Jean-Claude Juncker au sujet de la Présidence luxembourgeoise du Conseil de l'UE

Monsieur Juncker, cette présidence luxembourgeoise, sera-t-elle pour votre pays la dernière qui se déroulera selon le schéma classique?

Pour le Luxembourg, ce sera déjà la onzième présidence depuis l'entrée en vigueur des traités de Rome en 1957. Ces présidences ont toujours connu des succès, notamment les deux dernières, en 1991 et en 1997, à l'occasion desquelles des décisions marquantes ont été prises. Or, du moment où la Constitution européenne aura été ratifiée, le schéma et le déroulement des présidences de l'Union seront modifiés à partir de 2007. Le principe de rotation que nous avons connu jusqu'ici sera en grande partie abandonné. Nous connaîtrons alors deux changements importants. D'abord, le Conseil européen ne sera plus présidé tous les six mois par un autre Etat membre, mais par un président de l'Union européenne, élu par les membres du Conseil pour une durée de deux ans et demi. Ensuite, ce sera le nouveau ministre des Affaires étrangères européen qui présidera les réunions des ministres des Affaires étrangères. Bref, à partir de 2007, les présidences de l'Union européenne auront un caractère différent, dès lors qu'elles appartiendront moins aux Etats nationaux.

Que signifie la présidence de l'Union pour le Luxembourg? Est-ce plutôt un symbole ou bien faut-il lui accorder une plus grande importance?

Si cette présidence était purement symbolique et s'il suffisait de déposer quelques gerbes et de couper quelques rubans, je pourrais envisager ces six mois en toute quiétude. Mais tel n'est pas le cas, car cette présidence signifie que, six mois durant, le Luxembourg sera en charge de tous les domaines de l'Union européenne, qu'il devra prendre ses propres initiatives et promouvoir celles des autres, coordonner les différentes réunions et, en fin de compte, inciter des décisions importantes. Il s'agit là d'une énorme responsabilité. En effet, il faudra tenir compte des intérêts communautaires des 25 Etats membres, qui devront prévaloir sur les intérêts de notre pays. L'un des objectifs de la présidence luxembourgeoise est d'atténuer certaines tendances nationales excessives au sein de l'Europe afin de mieux pouvoir tenir compte des sensibilités de l'ensemble des Etats. Si nous parvenons à des accords majoritaires parmi les Etats membres, nous aurons considérablement fait avancer l'Europe.

Jusqu'ici, toutes les présidences de l'Union avaient un objectif principal. Quelles seront les priorités cette fois-ci?

Il y a d'un côté les sujets à traiter qui figurent à l'agenda depuis longtemps et de l'autre ceux qui sont dictés de jour en jour par la politique mondiale. Si en 1997 c'étaient l'élargissement de l'Union, la politique de l'emploi et les décisions en vue de l'introduction de l'euro qui dominaient la présidence luxembourgeoise, il s'agira cette année de relancer et de dresser un bilan provisoire du processus de Lisbonne. Ce programme de réformes aux niveaux de l'économie, du social et de l'environnement a pour but de faire de l'Europe la région la plus compétitive du monde d'ici 2010. Par ailleurs, il sera question de la réforme du pacte de stabilité et de croissance, sans oublier les crises aux Balkans et en Irak ainsi que le terrorisme international, qui nécessiteront en permanence des réunions et des négociations.

Certaines réunions dépassent largement le cadre de l'Europe. S'agit-il de renforcer l'importance de l'Europe sur l'échiquier mondial?

Cette importance est déjà reconnue, car l'Europe est souvent plus appréciée en dehors de ses frontières qu'en leur sein. Dans le reste du monde, l'existence de l'Union européenne est perçue comme un petit miracle qui dure déjà depuis longtemps. L'intérêt que les grands pays portent au développement politique, économique et intellectuel de l'Union est d'autant plus grand. En tant que président du Conseil européen, je serai ainsi amené à rencontrer les présidents américain et russe. De son côté, mon collègue aux Affaires étrangères dirigera à Luxembourg une conférence avec 50 ministres d'Etats d'Amérique latine et des Caraïbes, ce qui requiert un effort considérable, ne serait-ce que du point de vue logistique.

A l'heure actuelle, l'Union européenne compte 25 Etats membres et elle va continuer à s'agrandir. Un petit pays comme le Luxembourg ne risque-t-il pas de perdre son influence au sein d'un ensemble aussi grand?

Au contraire, l'histoire de l'Union européenne montre qu'à chaque élargissement, l'influence du Luxembourg s'est trouvée accrue. En effet, les nouveaux Etats membres sont souvent eux-mêmes petits ou moyens et ils se sentent dès lors très proches du Luxembourg. Il ne faut pas non plus oublier que le Luxembourg fait partie des Etats fondateurs de l'Union européenne, de manière à jouir à présent d'une expérience et d'une connaissance qui lui permettent d'assurer plus facilement un rôle de médiateur lorsqu'il s'agit de trouver un consensus.

A la mi-septembre, vous avez été désigné pour deux ans à la tête du groupe euro. Ce poste de "Monsieur Euro" aura-t-il une incidence sur vos activités en tant que président du Conseil européen?

C'était de toute façon au tour du Luxembourg d'assurer la présidence du groupe euro pendant le prochain semestre. A présent, je vais simplement devoir assumer cette fonction 18 mois de plus. Pour moi, il ne s'agit donc ni d'une charge de travail supplémentaire, ni d'une raison de craindre une interférence malsaine avec les objectifs et les intérêts de la présidence de l'Union européenne.

Monsieur le Premier ministre, nous vous remercions pour cet entretien.

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