"On veut une université avec un rang d'excellence". Interview avec François Biltgen et Octavie Modert du ministère de la Culture, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche

Le Quotidien : Huit ans après la loi du 11 août 1996 portant sur la réforme de l'enseignement supérieur, quel bilan tirez-vous des étapes ayant conduit à la création de l'université du Luxembourg?

François Biltgen : Cette loi constitue un tournant majeur dans notre politique parce qu'elle permet au Luxembourg de jouer dans une autre ligue qu'auparavant. C'était nécessaire, d'une part, à cause de l'avènement de la société de la connaissance et, d'autre part, la situation sociologique luxembourgeoise le réclamait en tant que terre démigration et surtout d'immigration. Les deux tendances sont liées.

On dit souvent que la richesse de notre pays au cours de la première moitié du XXe siècle était sous terre. Pendant la seconde moitié du XXe siècle, elle était dans les lois qui étaient les niches de souveraineté. Pour la première moitié du XXIe siècle, on voit notre richesse dans nos têtes, donc la société de connaissance. Il y a cent ans, on vivait grâce à des hauts fourneaux qui fumaient; aujourd'hui, on vit grâce aux têtes qui fument.

En revanche, il faut savoir que chaque révolution économique que le Luxembourg a traversée a toujours causé des transformations sociologiques, ethniques et autres. Beaucoup de questions se posent auxquelles nous essayons toujours de répondre. Il est important, à l'avenir, d'accompagner ces nouvelles révolutions économiques – que l'université devra engendrer – par une réflexion d'ordre sociologique, historique, scientifique, etc.

Octavie Modert : La société de la connaissance doit trouver son prolongement à travers la mise en place de l'université du Luxembourg. Par ailleurs, le fait est que le Luxembourg a toujours manqué de think-tanks. Cela ne veut pas dire qu'ils puissent tout résoudre, mais ils peuvent accompagner un processus de décision ou faire des recherches plus approfondies.

D'où la politique de soutien vis-à-vis des centres interdisciplinaires?

Octavie Modert : Tout à fait. C'est une expérience qu'il faut développer dans l'université plutôt que de s'éparpiller.

Pour réussir ses objectifs, l'université de Luxembourg doit trouver un recteur. Cette personne est-elle désormais identifiable?

Octavie Modert : On est sur le point de trouver cette perle rare.

Quels sont les critères de sélection?

Octavie Modert : II doit bien s'identifier avec les objectifs de l'université du Luxembourg qui fonctionne en symbiose avec la recherche et qui travaille sur certains domaines de priorité fixés. Cette personne devra avoir un esprit d'ouverture vu la proximité entre le Luxembourg et les pays qui l'entourent. Ce recteur devra aimer le Luxembourg et avoir l'esprit ouvert sur le monde tout en se sentant à l'aise au Grand-Duché.

Il faudra également que ce recteur accepte le poids important de l'État dans la construction de l'université.

Octavie Modert : L'université est autonome, l'État n'a donc pas beaucoup de poids. L'autonomie est un principe inscrit en grandes lettres dans la loi sur l'université.

Pourtant, l'article 36 de la Constitution explique clairement que l'État est responsable de l'éducation.

François Biltgen : Oui. Chacun doit prendre ses responsabilités au Luxembourg, rien que ses responsabilités et toutes ses responsabilités. Le gouvernement est là pour fixer les objectifs, mais ne doit pas être présent pour régler des questions de détail (choix des professeurs, des programmes, etc.). Il y a actuellement un petit flou. Le gouvernement doit fixer les objectifs politiques, mais aussi le budget dans le cadre de ses priorités. Pour le reste, l'université – si elle veut devenir une université – aura beaucoup d'autonomie, même dans le cadre de l'actuel article 36 qu'on est en train de renouveler.

Dans ce cadre juridique, l'université a ses propres responsabilités avec notamment le conseil de gouvernance. Le recteur, le rectorat, les facultés et l'organisation administrative y sont représentés. Le flou qui règne sera dissipé lorsque le puzzle sera complété par le recteur.

Pensez-vous que cette loi soit bien équilibrée dans l'ensemble? Cette loi, qui s'appuie sur un conseil de gouvernance devra-telle être rapidement réformée?

François Biltgen : Premièrement, cette loi a le mérite d'exister. Deuxièmement, comme toutes les lois, elle est révolutionnaire, car c'est une révolution de créer une université à Luxembourg. Il y a certes des points qui ne sont pas très clairs. D'autres points demanderont par la suite une reformulation. Le pire qu'on pourrait faire maintenant serait de remettre en cause cette loi. Il faut appliquer la loi qui constitue le cadre.

Mais, si je parle de la balance des pouvoirs, tout n'est pas dans la loi. Tout dépend aussi des personnes et de l'attitude des membres du conseil de gouvernance, du recteur, du rectorat, des doyens, etc. Nous aurons donc un équilibre qui se moulera dans le cadre de la loi. Nous verrons dans quelques années quel sera l'équilibre instauré. Je suis sûr qu'un jour ou l'autre, on changera la loi. Pour le moment, aucun changement n'est prévu, car il y a un consensus politique général. Il faut commencer à travailler même si la loi n'est pas parfaite.

Deux acteurs importants qui n'ont pas assez de poids dans l'université sont les professeurs et les étudiants – avec notamment la charte de l'étudiant qui n'est pas inscrite dans la loi. Pourriez-vous donner plus de pouvoir aux étudiants et aux professeurs?

Octavie Modert : II y déjà un étudiant dans le conseil de gouvernance.

Mais il a une voix consultative, au même titre que le corps enseignant et le commissaire de gouvernement. Ce conseil de gouvernance pourrait-il être agrandi afin que chaque acteur ait une voix executive?

Octavie Modert : Nous ne sommes pas opposés – au contraire – au dialogue dans l'université et en dehors de l'université. Mais il peut s'organiser dans d'autres organes que le conseil de gouvernance.

François Biltgen : On fait souvent une confusion entre les statuts de l'étudiant, ce qui est pour moi une question juridique, notamment pour le droit du travail. Si les étudiants se regroupent dans une association forte, ils joueront un rôle. L'université aura, sans problème constitutionnel, un règlement d'ordre intérieur. Mettre en œuvre un règlement grand-ducal pour fixer ex cathedra un statut de l'étudiant est à côté de la plaque. Il faut maintenant que l'université se remplisse de vie, c'est-àdire d'étudiants.

Un des problèmes au Luxembourg est que tout le monde s'attend à ce que le politique donne des réponses à toutes les questions. Il faut discuter, il faut même parfois crier. J'étais actif lorsque j'étais étudiant. Je ne regardais jamais ce que disait la loi, mais je regardais ce que je voulais.

Pensez-vous qu'il faille instaurer une législation plus souple en matière du travail pour que tous les étudiants de l'université puissent financer leurs études ou acquérir une expérience professionnelle?

François Biltgen : Premièrement, la loi sur le travail de vacances des étudiants n'a rien à voir avec l'université. Cette loi a été faite à l'époque pour garantir une rémunération minimale, surtout aux mineurs qui, pendant les vacances, faisaient des jobs d'été, ce qui n'est pas une activité régulière.

Pour l'université, les étudiants sont adultes, donc ils peuvent travailler comme ils veulent pour autant qu'ils réussissent à le combiner avec leurs études. La loi d'étudiant n'est pas appliquée puisque si ces élèves travaillent, il faut qu'ils soient rémunérés au taux plein et pas à un taux réduit.

Le petit bémol concerne seulement les étudiants extracommunautaires, car ils tombent sous la législation du permis de travail. À l'époque où j'étais ministre en charge des permis de travail, nous avions proposé un groupe de travail entre les ministères du Travail, de la Justice et de l'Enseignement supérieur pour résoudre ce problème. On trouvera des solutions conformes à la directive européenne qui est sur le point d'aboutir.

Les principes doivent permettre à des étudiants non communautaires de travailler à côté pour cofinancer leurs études. Cependant, nous ne voulons pas que l'inscription à l'université serve de détour pour entrer sur le marché du travail luxembourgeois. Lors de la mise en place de la directive, il faudra être circonspect durant la première année. S'il n'est pas à exclure que certains étudiants, après la fin de leurs études, restent au Grand-Duché, il reste primordial que les étudiants viennent avant tout pour étudier et non pour entrer sur le marché du travail.

Fixez-vous une date pour cette réforme?

François Biltgen : La directive est sur le point d'être finalisée. Notre vœu est de la transposer le plus rapidement possible.

Avez-vous eu l'occasion de connaître une université modèle à travers le monde qui puisse vous servir d'exemple à suivre?

Octavie Modert : Nous avons voulu construire une université pour le Luxembourg, et pas nécessairement en copier une qui existerait déjà. Des modèles peuvent nous inspirer pour des circonstances parfois similaires aux nôtres. Pour le reste, nous avons bâti sur le modèle d'organisation anglo-saxon avec, à la base, des diplômes bachelor, master, doctorat.

François Biltgen : Nous souhaitons un contact plus poussé entre les professeurs et les étudiants.

L'université d'lslande me tient à cœur. À l'image du pays, c'est une petite université. Elle a un rayonnement international notamment en géologie, biotechnologie. On ne veut pas être une université standard pour tout le monde, mais une université avec un rang d'excellence grâce à des spécialisations.

Le ministère du Budget est-il prêt à y mettre le prix? Quel est le budget pour cette année universitaire?

François Biltgen : Premièrement, nous ne pouvons pas fixer un budget étatique pour une année académique, mais seulement un budget pour une année civile. Pour 2004, il est de 20 millions d'euros. 2005 sera nettement plus élevé. D'une part, on attend encore les propositions budgétaires définitives du conseil de gouvernance. D'autre part, nous aurons prochainement notre réunion bilatérale avec le ministre du Budget.

La question n'est pas de dire quel budget le gouvernement alloue-t-il à l'université, mais la question est de se demander quel est le plan quadriennal de l'université et quelles en sont les priorités. Sur les bases de ces priorités, il faudra alors savoir quel budget sera alloué par le gouvernement.

La somme de 35 millions d'euros est évoquée.

François Biltgen : On ne pourra pas le dire pour le moment.

Sans parler de chiffres, est-ce que ce budget comprendra la recherche?

Octavie Modert : Pour ce qui est des centres de recherche publiques, il y a un budget séparé. Le budget de l'université, quant à lui, contient également une provision pour les activités de recherche menées au sein de l'université.

François Biltgen : Je ne peux pas encore m'exprimer sur les chiffres du Budget de la recherche géré par notre ministère, mais il sera évidemment augmenté en 2005. Nous sommes actuellement à 0,32 % du PIB avec l'objectif avoué de 1 % à l'horizon 2010. Si maintenant, on fixait dans le budget, par exemple, à 0,64% du PIB, ce serait la pire des choses que nous pourrions faire.

Quels sont vos critères et priorités en matière de soutien à la recherche universitaire?

Octavie Modert : C'est à l'université de les définir au nom du principe d'autonomie.

Pensez-vous que cette recherche doit servir la société luxembourgeoise?

Octavie Modert : Oui, c'est un des principes de la loi. Il ne faut pas perdre de vue les bénéfices que peuvent en tirer la société et l'économie luxembourgeoises.

François Biltgen: : Si l'université nous proposait un programme de recherche sur la vie sexuelle des pingouins Amélie, je ne sais pas si le gouvernement serait prêt à le financer (rires).

Luxembourg faisant partie des capitales de I'UE, l'université doit-elle être au cœur des institutions européennes au Kirchberg avec la perspective de créer un département de politique internationale de qualité?

Octavie Modert : Je pense plutôt que l'on devrait se spécialiser sur la politique communautaire. Pour le site du Kirchberg, il faudra voir à terme.

François Biltgen : Dans l'accord de coalition, nous avons dit que nous allions essayer de regrouper les sites de Luxembourg-Ville. Cela pourrait être le Kirchberg ou un autre site. L'université pourra exceller en matière de droit communautaire sans nécessairement être sur le Kirchberg. Nous voulons simplement rapprocher les campus en réduisant l'université à deux sièges.

Le Kirchberg semble pourtant un endroit idéal. À côté des institutions européennes, il y a la perspective de construire une bibliothèque nationale digne de ce nom et de profiter des installations sportives comme celles de La Coque.

Octavie Modert : On n'exclut ni le Kirchberg, ni d'autres sites.

François Biltgen : II ne faut pas tomber dans un vieux réflexe luxembourgeois qui est la guerre des sites ayant conduit à l'éclatement actuel de l'université. Il y a des gens qui croient que le Luxembourg est plus grand qu'il ne l'est.

Qu'est-ce qui devra avoir changé à la rentrée 2005 / 2006 pour marquer un tournant, alors que l'université a perdu un an avec la disparition du recteur Tavenas?

François Biltgen : On ne peut pas dire que l'université ait perdu un an. Du travail a été accompli. Il y a bien entendu un flou. Nous voulons prendre cette année les décisions de notre côté, tout comme l'université de son côté, pour qu'en 2005, on ait atteint la vitesse de croisière requise. En 2005, l'université devra être perçue comme une université de recherche offrant surtout des masters spécialisés et des doctorats de qualité.

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