"Nous ne restructurerons pas notre économie avec succès contre le personnel" Interview avec le ministre de l'Économie et du Commerce extérieur, Jeannot Krecké

La Voix du Luxembourg: En tant qu'ancien grand sportif, pouvez-vous nous dire s'il existe des points communs entre le sport et la politique et si le premier vous sert dans votre second métier?

Jeannot Krecké: J'ai notamment pratiqué un sport collectif, très populaire, en tant que joueur et entraîneur, ce qui m'a valu d'être au contact de gens issus de toutes les couches sociales. Comme meneur de jeu et entraîneur, il faut apprendre à organiser l'équipe, à penser collectif. Cet apprentissage m'aide beaucoup aujourd'hui car j'aime travailler en équipe et je compte l'appliquer dans mes ministères. Dans mon principe de fonctionnement, on retrouve la consultation permanente de mes collaborateurs. Et comme en sport, il faut savoir travailler avec toutes les sortes de personnalités, faciles et difficiles.

Mais sur un plan plus personnel?

Jeannot Krecké: Dans les deux cas, on apprend à faire des sacrifices, à avoir du mordant, à perdre. Et ce goût de l'effort physique, on peut facilement le transcrire dans la vie professionnelle.

Mais il existe aussi une grande différence lorsque l'on évoque ma pratique de la voile. Comme skipper, tu es seul maître à bord, ce que tu n'es pas toujours en politique. La démocratie à bord n'existe pas. Tu dois écouter mais tu es responsable et tu décides seul. Il n'y a pas d'élection dans un bateau.

Jeannot Krecké a aussi une âme d'aventurier. Elle a failli lui être fatale. Racontez-nous cet épisode de votre vie d'avant la politique?

Jeannot Krecké: En 1989, j'ai piloté un voilier du nom de Norseman pour une expédition au Groenland avec un équipage composé de marins et d'alpinistes. Ces derniers grimpaient des sommets qui n'étaient pas répertoriés. L'aventure m'avait tellement plu que j'ai tenté la même expérience autour du Spitzberg en 1992, à bord d'un voilier luxembourgeois baptisé Moja. Mais nous nous sommes retrouvés bloqués dans le pack. Pendant treize jours, nous étions portés disparus, sans le moindre contact radio avec la terre ferme. Notre bateau aurait dû se trouver écrasé par la glace.

Votre sentiment, à ce moment?

Jeannot Krecké: Nous nous croyions perdus, dans une eau à 4 degrés. Mais nous avons pu établir un contact avec un hélicoptère faisant de la recherche pétrolière. Nous avons donc pu poser deux membres de l'équipage sur la base de la société, non loin d'un village esquimau. Le vent et les marées ont fait que le pack a tourné et nous avons pu nous libérer. Mais tout au long de cet épisode, le groupe dégageait un grand calme et la volonté de s'en sortir car nous avions tous encore beaucoup à faire. Aujourd'hui, je me dis que j'ai vécu une vie très mouvementée et intéressante. Je ne regrette rien.

Recommenceriez-vous?

Jeannot Krecké: Tout de suite. Nous aurions aimé mais nous n'avions pas trouvé de bateau. En juillet 2003, j'ai passé trois semaines à naviguer près des îles autour du cercle polaire. Cela n'avait aucun caractère de dangerosité.

Prenez-vous votre poste ministériel pour un bâton de maréchal, un aboutissement?

Jeannot Krecké: Non, une étape. J'ai la tête pleine d'idées. A moi de mobiliser les ressources pour les réaliser.

Quelles sont vos priorités au ministère de l'Economie?

Jeannot Krecké: La diversification, puis la diversification, et toujours la diversification. Je vais organiser un service uniquement dans cette optique avec tout ce qu'il faut car le monolithisme de notre économie représente un réel danger. Le problème, c'est que l'on n'a pas toujours le choix mais nous visons plutôt des PME de taille moyenne, si possible actives dans les nouvelles technologies.

Nous allons d'ailleurs très rapidement organiser un voyage de prospection avec le ministre responsable des médias et communications ainsi que des finances pour démarcher les nouveaux venus dans le secteur du commerce électronique.

Comptez-vous placer d'autres accents?

Jeannot Krecké: La simplification administrative doit devenir le maître mot. Il faut renverser la tendance, même au niveau communautaire car nous commençons à souffrir d'une surréglementation. Mon directeur du service juridique devient délégué à la simplification administrative et travaillera en étroite collaboration avec le commissaire en place auprès du Premier ministre. Il s'agit d'un élément important de la compétitivité.

A propos de compétitivité!

Jeannot Krecké: Nous avons fait réaliser une étude par un expert français, le professeur Fontagné. Nous allons en discuter et j'espère qu'il en sortira une série de mesures. Mais la compétitivité n'est jamais un acquis figé. Il faut bouger tout le temps.

Pour les mesures, avez-vous des pistes?

Jeannot Krecké: Comme voir si le taux global d'imposition ne doit pas passer sous les 30%, mettre un accent sur la fiscalité des PME, grandes pourvoyeuses d'emplois. La simplification fiscale aussi. Elle n'est pas de mon ressort mais j'y coopérerai volontiers.

Mais dans toute cette palette il ne faut pas oublier la place de l'innovation, de la recherche-développement. Il faut en susciter le goût et pour cela créer le cadre. Il faut encourager, même fiscalement tout ce qui va dans le sens des initiatives innovatrices.

Vous parliez tout à l'heure du commerce électronique. Comptez-vous réformer la loi?

Jeannot Krecké: Il faut détecter les besoins au niveau légal. Une grande étape en sera la réalisation d'un cadre adéquat à la signature électronique. Le secteur privé hésite à s'y lancer, faute de signature authentifiée. Nous allons accélérer le processus car la loi date de 2000 et on a déjà perdu assez de temps.

Lorsqu'on évoque des gains de compétitivité, les syndicats craignent que l'on ne touche aux acquis sociaux. Votre sentiment?

Jeannot Krecké: Nous mettrons sur la table les points forts et les points faibles de notre économie. N'oublions pas que la paix sociale est une des composantes de la compétitivité. Il faut un équilibre entre besoins économiques et protection sociale. Cela fut toujours notre démarche, je ne vois pas de raison d'en changer. La fragilisation des gens qui y travaillent ne représente pas un gain de compétitivité.

Il faut un équilibre sain et serein et il appartient à la politique d'arbitrer entre les deux pôles. Nous ne restructurerons pas notre économie avec succès contre le personnel qui y travaille.

L'indexation automatique des salaires reste une épine dans le pied du patronat.

Jeannot Krecké: C'était toujours la pierre d'achoppement. Or que je sache, il n'y a pas eu de dérapage à cause de l'automatisme. Je ne vois donc pas de raisons de l'abolir. Une réforme est possible mais uniquement dans le consensus, pour l'introduction de tranches minimales et maximales. Ce n'est pas pour demain. Il n'y a pas urgence mais on peut y réfléchir. Vous allez me dire que je me répète mais l'indexation automatique est le fondement de notre paix sociale. Il ne faut pas jouer avec cela.

Pourquoi le commerce extérieur passe-t-il sous votre compétence?

Jeannot Krecké: Tout simplement parce qu'un acteur de moins permettra de mieux coordonner la prospection de nouvelles entreprises, mener une politique cohérente d'image de marque, et encourager les entreprises dans leurs efforts d'exportation.

J'envisage de me rendre au Moyen-Orient pour amener une vingtaine d'entreprises à une grande foire de la construction pour mieux s'y faire connaître.

La Chine est en plein développement!

Jeannot Krecké: Elle sera au menu d'un voyage avec le Premier ministre début novembre. C'est vrai qu'elle connaît un essor foudroyant et il faut se placer pour y participer.

Le niveau élevé du prix du pétrole ne vous tracasse-t-il pas?

Jeannot Krecké: C'est un moment difficile à passer car cette évolution crée de la nervosité à la bourse mais l'économie réelle n'en souffre pas trop. Tout le monde est logé à la même enseigne. Les choses devraient s'arranger.

Quel bilan le ministre des Sports tire-t-il des jeux olympiques d'Athènes?

Jeannot Krecké: Il est positif, tous ont réussi à reproduire des performances à leur niveau. Certes, au tennis, les attentes étaient supérieures mais, en natation, Lara Heinz a réussi à battre un record national dans une manifestation d'une telle envergure, cela témoigne d'une grande maturité. J'espère qu'elle va continuer.

Nos coureurs cyclistes ont réussi un formidable exploit et Kim Kirchen, ce fut vraiment la cerise sur le gâteau. J'ai aimé sa réaction, sa déception. Elle montre qu'il en veut.

Quelle sera votre politique pour le sport de haut niveau?

Jeannot Krecké: Je compte mettre à plat toutes les mesures prises ces dix dernières années. J'aimerai les évaluer, rectifier le tir s'il le faut, voir s'il existe encore des besoins en infrastructures, pour ce qui touche aux classes sportives, aux centres de formation.

Quelle importance accordez-vous au sport d'élite?

Jeannot Krecké: Aux sportifs eux-mêmes, il permet de se développer s'ils ont la volonté et la capacité mais il sert aussi de locomotive au sport loisir. Il nous faut susciter l'envie de pratiquer des activités sportives pour compenser notre vie sédentaire qui pèse sur l'état de santé de la population. Mais je pense que nous devons bien étudier tous les maillons de la chaîne pour voir s'il n'y a pas de lacunes dans l'infrastructure sanitaire. J'ai aussi l'impression que beaucoup d'installations sportives restent inoccupées pour des questions d'organisation, ce qui représente un frein à la pratique.

Le sport scolaire a aussi son importance. Le projet-pilote de journée continue permettra de le valoriser. Pour ce qui est du sport-étude, nous rêvons toujours d'un internat sportif, mais comme il n'existe pas, nous tenterons de créer un embryon de structure.

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