d'autres éléments à prendre en compte, comme par exemple la compréhension orale, l'expression orale, la langue, etc. Je ne veux pas remplacer le système du jour où lendemain, mais j'aimerais qu'on prenne en considération ces critères de compétence complémentaires. Je souhaite lancer un débat national sur ce sujet. Mais d'abord, le ministère doit élaborer des propositions.

Comme par exemple la mise en place d'examens de niveau?

Au fond, nous avons un seul examen: le baccalauréat, ou baccalauréat technique. Or, il faudrait certifier à différents niveaux. Il faut aussi des certificats plus individualisés que les bulletins, décrivant mieux les compétences. A mon sens, les notes ne sont pas des indicateurs de ces compétences, car elles dépendent d'autres facteurs, tels le nombre d'élèves composant la classe et leur niveau, la sévérité du professeur, etc.

On l'imagine, cette proposition a pour toile de fond la lutte contre les échecs scolaires.

La lutte contre l'échec scolaire, ce n'est pas nouveau, cela a toujours constitué une priorité pour les ministres de l'Education nationale. Nous projetons de faire une étude sur le redoublement, et parallèlement, une seconde étude sur le passage du primaire au postprimaire. Après le changement de l'examen d'admission et la nouvelle formule d'orientation, j'aimerais avoir un éclairage sur les
effets, positifs ou négatifs, de ces mesures. J'espère obtenir rapidement les résultats.

Comptez-vous poursuivre la voie engagée par votre prédécesseur, Anne Brasseur, sur l'autonomie des lycées?

Oui, je pense que l'autonomie des établissements scolaires est nécessaire pour diversifier l'offre scolaire et permettre aux écoles de chercher leurs priorités, définir leur profil. L'autonomie en question est administrative, mais surtout pédagogique. Je suis prête à donner beaucoup d'autonomie aux écoles, parce que je suis d'avis que le ministère ne doit pas tout décider. Mais la contrepartie, c'est que les écoles prennent leurs responsabilités et qu'on procède à des évaluations régulières des élèves, au minimum après chaque cycle d'apprentissage.

Un projet-pilote figure dans l'accord de coalition du gouvernement, celui de la Ganzdagsschoul. Expliquez-nous comment fonctionnera cette école?

La Ganzdagsschoul ou école à journée continue sera une nouvelle école. Le projet commencera avec uniquement des classes de 7e classique, technique et préparatoire. Les horaires des classes ne seront pas organisés comme dans les autres écoles. Je suis convaincue, en effet, qu'un des problèmes de notre école sont les horaires saccadés. Dans cette nouvelle école, les horaires s'étaleront sur la journée, ce qui permettra aux enseignants de mieux connaître leurs élèves. Par ailleurs, les enseignants travailleront en équipe, de façon à ce qu'ils sachent ce qui se fait dans leurs cours respectifs. On espère commencer à la rentrée prochaine, en 2005.

Le modèle de la Ganzdagsschoul est-il celui de l'école de demain?

Un projet-pilote est fait pour expérimenter. Ce n'est pas parce qu'il y a ce projet qu'il ne faut pas en faire d'autres. L'innovation est la meilleure des choses pour faire évoluer l'école. Mais effectivement, l'idée de la Ganzdagsschoul, c'est de faire de l'école un lieu de vie, où l'élève apprend la journée et fait ses devoirs avec les enseignants le soir.

Il n'y aura donc pas de devoirs à la maison?

Sauf exception, non. Les devoirs à la maison... c'est une de mes hantises! J'y suis formellement opposée. Ils ne font que creuser les inégalités entre les élèves. D'après moi, il incombe à l'école, et non aux parents, d'aider les élèves à faire leurs devoirs. Certains élèves sont privilégiés parce que leur famille peut les aider, alors que d'autres, moins favorisés, n'ont personne pour les aider.
Mon jugement sur les devoirs à la maison m'a valu la réputation selon laquelle je ne demande aucun effort de la part des enfants. C'est faux! Quand un enfant rentre à la maison avec un devoir à faire et que personne ne peut lui venir en aide, je trouve ça terriblement injuste.

Effacer les inégalités entre les élèves serait selon vous un gage de réussite?

Je suis persuadée que pour avoir une bonne école, il faut encourager tous les enfants. On ne pourra obtenir de très bons élèves que si l'on a une bonne moyenne dans les écoles. Une fois cette large base construite, il faut pousser tous les enfants à leur maximum et ensuite seulement, on peut penser à former des élites.

Les enfants à problèmes, handicapés physiques ou mentaux, devraient-ils selon vous intégrer des classes traditionnelles? On pense notamment a certains parents concernés, qui critiquent sévèrement l'éducation différenciée.

Sur cette question, je ne fais pas de sectarisme. Il faut intégrer le plus possible les enfants dans des classes traditionnelles et se donner les moyens de le faire. Mais il restera toujours des cas où, malheureusement, l'intégration ne sera pas possible dans ces classes. Avec les parents, nous devons établir un dialogue pour trouver ensemble des solutions.

Un autre volet figurant parmi vos compétences ministérielles est celui de la Formation professionnelle. Quelles sont vos priorités?

Il existe un avant-projet de loi sur l'enseignement modulaire, élaboré au sein du ministère de l'Education nationale, qui me semble très bien. Pouvoir progresser en allant de module en module est une formule qui me plaît beaucoup. Je dois encore consulter les chambres professionnelles pour connaître leur avis. Ce projet permet la validation des acquis professionnels et laisse également une ouverture sur l'universite. Pour des personnes qui, pour une raison ou pour une autre, ont été obligées d'arrêter leurs études, se dire qu'il est trop tard, c'est vraiment dommage! Très peu de gens passent le bac à Luxembourg: ils s'inscrivent à des cours par correspondance puis passent le bac ailleurs, en France par exemple.

Verra-t-on donc bientôt des retraités passer le bac sur les bancs des écoles luxembourgeoises?

Pourquoi pas!

Quant à vous, étiez-vous bonne élève?

Oui! J'adorais aller à l'école et je garde un souvenir merveilleux de mes études.

Mme Delvaux-Stehres, vous avez tenu à rencontrer tous les partenaires de l'école, quitte à sacrifier vos vacances, avant la rentrée parlementaire. Pourquoi?

On ne fait pas l'école sans les partenaires, on la fait avec. Je n'ai pas encore pu les rencontrer tous, mais j'imagine que les attentes sont différentes pour chacun; peut-être sont-elles légitimes, mais il faut trouver un moyen de les concilier.

Leurs attentes et les vôtres...

Quant à moi, c'est très simple. Je voudrais que l'école mobilise tout le monde – enseignants, étudiants, jeunes, parents – autour d'un objectif: la réussite de chaque enfant. Tirer le maximum des capacités de chaque élève, telle est la responsabilité de l'école et de tous ses acteurs. Je veux une école où les élèves et les enseignants travaillent avec plaisir.

C'est l'école idéale! Cette idée n'est-elle pas utopiste?

Il est clair qu'on n'atteindra jamais la perfection, et que cela demande des changements. Mais il faut y travailler ensemble. Je sais bien que personne n'a de plaisir tous les jours au travail, mais l'idée, c'est que la motivation soit suffisamment forte pour arriver à surmonter les moments où il n'y a pas de plaisir. Je crois qu'on travaille mieux quand l'ambiance est bonne, tout comme je crois qu'un élève fait plus de progrès quand il est encouragé plutôt que blâmé. Ce n'est pas idéaliste, c'est une des règles élémentaires de la pédagogie.

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