Jean Asselborn: "Être ministre des Affaires étrangères, ce n'est pas une punition"

La Voix du Luxembourg: Quelle fut la première chose que vous avez faite lorsque vous êtes arrivé au ministère?

Jean Asselborn: On m'a très vite montré mon bureau et on a rapidement embrayé sur une réunion avec l'ensemble des directeurs. Quand je suis arrivé, beaucoup de fonctionnaires étaient en vacances. C'est d'ailleurs normal car nous aurons besoin de tout le monde à la rentrée pour préparer la présidence luxembourgeoise de l'Union européenne. J'ai également visité l'ensemble de cette maison illustre. Ce qui m'a rassuré, c'est que je me suis très vite rendu compte qu'il y a ici beaucoup de personnes de bonne volonté pour partager avec moi le travail de ce ministère.

Comment appréhendez vous votre mission?

Le ministre des Affaires étrangères luxembourgeois doit se rendre compte que son travail est très important pour son pays car il y va de la viabilité d'un très petit Etat comme nous le sommes dans un contexte spécial qui est le contexte européen. La politique européenne qui prône la paix, la tolérance, la liberté mais aussi l'équité sociale est une chance pour le Grand-Duché de pouvoir survivre. Donc, dans ce contexte, être présent sur la scène internationale est une nécessité pour nous, plus que pour les grands pays tels l'Allemagne, la France ou la Grande-Bretagne. De plus, c'est la dernière fois que nous avons la chance de nous investir dans une présidence de ce genre-ci. C'est d'ailleurs la première et la dernière fois que nous le ferons dans cette Europe à 25. Et, dans ce cadre, je tiens à rendre hommage à mon prédécesseur, Lydie Polfer, qui a très bien préparé cet événement avec l'ensemble des services. Maintenant, il nous faut accélérer les choses pour que tout soit parfait en fin d'année.

Obtenir le poste de ministre des Affaires étrangères a-t-il été un point essentiel des négociations de coalition?

Je pensais, en ma qualité de tête de liste du LSAP mais également comme chef de file des négociations avec le CSV, qu'il était très important pour les socialistes de partager les responsabilités de la politique européenne et internationale avec nos partenaires de coalition. Etre absent dans ces domaines aurait été une faute très grave. C'est pour cela que je me suis investi pour que ce ministère nous revienne.

En clair, c'est vous qui l'avez revendiqué?

Oui, absolument. C'était une revendication pour notre parti et non pas pour ma personne. Nous étions tous d'accord sur ce point d'ailleurs.

Depuis votre arrivée, comment organisez-vous votre emploi du temps?

J'ai rencontré les directeurs des services, j'ai rencontré les diplomates. A cette occasion, je me suis très vite rendu compte de l'importance du travail et de la complexité des dossiers qui nous attendent pour la présidence. D'un point de vue financier, les grands pays ont voulu limiter à 1% de leur PIB leur contribution au budget européen. D'autres pays, et le Luxembourg fait partie de ceux-là, considèrent que c'est trop peu pour que l'Union européenne puisse activement intervenir dans des domaines tels que le social, l'éducation ou encore l'innovation. Actuellement, des discussions capitales pour la construction européenne sont en cours à ce sujet. Le deuxième sujet capital au niveau européen est le problème des Balkans: cela reste un élément d'insécurité et l'Europe élargie ne peut se permettre une guerre à l'intérieur de ses frontières. C'est pourquoi la politique menée dans ce secteur doit être une priorité. Un des dossiers prioritaires sera également très certainement celui de la Turquie. A ce sujet, nous nous alignerons sur la position de l'ancien gouvernement. Si le rapport de la Commission est positif, notre contribution le sera également. A mon avis, nous devons garder la perspective de son entrée dans l'Union européenne mais cela ne se fera pas du jour au lendemain. Ce sera un processus de longue haleine. Il y a évidemment le processus de Lisbonne. Nous sommes à mi-chemin. Il nous faudra lui donner une nouvelle impulsion pour le redémarrer et le mener à bien. Bref, nous avons du pain sur la planche.

Vous êtes également ministre de l'lmmigration.

Oui.

Dans ce cadre, quelle sera votre mission?

Nous allons très certainement créer une direction supplémentaire au sein du ministère des Affaires étrangères. Cette dernière traitera les permis de travail et nous verrons si on y intégre également le traitement des passeports. Dans ce domaine et notamment à propos de la gestion des demandeurs d'asile et des réfugiés, une bonne politique n'est malheureusement pas définissable car il faut traiter les demandes au cas par cas de la manière la plus humaine possible et définir des critères stricts.

Vous ne craignez pas des frictions avec Luc Frieden dans ce domaine?

Non. Luc Frieden est ministre de la Justice et il est en charge de l'immigration clandestine. C'est encore un autre problème. Dans mon ministère, on s'occupera des immigrants qui viennent s'établir ou travailler au Grand-Duché et qui ont une. autorisation pour cela. Les différences sont telles entre les pays pauvres et les pays riches qu'elles engendrent des flux de population de plus en plus importants. Malheureusement, un petit pays comme le Luxembourg ne peut à lui seul absorber toutes les misères du monde. Dans le programme de coalition, il est établi que chaque dossier de demandeur d'asile sera traité au cas par cas avec le plus d'humanité possible. Maintenant, si la justice ordonne une expulsion, elle sera gérée par le ministère de la Justice.

Parlons des négociations de coalition. Comment se sont-elles passées?

C'est déjà loin. Le Premier ministre a dit-que des cinq négociations de coalition auxquelles il a participé, ces dernières furent, en ce qui concerne les problèmes de fond, les plus intéressantes. C'est une référence. Nous avons réussi à travailler sans éclipser les problèmes. Par exemple, ce ne fut pas très facile de trouver un consensus sur certains points mais, en s'attaquant clairement au cœur de chacun d'eux, nous sommes arrivés à un programme cohérent et efficace.

Etes-vous totalement satisfait du résultat?

Absolument. Je m'y retrouve. Evidemment, dans le détail, certaines choses auraient pu être autrement mais c'est justement le jeu d'une négociation. Il faut savoir faire quelques concessions. Mais, globalement, le résultat me satisfait, Nous avons beaucoup travaillé pour amener le pays vers des réformes importantes et indispensables pour son avenir. L'école, les travaux publics, les caisses de maladie, la sécurité sociale sont autant de chantiers capitaux pour le Luxembourg. Nous avons eu la chance de trouver un terrain d'entente pour entamer des réformes profondes dans ces domaines comme dans beaucoup d'autres.

Vous avez néanmoins rencontré quelques problèmes au sein de votre parti à l'occasion de votre congrès. Notamment au sujet de la Mammerent...

Je refuse de rentrer dans cette polémique stérile. Le ministre compétent, Mars Di Bartolomeo, va prendre contact avec les partenaires sociaux et mettra en œuvre ce qui a été décidé dans le programme de coalition. Un point c'est tout. Dans ce gouvernement, personne ne veut mettre en péril notre système de pensions.

Cela n'a pas empêché votre collègue, John Castegnaro, de monter au créneau...

Ecoutez. Ça, c'était avant les vacances, maintenant, on prépare la rentrée.

Vous croyez qu'il a fait cela parce qu'il n'a pas eu de ministère?

Dans ce contexte, il m'importe peu de parier de tel ou tel personnage. Le LSAP a organisé un congrès. A cette occasion, j'ai expliqué aux militants la position de notre parti à ce sujet. Un certain nombre de nos camarades ont décidé un vote secret, ce qui est permis par nos statuts. Ce vote ne laisse planer aucun doute: 82 % des militants se sont déclarés en accord avec les grandes lignes du programme de coalition. Pour moi, c'est ça qui compte. Le reste n'a que très peu d'importance. Dans le passé, il s'est avéré que, à quelques reprises, j'avais des idées qui étaient minoritaires par rapport à l'ensemble des membres du parti. Et j'ai vécu avec. Ce n'était pas un problème. Chacun doit pouvoir en faire autant. Ce sont les règles du jeu démocratique.

Au niveau du gouvernement, vous n'avez pas hérité de ministères très faciles.

Il n'y pas de ministère facile et de ministère difficile. Les membres d'un gouvernement se doivent d'être solidaires les uns des autres. Chaque ministre aura, dans sa délégation, des défis à relever et tous les autres membres du gouvernement devront faire bloc autour de lui et le soutenir dans sa démarche.

Encore une petite question par rapport à la formation du gouvernement. Trouvez-vous normal que Luc Frieden soit à la fois ministre en charge de la justice et de la police?

Dans certains pays européens, cette même option a été prise. Ce n'est pas un cas isolé. Maintenant que cette décision a été prise, ce n'est pas à moi de la commenter. Ce que je peux vous dire, c'est que je suis solidaire de cette décision. 

Depuis que vous êtes ministre, vous avez quitté vos fonctions de bourgmestre. Cela vous a-t-il fait un pincement au cœur?

Nous avons fait récemment une grande fête à Steinfort à laquelle j'avais convié l'ensemble du personnel et des élus avec qui j'ai travaillé durant les vingt-trois années durant lesquelles j'ai assumé cette fonction. Presque tous sont venus. C'était un grand plaisir pour moi. J'ai appris la politique à Steinfort. J'y ai fait mes armes. Toutes ces années, cela ne s'oublie pas. Mais, après près d'un quart de siècle à ce poste, il est bon de changer. J'estime d'ailleurs que c'est un bienfait pour la démocratie. Il faut que les têtes changent de temps en temps.

Pensez-vous que votre fonction de ministre va vous changer radicalement?

Non, absolument pas. Je suis et je reste un homme politique qui cherche à servir la population. Je l'ai fait à Steinfort, au sein de mon parti et maintenant, je vais le faire à l'échelle de mon pays. Cela ne change pas mes convictions et ma personnalité.

Vous allez faire une croix sur le vélo? 

C'est vrai qu'à ce niveau, cela va être un peu plus compliqué. Par manque de temps, tout simplement. Mais, j'espère toutefois trouver quelques heures, en matinée, en soirée ou en week-end, pour satisfaire cette passion. Pour moi, le vélo est un moyen de m'évader. Il est indispensable de pouvoir le faire pour recharger ses batteries.

Comment votre nomination a-t-elle été prise dans votre famille?

Je ne crois pas que ma femme ait explosé de joie car elle sait qu'elle me verra encore moins qu'avant. Mais elle a su toujours m'épauler dans mes différentes fonctions et je suis sûr qu'elle continuera. Mes filles n'ont jamais apprécié la politique car, elles aussi, ont souffert de mes absences. Cela ne les a pas empêchées de venir me voir au ministère (sourire). Il faut bien qu'il y ait des gens pour faire de la politique, sinon la société ne fonctionnerait pas. Et puis, pour être tout à fait clair: ce n'est pas une punition d'être ministre des Affaires étrangères, c'est, au contraire, un grand honneur.

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