Luxembourg doit redevenir une place où l'on ose prendre un risque. Interview avec le ministre de l'Économie, Jeannot Krecké

Paperjam: Monsieur le ministre, quelles ont été vos premières actions depuis votre prise de fonction?

Jeannot Krecké: J'ai, dans un premier temps, procédé à la réorganisation interne de la maison, autour de trois directions. La plus importante concerne la diversification économique, l'innovation et l'entrepreneuriat. Elle aura, à sa tête, Georges Schmit (ancien président du Conseil d'administration de la SNCI et secrétaire général du ministère sous l'ère Grethen, NDLR).

Ensuite, la coordination générale, la politique régionale, la protection des consommateurs et les services juridiques, mais aussi le département énergie, ont été confiées à Elisabeth Kieffer (Conseiller de gouvernement lère classe, en charge de la politique régionale et des fonds structurels dans le précédent ministère, NDLR).

Enfin, Serge Allegrezza, en plus de la direction du Statec, aura sous sa responsabilité la cellule d'études et de prospection du ministère, ainsi que le suivi du processus de la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne. Il conservera également un rôle actif dans l'observatoire de la compétitivité.

Ce qui est nouveau, c'est que le Commerce extérieur est désonnais rattaché au ministère de l'Economie et il faut donc encore finaliser la mise en place du groupe qui aura ces fonctions-là en charge.

L'une des ambitions affichées par les socialistes lors de la campagne électorale était d'obtenir la fusion des ministères de l'Economie et des Classes moyennes. Cela ne s'est finalement pas concrétisé. Le vivez-vous comme un premier échec?

Jeannot Krecké: Cela nous a évidemment plutôt laissé des regrets, d'autant plus que les discussions ont été nombreuses à ce sujet. Mais une fois ce regret passé, il faut se mettre au travail.

Avec le ministre Boden, il faut faire en sorte d'agir afin que les PME et les classes moyennes aient voix au chapitre. Nous souhaitons surtout éviter les doubles emplois et intensifier les efforts de coordination. Ce n'est pas parce qu'il y a deux ministères que la politique n'est pas bonne.

L'économie constitue un tout. Il faut éviter de le morceler en trop d'entités. On a déjà le secteur financier, les médias. Pour qu'il y ait un maximum de cohérence, il ne faut pas trop s'éparpiller.

Regrouper le commerce extérieur avec l'économie est déjà une belle avancée. La promotion des exportations et des produits pourra ainsi être mieux coordonnée avec d'autres missions de prospection en vue d'attirer les investisseurs, ici.

Dans quel état général jugez-vous l'économie luxembourgeoise actuellement?

Jeannot Krecké: Nous sommes clairement dans une phase d'attente et j'espère que le redémarrage va se faire rapidement. Mais n'oublions pas qu'une partie de notre croissance se joue en dehors du pays et tout ce qui se passe en France ou en Allemagne va jouer directement sur nos entreprises. Un des principaux thèmes que nous allons développer ces prochaines années va être la compétitivité de nos entreprises. Nous sommes en train de faire le point et nous attendons, pour l'automne, les conclusions du rapport du Professeur Fontanier, qui sera discuté en réunion tripartite. Il en découlera une série de mesures qui devraient souligner et améliorer les avantages du Luxembourg, mais aussi identifier nos faiblesses.

Et pour que ce ne soit pas une affaire d'un jour, il y a cet observatoire de la compétitivité, qui existe déjà, et qui va suivre l'évolution des différents critères et points qui auront été relevés par le rapport Fontanier.

Et dans quel état avez-vous trouvé le ministère en arrivant?

Jeannot Krecké: J'ai vraiment trouvé le ministère, en tant que tel, dans un bon état, avec une base au niveau ressources humaines qui est très bien fournie. Tout, après, n'est plus qu'une affaire d'organisation et de mise en place, avec des idées qui sont différentes de ce qui se faisait avant, mais la base est bonne. Je n'ai, pour cela, aucun reproche à faire à mon prédécesseur.

Vous aviez évoqué, avant les élections, la volonté d'être proactifs, afin de dépendre le moins possible des facteurs conjoncturels extérieurs. Concrètement, qu'entendez-vous par là?

Jeannot Krecké: Cela tient en deux mots: diversification et encore diversification! Il est impératif d'essayer de répartir l'activité sur beaucoup plus de branches et ne pas être uniquement axé sur une seule industrie. Cela passe par de la prospection. Nous sommes en train de mener des démarches aux Etats-Unis auprès de sociétés d'équipements automobiles, auprès d'entreprises que nous connaissons déjà, mais nous visons aussi, dans le secteur du commerce électronique et des hautes technologies, les groupements susceptibles de venir au Luxembourg.

A ceux-là, il conviendra d'offrir non pas un seul avantage concurrentiel d'ordre fiscal, mais aussi de bonnes conditions en ce qui concerne les infrastructures informatiques et de communication. Ce sera un atout essentiel.

En tant que Luxembourgeois, on sous-estime encore trop certains de nos avantages, surtout à l'égard des firmes américaines, qui prennent en compte des aspects liés à l'environnement général où se crée l'entreprise. Ce sont des hommes et des femmes qui vont créer et diriger ces entreprises. Tous ont de la famille et la qualité de la vie, la sécurité générale qui existe dans ce pays ou encore l'environnement pour l'éducation des enfants seront des éléments à souligner davantage, car ils deviennent importants aux côtés des aspects fiscalité, loi du travail ou charges sociales. Je pense que, jusqu'à présent, nous n'avons pas assez souligné, surtout par les temps qui courent, le haut niveau de qualité de vie que nous avons au Luxembourg.

Quels moyens comptez-vous investir dans ces efforts de prospection et de diversification?

Jeannot Krecké: Il s'agit évidemment d'un point essentiel. Au niveau financier et personnel, on va mettre le paquet et la façon dont a été organisé le service l'indique déjà. Je pense qu'avec la coordination qui peut se faire à différents niveaux, que ce soit pour le commerce extérieur ou le département innovation, industrie, PME/FMI, le travail pourra porter des fruits différents de ce qu'on a vu jusqu'à présent.

La moitié des effectifs du ministère sera rattaché à cette partie diversification et développement économique. Les deux autres directions se répartiront l'autre moitié des effectifs.

Parmi les choses nouvelles que je veux imposer, j'ai indiqué aux différents services qu'à chaque fois que nous lancerons une démarche visant à établir une quelconque réglementation, il faudra se poser trois questions: est-ce absolument nécessaire ? Y a t-il moyen de le faire de façon plus simple ? Et enfin, existe-t-il des instruments et des moyens de communication qui permettent de réduire la charge?

Nous allons lancer, d'ici au mois de novembre, le guichet unique virtuel des entreprises. Il est vraiment temps, car le Luxembourg est en train de perdre un des avantages qu'il avait: celui des chemins administratifs courts, simples, directs.

Il y a actuellement trop de sur-réglementation à différents niveaux. Il y a déjà des directives qui arrivent de Bruxelles et très souvent, on y ajoute des éléments propres, ce qui fait que les entreprises se trouvent en face de démarches administratives de plus en plus complexes. Cela ne peut que nuire à l'esprit d'entreprise et il faut clairement mettre en place des démarches administratives qui vont dans ce sens-là.

J'ai demandé aux services travaillant ici, de montrer, en interne, cet esprit d'entreprise que l'on attend à voir au dehors. J'aimerais que les idées novatrices et les réformes trouvent leur place dans le ministère et ne soient pas une simple gestion des affaires.

Vous touchez du doigt le retard pris dans le développement du programme eLuxembourg. Serez-vous un des moteurs de sa relance?

Jeannot Krecké: Lorsque j'étais dans l'opposition j'ai souvent souligné que la situation dans laquelle nous nous trouvions était inadmissible. J'aimerais bien, en effet, au niveau du gouvernement, mettre le doigt sur les différentes plaies, même si cela n'est pas, à chaque fois, de mon ressort.

Je pense aussi au problème de la signature électronique, qui traîne depuis trop d'années. Or, certaines administrations refusent l'échange d'informations et de données s'il n'y a pas une authentification au préalable. Nous allons donc leur fournir au plus vite cette signature électronique. Mais j'attends aussi de certaines administrations qu'elles mettent l'accent sur le développement de leur propre outil informatique, ce qui n'a pas toujours été le cas jusqu'à présent. Il y a encore des faiblesses notoires.

Je rappelle qu'en 1997, dans mon rapport sur la fraude fiscale, j'avais relevé les faiblesse au niveau communication informatique, à tous les niveaux. Sept ans plus tard, je constate que malgré quelques avancées, on est encore loin du compte et on discute encore de choses qui étaient déjà prêtes à être mises en place à l'époque.

Il y avait un programme baptisé Impôts 2000, pour les impôts directs. Je suppose qu'il avait ce nom-là pour une certaine raison et j'espère que nous n'aurons pas à le rebaptiser Impôt 2010.

Il n'y a guère que pour la TVA où on a pu noter des avancées sur les éléments les plus modernes au niveau de la communication et du traitement des données.

A quoi attribuez-vous cet éternel retard pris en la matière?

Jeannot Krecké: C'est probablement un mélange d'aspects techniques et de mentalités. Il faut se dire aussi qu'il y a une génération de dirigeants d'entreprises et de dirigeants de la fonction publique, actuellement en place, qui ont plus ou moins mon âge et qui n'ont jamais vu d'ordinateur personnel au niveau de leur formation. Ils n'ont évidemment pas la même approche que la génération qui suit. Si, à la tête d'une organisation, vous n'avez pas le feeling pour ce type d'instrument de travail, automatiquement, le reste suivra...

C'est le problème d'une génération qui est entre deux chaises, qui n'a pas connu l'informatisation et qui a dû se l'approprier, alors que la nouvelle génération arrive avec tous ces moyens de communication qui lui sont naturels. Moi-même, je n'ai eu ma première calculette électronique qu'en 1993, lorsque j'ai commencé ma vie professionnelle. Aujourd'hui, l'informatique est un instrument clé de mon travail, parce que j'ai su, aussi, suivre des formations spécialisées. Le Life-long leaming est, dans ce domaine, essentiel.

Je crois qu'au Luxembourg, on a vraiment raté le coche. On avait l'argent, on avait les infrastructures, très performantes notamment au niveau des banques, on avait le know-how, mais on a oublié de vraiment le développer. Il n'est jamais trop tard, mais on a pris un retard concurrentiel évident.

Le programme eLuxembourg représente-t-il la seule source de simplification administrative telle que vous la souhaitez?

Jeannot Krecké: On peut décliner le sujet sous plusieurs aspects différents... Un entrepreneur doit par exemple encore aller à 36 endroits différents pour remplir une feuille et mettre un timbre. Avouez que le timbre d'enregistrement, qui était peut-être intéressant il y a deux siècles, n'est certainement plus le moyen de paiement le plus rapide et le plus moderne. Et pourtant, il existe toujours... Les gens doivent se déplacer à différents endroits, prendre sur leurs congés, perdre du temps... Et on s'étonne qu'il n'y ait pas un réel esprit d'entreprise!

Prenons aussi l'exemple des faillites frauduleuses. On ne les a pas assez combattu au Luxembourg, car on n'a pas osé prendre les mesures appropriées. Or cela consiste essentiellement à traiter les données et les éléments d'information qui sont à disposition dans les différentes administrations. Il suffit qu'un groupe spécialisé y jette un coup d'œil! Un bon travail pourrait être fait avec une bonne collaboration entre les administrations.

On a voulu s'attaquer au problème des faillites frauduleuses par le mauvais bout, en augmentant le capital d'entrée pour créer une société. C'est l'inverse qu'il faut faire! Si on veut qu'il n'y ait plus de faillite frauduleuse ou conjoncturelle, il faudrait multiplier par 1.000 le capital de la société pour que ça donne un effet. Vu que ce n'est pas possible, il faut faire l'inverse, c'est-à-dire faciliter l'accès à la création d'entreprise d'un côté, mais, parallèlement, renforcer le contrôle.

Les éléments relatifs à la TVA, aux impôts sur salaire et aux prélèvements sociaux suffisent à montrer si une société est en difficulté ou non. Et dans le cas d'une faillite frauduleuse, encore plus. On perd actuellement énormément d'argent au niveau de la TVA et de la fraude carrousel... Il faudrait donc un travail renforcé sur ces domaines où l'on a des faiblesses évidentes et ne pas surcharger les autres domaines. Il faut cibler là où le bât blesse.

Le ministère de l'Economie devra-t-il également appuyer les initiatives en matière de fonds d'amorçage pour les jeunes entreprises en phase de démarrage?

Jeannot Krecké: En matière de financement, la SNCI doit jouer un rôle beaucoup plus fort que jusqu'à présent. M. Reinesch, l'actuel président, a commencé à travailler dans ce sens là, sous la double tutelle finance-économie. Nous comptons bien utiliser l'instrument SNCI pour faciliter l'accès à certains capitaux risques, car la SNCI doit avoir dans sa mission politique la possibilité de libérer des capitaux à risque.

Celui qui ne risque rien n'a rien et peut-être l'une ou l'autre entreprise que l'on aura soutenu ne trouvera pas le succès escompté, mais il faut vivre avec cette idée! Si on ne veut aider que ceux pour qui on est sûr d'avoir des résultats, on restera cantonné sur quelques secteurs et on ne pourra pas miser sur la diversification.

Pensez-vous que cela soit suffisant pour relancer l'esprit d'entreprise au Luxembourg?

Jeannot Krecké: L'esprit d'entreprise en tant que tel, on ne peut pas le décréter! Il faut créer une atmosphère et ce n'est pas quelque chose qui se fait en quelques mois ou en quelques années.

Cela commence par les contacts entreprise-école. Il y a des initiatives que j'ai pu suivre durant la dernière année et qui sont encourageantes, mais il faut ouvrir davantage l'école – les enseignants autant que les élèves – en direction des entreprises.

On ne peut pas se contenter d'une société où les résidents luxembourgeois essaient de se retrouver dans la fonction publique ou dans les secteurs protégés paraétatiques et où les étrangers et les frontaliers seraient les seuls à prendre les risques. Cet esprit d'entreprise doit venir également au niveau des résidents; on ne peut pas toujours le demander aux gens qui viennent de l'étranger. Il faut que le Luxembourg redevienne une place où l'on ose prendre un risque.

De quels atouts disposez-vous pour renforcer cette promotion de l'esprit d'entreprise?

Jeannot Krecké: Outre le financement, il y a aussi tout ce qui touche à la formation et à la recherche, laquelle doit se faire en plus étroite collaboration avec les centres de recherche public. Il faut aussi ouvrir l'Université car il est indispensable qu'il y ait des flux entre les entreprises et l'université, et que les entreprises aient un accès facilité aux fonds de recherche.

Au niveau européen, on l'a compris. Du reste, au cours de la prochaine présidence luxembourgeoise, il y aura un bilan à mi-parcours du processus de Lisbonne (les Etats membres de l'Union se sont notamment engagés, pour 2010, à consacrer 3°/o de leur PIB aux dépenses publiques et privées en matière de recherche et développement, NDLR) et je suis curieux de voir où on en sera en 2005 ! J'ai l'impression que la plupart des pays ne sont pas en avance sur l'échéancier tel qu'il aurait dû être mis en place.

Le problème est que pour que cette stratégie de Lisbonne porte ses fruits, il faut des réformes. Or, "réforme" semble être devenu un mot de tous les malheurs. Quand on regarde autour de nous, les pays qui ont engagé des réformes ont tous des problèmes de communication avec le public, quelle que soit leur composante politique. Jadis, réformer voulait dire moderniser, relancer des choses. Aujourd'hui, ça a une consonance négative et tout le monde se rebiffe automatiquement devant celui qui veut faire des réformes. Il y a une réelle difficulté à passer cette barrière d'esprit conservateur qui reste dans notre société.

L'un des derniers chantiers engagés par votre prédécesseur était la réforme du Statec. Où en est-elle?

Jeannot Krecké: Le traitement des données qui se fait actuellement au Statec est déjà bien meilleur que ce qui se faisait avant. Il est essentiel pour un gouvernement, qui veut savoir où il va, de savoir d'abord où il est. Mais ce que j'observe, c'est que nous commençons à avoir trop de collectes statistiques éparpillées. Il est de notre intérêt de regrouper tout ce qui touche la demande et le traitement des données.

Le Statec est actuellement bien équipé pour cela et on peut le développer davantage, plutôt que de travailler chacun dans son coin. C'est malheureusement une tendance que l'on remarque très souvent au Luxembourg: chacun veut se créer une chasse gardée. Il convient pourtant de ne pas éparpiller nos efforts.

Nous avons de toute façon pris conscience que les instruments d'évaluation qui permettent de voir clair dans la situation économique du pays doivent être améliorés. Par exemple, l'avis sur l'évolution de la conjoncture économique doit se faire de façon trimestrielle et être basé sur des chiffres à partir desquels on peut vraiment travailler. A un certain moment, le gouvernement précédent a été pris de court, car il a tenu un discours qui n'était plus en phase avec la réalité.

D'ailleurs, nous avons reculé le dépôt du budget 2005 de plusieurs semaines afin de disposer des chiffres les plus fiables possibles. Il était, précédemment, établi en juillet pour être déposé en septembre. Cette année, nous allons attendre fin septembre-début octobre pour procéder aux derniers ajustements avant de le déposer courant octobre.

Le fait que Serge Allegrezza, à qui vous allez confier plus de responsabilités, partage les mêmes tendances politiques que vous, vous facilite-t-il la tâche?

Jeannot Krecké: Je dois dire que je retrouve pas, ici, les clivages politiques au niveau des fonctionnaires que l'on peut peutêtre trouver dans d'autres ministères. Même si Serge Allegrezza aura certaines responsabilités au niveau du ministère et pas uniquement comme directeur du Statec, je dois dire que ma collaboration avec Georges Schmit ou Elisabeth Kieffer est de la même qualité. Ce sont des fonctionnaires qui ont une mentalité où l'intérêt général prime sur leurs propres idées politiques.

D'ailleurs, je n'ai pas changé les éléments en place et je n'ai pas pris quelqu'un de l'extérieur pour être mon conseiller particulier. Je n'en aurai pas besoin ici, car les personnes avec qui je travaille ont un esprit très sain au niveau de l'approche politique. Il y a d'autres ministères où cela aurait été utile. Ici, on est bien équipé.

Au sein de la coalition, vous gouvernez dans l'ombre du surpuissant CSV. Ne craignez-vous pas de ne pas avoir les moyens de vous faire entendre ?

Jeannot Krecké: Si je regarde les ministères que nous avons, ce ne sont pas des ministères de 2e ou 3e choix. Nous avons les affaires étrangères et un bloc avec le Commerce extérieur et l'Economie. Nous avons également les Transports, qui sont une autre composante essentielle, tant au niveau économique que sur un plan concurrentiel. Il s'agit-là d'un des éléments clefs quand on considère le flux de gens qui viennent travailler tous les jours et à qui nous devons offrir des conditions acceptables de confort et de rapidité. Si les gens arrivent constamment en retard au travail parce qu'ils sont restés coincés dans les bouchons, le pays à beaucoup à perdre.

Non, vraiment, je ne vois pas de petit ministère dans le paquet que nous avons. Bien sûr, il y a des évidences et les chiffres sont têtus: nous disposons de 14 sièges au Parlement, contre 24 au CSV. Mais, au niveau de la formation du gouvernement, nous ne ressentons pas un tel écart.

Je trouve que le formateur a su doser de façon à ne pas trop affaiblir son partenaire de coalition et a franchement essayé de ne pas montrer trop clairement la suprématie du CSV. De toute façon, un gouvernement ne fonctionne pas comme ça! Si un partenaire sent qu'il a été roulé, il va essayer de se démarquer beaucoup plus et souligner beaucoup plus sa différence et cela ne donnera pas un ensemble cohérent. Ça, le formateur l'a bien compris.

Qu'avez-vous retenu de l'échec du DP aux dernières élections?

Jeannot Krecké: La première erreur commise par le DP, nous ne l'avons pas faite nous-mêmes. En 1999, il avait basé son retour au gouvernement sur des promesses au niveau de la fonction publique, qu'il savait très bien qu'il ne pourrait sans doute pas tenir.

En ce qui nous concerne, je ne pense pas que nous ayons annoncé quelque chose ayant une répercussion aussi large que celle des pensions au niveau de la fonction publique. J'étais en place au niveau de la présidence du groupe et jai toujours dit: Attention, tout ce qu'on va raconter, j'aimerais que vous soyez capables de le réaliser une fois dans la majorité. D'une manière générale, je pense que nous avons évité cet écueil-là.

Quant à savoir quelles ont été les autres raisons de l'échec du DP, j'avoue que je n'ai pas encore bien compris ce qui a pu se passer entre un partenaire qui voit le nombre de ses voix exploser et l'autre qui s'effondre. C'est assez rare de voir la façon dont cela s'est fait...

Il faut tout de même relever que le gouvernement précédent, du moins sa composante libérale, a entamé beaucoup d'études, de réflexions et de débats et sur certains points essentiels, mais qu'ils n'ont rien concrétisé ni mis en place au moins quelque chose de palpable pour l'électeur.

Regardez la signature électronique! En 1999, nous avons été un des premiers pays à voter la loi sur le commerce électronique. 5 ans après, la signature électronique n'est toujours pas 1à... Au niveau des transports, on a beaucoup discuté et finalement on est plus ou moins arrivé à la situation où l'on était en 1997! Il n'y a pas eu 1 km de rail posé, ni au moins une ligne de ce programme qu'ils ont baptisé mobilité.lu et que nous avions appelé BTP mis en place.

Le concret manque! Si nous voulons réussir, il ne faut pas se poser trop d'objectifs, mais quelques objectifs concrets que nous allons effectivement réaliser. C'est dans nos cordes. Il ne faut pas discuter de ce que sera Luxembourg en 2050, se casser la tête là-dessus et ne rien avoir à montrer de potable actuellement. Si nous voulons réussir, il faut montrer que nous sommes capables de faire quelque chose pour moderniser le pays.

Est-ce parce que les partis ont préféré éviter d'avoir à s'avancer sur des projets qui pourraient être irréalisables, que la campagne électorale s'est finalement révélée aussi terne?

Jeannot Krecké: Il faut bien voir que nous avons une situation particulière, au Luxembourg, qui empêche un renouvellement complet de la coalition, comme cela peut se faire en Allemagne. Il y a toujours un des deux partis qui reste en place, ce qui implique que l'on ne peut jamais faire de redémarrage complet, puisque ce parti ne va pas faire le contraire de ce qu'il a fait auparavant. En prenant l'option choisie par le DP d'avancer des choses totalement différentes de ce qui a été fait, on court un risque de ne pas pouvoir remplir ses promesses...

Et l'échec du parti socialiste en 1999? Ses leçons ont-elles été retenues?

Jeannot Krecké: En 1999, nous avions un peu perdu notre compétence sociale, qui était notre point fort. Depuis, on a fait à nouveau une partie du chemin.

Nous avions essayé de miser sur l'innovation, avec une idée moderne dans le logo, mais nous n'avons pas suivi le mouvement à l'intérieur du parti ni dans nos réflexions. Les projets n'ont pas suivi le logo. Nous aussi avons eu le même problème de ne pas avoir réussi à mettre du concret en place.

Le CSV a introduit du sang neuf dans le gouvernement; le DP s'apprête à faire une cure de jouvance. Qu'en estil du parti socialiste, qui n'a présenté, au gouvernement, que quelques-uns de ses plus anciens leaders?

Jeannot Krecké: Si je regarde au niveau de notre présence au gouvernement, nous avons Maddy Delvaux, 54 ans, qui a déjà une expérience de ministre. Tous les autres sont nouveaux! Et quand on compare avec l'étranger, nous sommes dans une situation assez particulière, car nous sommes encore relativement jeunes, des novices.

Maintenant, il est clair qu'au niveau des structures du parti, oui, il est temps de changer. Mais cela va se faire automatiquement! Il y aura des gens nouveaux à tous les niveaux. Si vous regardez les députés élus, il y en a 8 nouveaux, dont la plus jeune de la Chambre. Ce sont des personnes que l'on n'a jamais vu sur la scène politique au niveau national.

N'y a t-il pas, aujourd'hui, une savoureuse opposition entre le fait d'être socialiste et celui de devoir diriger le ministère de l'Economie?

Jeannot Krecké: Moi, je ne vois pas de problème à être au Parti socialiste tout en étant ministre de l'Economie. Il y a plusieurs aspects à considérer. Tout d'abord, il y a ce jeu entre économie, social et environnement, qui est de plus en plus important. On le voit dans l'idée de développement durable. C'est l'équilibre entre ces trois forces qui doit primer dans un parti. Dans notre dénomination, nous n'avons peut-être pas l'élément environnement ni économie, mais il faut se dire que sans économie, on ne fait pas de social non plus.

Faut-il changer le nom du parti? Ce n'est pas en changeant le nom que l'on change le parti. Mais il est sûr que la référence "ouvrier" dans notre dénomination tient vraiment plus de la tradition. Nous ne sommes pas un parti d'ouvriers! Si nous utilisions plutôt le terme "travailleurs", cela serait un élargissement qui clarifierait la position. Mais étant donné que c'est une dénomination luxembourgeoise et allemande, le terme "ouvrier" prête à confusion et j'ai souvent dit que beaucoup de gens ne comprenaient pas cette démarche de tradition et de modernisme.

Dans notre parti, il y a eu quelques mouvements d'hésitation, auxquels j'ai participé, pour changer le nom afin qu'il y ait une réelle cohérence du message. Mais ce n'est pas facile à faire. Le parti a un fort ancrage et une base... Nous n'avons pas encore vraiment posé le problème, pour le moment. Nous nous apprêtons à une transition et le prochain président du parti sera probablement Alex Bodry. Il faudra voir ce que lui et son équipe veulent faire avec les membres du gouvernement et du groupe. Il y aura une réflexion à mener.

Mais changer le nom ne nous changera pas, nous. Les principes de communication, les messages, eux aussi sont têtus, tout comme les chiffres. C'est sûr que la base allemande et française du parti socialiste, le mouvement et le monde ouvrier, nous l'avons ici, mais il est en grande partie non votant...

Le développement durable que vous évoquiez constituera-t-il un des thèmes forts de cette législature?

Jeannot Krecké: Oui, certainement ! Il y a toujours cette idée d'une réflexion à mener systématiquement, lors de toute mise en place d'éléments qui auront des effets sur la durée, de se demander si cela va dans le sens d'un développement durable et si nos enfants ne se retrouveront pas devant des barrières insurmontables. C'est une prise de conscience à rappeler en permanence.

Je ne dis pas qu'on y réussit toujours, mais la réflexion est davantage dans les esprits qu'il y a dix ans et on se pose vraiment la question de l'équilibre entre qualité de la vie, environnement, social et économie. C'est un choix de société. Si on veut beaucoup plus de qualité de vie et moins d'industrie, il y aura moins d'économie et moins de social. C'est clair. Cela se résume parfois à cette équation-là.

Il faut trouver un équilibre sain. Celui qui croit qu'au Luxembourg on ne peut avoir que de la verdure et une grande qualité de vie, mais très peu de monde qui circule près de sa porte, avec beaucoup de mètres carrés disponibles dans son jardin et un air propre, cela veut dire qu'il n'y aurait pas beaucoup d'activité autour, ni au niveau mobilité, ni au niveau économique. Et cela veut dire aussi que l'on ne pourrait pas avoir la même qualité de protection sociale que l'on a actuellement et qui est très élevée car on l'a fiscalisée. Et pourquoi a-t-on pu la fiscaliser autant? Parce qu'on a vécu un développement économique qui fut largement supérieur à celui d'autres pays grâce aux secteurs sidérurgique puis financier. On a gagné beaucoup d'argent qu'on a essayé de répartir. Il faut toujours gagner de l'argent avant d'en répartir...

Sur un plan personnel, comment vivez-vous cette nouvelle étape dans votre carrière politique?

Jeannot Krecké: C'est évidemment quelque chose de palpitant. Je pense avoir suivi une saine progression dans ma carrière, d'étape en étape: de député, je suis devenu président de groupe, puis ministre. On ne peut que se réjouir, franchement, lorsqu'on arrive à un moment où on a la possibilité de concrétiser des choses sur lesquelles on a beaucoup discuté auparavant.

J'ai souvent changé d'activité dans la vie et voilà que je change à nouveau. Je ne me vois de toute façon pas dans une situation où je prendrais un emploi et attendrais d'être pensionné. Il faut faire quelque chose de nouveau de temps en temps, pour se revigorer soi-même, pas uniquement dans les relations, mais aussi dans la profession exercée.

J'ai, en quelque sorte, un contrat à durée déterminée pour 5 ans, éventuellement renouvelable. Mais ce n'est pas ce que je cherche. Je souhaite avant tout que cette étape soit un succès personne] pour moi. Si l'électeur le perçoit aussi comme ça, tant mieux!

Je commence à m'approcher d'un âge où je peux me dire que je fais une activité pour l'activité et non pas pour construire toute une carrière derrière. J'ai 54 ans et si je réussis à faire ce que j'ai en tête et ce dont j'ai envie, sur les 5 années à venir, j'estimerais avoir bien rempli ma vie professionnelle. Et je pourrais encore faire quelque chose après.

Je n'ai pas l'idée fixe d'être réélu à tout prix aux prochaines élections, mais seulement la volonté de faire quelque chose de valable. Je ne compte donc pas m'exciter à tous les endroits où peut se trouver un électeur. Discuter avec les gens, oui, mais pas en ayan à l'esprit que chaque interlocuteur est une voix potentielle. En politique, certains ne voient plus les gens mais uniquement les voix...

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