Nicolas Schmit au sujet de la Présidence luxembourgeoise du Conseil de l'UE

Comment se présente la présidence luxembourgeoise de l'Union européenne qui débutera officiellement le ler janvier 2005?

C'est un grand rendez-vous, non seulement pour le Luxembourg, mais aussi parce que le calendrier européen veut qu'il y ait des dossiers très importants sur la table. De plus, la présidence intervient à un moment charnière puisqu'il y a la Constitution européenne à ratifier dans les États membres. Les six mois précédents ont surtout été marqués par la mise en place d'un nouveau Parlement européen et d'une nouvelle Commission.

Quel en sera le dossier majeur?

Incontestablement celui du processus de Lisbonne qui conditionne l'avenir économique de l'UE. Nous voyons tous que notre croissance économique est trop faible, que le taux de chômage en Europe reste en moyenne de 9% et que des problèmes très délicats se posent pour certaines catégories de travailleurs. Il est clair, malgré quelques succès de type Airbus, que l'Europe a aujourd'hui du mal à se maintenir au premier plan dans la technologie de pointe et dans la recherche. Et le risque est grand de la voir reculer encore au fur et à mesure que des pays, comme la Chine et l'lnde se développeront dans des contenus technologiques. Les Européens se posent des questions sur l'avenir de leur société et de leurs enfants. L'Europe doit maintenant trouver des réponses. Et, pour cela, elle doit être capable de se réformer rapidement et de restructurer complètement son économie, notamment en valorisant mieux ses capacités technologiques.

Mais le problème n'est pas seulement économique...

Non, car il est tout aussi fondamental d'apporter des réponses sur le modèle social européen auquel les citoyens sont très attachés. Comment garder ce modèle de vie qui appartient à l'histoire et à la culture européennes dans une économie globalisée? Il va aussi falloir répondre à cette question.

La présidence sera-t-elle marquée par la relance du processus de Lisbonne?

Ce processus a été lancé en 2000. Il était prévu, à mi-parcours, soit en 2005, d'en faire un bilan. L'Europe est restée en deçà des objectifs qu'elle s'était fixés et le processus a perdu beaucoup de sa crédibilité. C'est un problème a la fois individuel pour chaque État membre et collectif pour toute l'UE. Hasard du calendrier, cette relance indispensable coïncide avec la présidence luxembourgeoise.

Y a-t-il urgence à envoyer un message fort aux citoyens européens dans le domaine économique, mais aussi social?

Les Européens ont un peu perdu confiance. L'économie ne marche pas comme elle devrait et les acquis sociaux sont remis en question. Si on ne fait rien, le risque est grand que l'Europe soit la grande perdante dans la compétition économique mondiale. Face à la globalisation, l'Europe doit trouver une réponse dans la coordination, voire dans une coopération beaucoup plus étroite.

La présidence va aussi plancher sur le budget européen 2007-2013. L'UE aura-t-elle les moyens de ses ambitions?

Avant le budget, il faut ajuster le Pacte de stabilité et de croissance. L'UE manque de croissance et certains de ses Etats ont des problèmes de déficit budgétaire. Dans ces conditions, il est difficile, pour certains, d'envisager des efforts au plan européen qu'ils ne peuvent se permettre au plan national. Le budget de l'Europe reste marginal puisqu'il n'est que de 1% du revenu national brut européen. Soit 108 milliards d'euros. La Commission propose de passer à 1,14%. Cette proposition est ambitieuse, mais relativement réaliste. Il y a une marge pour discuter. C'est jouable. Mais il faudra avoir une approche positive du budget européen. Et en finir avec ces histoires de contributeur net ou de débiteur net. Chacun des 25 États membres est gagnant quand l'Europe peut investir et peut avancer. Et il ne faut jamais oublier que ce qui est fait à l'échelle européenne avec davantage de résultats ne doit plus se faire à l'échelle nationale.

La Constitution européenne est en cours de ratification. Sera-t-elle un thème de la présidence?

Nous devrons certainement tenir compte de l'impact de la phase référendaire, mais nous devrons aussi commencer à réfléchir à la mise en application de cette Constitution. Même si elle n'entrera en vigueur, au mieux, que fin 2006, il faut commencer à préparer ce qu'elle implique: un président permanent du Conseil européen, un ministre des Affaires étrangères, un service diplomatique commun...

Le référendum luxembourgeois sur la Constitution européenne, prévu le 10 juillet 2005, ne risque-t-il pas d'être phagocyté par la présidence?

Mais la présidence va aussi servir à parler d'Europe. Il est vrai que ce ne sera pas une mince affaire pour mener présidence et campagne pour le référendum de front. Nous avons voulu ce référendum pour avoir un vrai dialogue avec les citoyens, pour être à l'écoute de leurs préoccupations par rapport à l'Europe. Nous devrons avoir ce dialogue à tous les niveaux: politique, société civile, syndicats, associations professionnelles...

Que pensez-vous de l'Europe, vous qui lui consacrez votre temps depuis vingt ans?

L'Europe n'en finit pas de m'étonner par sa capacité à faire des progrès formidables, à s'élargir, à s'adapter, à adopter rapidement une monnaie commune, à progresser sur la voie d'une défense européenne. Bien sûr, elle a toujours des progrès à faire dans de nombreux domaines. Mais ce qu'elle a su faire en vingt ans est vraiment très étonnant. Son bilan est largement positif.

Quels reproches feriez-vous?

Le social avance trop lentement. Et il y a aujourd'hui un décalage entre le projet européen et les aspirations des citoyens. Il n'y a pas suffisamment de prise en compte des préoccupations sociales majeures. Il est illogique que l'Europe soit aujourd'hui parfois perçue par ses habitants comme une menace pour leur avenir. Nous devons trouver les instruments de régulation de la mondialisation et la bonne méthode pour la réussir. L'UE doit faire valoir son point de vue et renoncer à une certaine logique libérale outrancière caractérisée notamment par la fameuse directive Bolkestein. Il faut avoir une approche plus globale, prendre davantage en compte d'autres positions, d'autres discours.

Songiez-vous, début 2004, à devenir un jour ministre?

Certainement pas. J'étais très heureux à Bruxelles. Je pensais y rester pendant la présidence et changer ensuite. D'autant que j'avais enfin la possibilité de piloter le Coreper, le Comité des représentants permanents des États membres. En devenir le président pendant la présidence luxembourgeoise, c'était une forme d'aboutissement. Mais il en a été décidé autrement.

Qu'avez-vous découvert depuis que vous êtes ministre?

La vie politique n'est pas toujours facile, mais très passionnante. Il faut travailler sur ses dossiers, y réfléchir, les faire avancer. Mais il faut aussi communiquer et convaincre. Cela rend la charge politique attrayante, mais très lourde.

Un mot pour finir sur la présidence luxembourgeoise de I'UE?

Ce sera ma cinquième, la première bien sûr en tant que ministre. C'est l'expérience professionnelle la plus riche, la plus structurante, la plus fatigante aussi. Mais, pour rien au monde, je n'y renoncerai. C'est un défi pour l'Europe et pour notre pays. L'occasion pour le Luxembourg de montrer que nous sommes un membre à part entière de I'UE, que nous ne revendiquons pas seulement les pleins droits d'un État membre, mais que nous en assumons aussi pleinement toutes les obligations.

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