Nicolas Schmit au sujet de la Présidence luxembourgeoise du Conseil de l'UE

Monsieur le ministre, nous voilà entrés dans la toute dernière ligne droite avant le début de la présidence luxembourgeoise. Comment se présente ce grand événement?

Je pense que, en quelque sorte, le début a déjà commencé, compte tenu de l'énorme travail de préparation que nous avons déjà effectué. Nous avons multiplié les réceptions officielles, ainsi que les visites, dans le cadre de la Troïka, entièrement consacrées aux gros dossiers de cette présidence, comme par exemple la préparation de l'acte d'adhésion de la Bulgarie. En fait, au moment où, officiellement, le 1er janvier, la présidence va vraiment commencer, on ne va même pas s'en rendre compte! On peut vraiment dire que ce sera une transition en douceur.

Qu'est-ce que représente la présidence européenne pour le pays?

Pour le Luxembourg, on peut dire qu'il s'agit d'un honneur, même si cela ne fait finalement qu'entrer dans la logique du fonctionnement de l'Union européenne. Tous les pays exercent la présidence: c'est notre tour et, du reste, nous l'avons déjà fait. Mais il est évident qu'au fil du temps, ces présidences changent et deviennent plus lourdes.

Une présidence, c'est une grande occasion de bien servir l'Union européenne, car même si les présidences ne font pas fondamentalement changer les choses, elles peuvent contribuer, même marginalement, mais parfois de façon un peu décisive, à changer le cours des choses. Il s'agit donc d'un grand rendez-vous de notre pays avec l'Europe. C'est, en quelque sorte aussi, une consécration dans le sens où nous avons toujours été un bon élève de la classe européenne et que nous avons toujours été capables d'assumer toutes les responsabilités qui nous incombaient du fait de notre adhésion à l'Union européenne.

Assumer une présidence, c'est un peu, donc, se retrouver au centre de la politique européenne. Ce sont six mois de travail intense, qui représentent une charge, c'est vrai. Mais je pense que c'est une charge que la plupart de mes collègues ministres ou fonctionnaires assume avec passion et intérêt, car il s'agit là d'une expérience unique.

J'ai eu le privilège de vivre quelques-unes de ces présidences et, à chaque fois, ce fut l'expérience la plus intense de ma vie diplomatique, avant, et de ma nouvelle vie en tant que responsable politique, aujourd'hui.

Quel avait été votre rôle lors de la présidence de 1997?

J'étais à cette époque directeur des affaires européennes et j'ai notamment présidé le Comité 113, aujourd'hui appelé le Comité 133, qui couvre toute la politique commerciale de l'Union. A l'époque, nous devions préparer tout le processus menant à la première phase de l'élargissement. Ce fut, là aussi, une présidence passionnante.

Il n'y a pourtant plus grand chose à voir entre les responsabilités qui furent celles du Luxembourg en 1997 et celles qui seront les siennes en 2005...

Il est évident que la présidence de 2005 s'annonce encore plus vaste, au niveau des sujets à traiter et plus compliquée aussi! D'une certaine façon, la mission entamée en 1997 a été accomplie, puisque nous avions alors engagé les négociations en vue de l'élargissement, avec les pays qui ont rejoint l'Union en mai dernier.

Aujourd'hui, nous avons à finaliser les négociations avec deux autres Etats, la Bulgarie et la Roumanie et, éventuellement, débuter les négociations avec la Croatie. Sans oublier non plus le dossier de la Turquie qui était déjà au menu en 1997.

Comment jugez-vous le contexte européen dans lequel s'amorce cette présidence?

Nous arrivons à un moment un peu particulier, au gré des hasards de l'agenda européen. Il y a eu la Constitution, avec la présidence néerlandaise, qui a été une bonne présidence et qui a finalisé le traité constitutionnel. Mais il y a aussi eu six mois de ce que je pourrais appeler, sans qu'il faille y voir la moindre méchanceté, une sorte de "tournage à vide", dans la suite des élections européennes et de l'avènement d'un nouveau Parlement, puis la fin de la Commission Prodi et le début difficile de la Commission Barroso.

Nos amis néerlandais ont donc eu une période assez difficile à vivre avec, par exemple, le début des négociations sur les perspectives financières qui constitueront, du reste, un des grands dossiers à suivre de la présidence luxembourgeoise. On peut dire qu'ils ont hérité de beaucoup de dossiers dans leur phase initiale, mais ils s'en sont bien sortis, comme par exemple avec la décision à prendre au sujet de la Turquie.

Ils ont également fait un bon travail sur la revue à mi-parcours du processus engagé à Tampere, en matière de justice et d'affaires intérieures, avec la définition du Programme de La Haye.

Les autres grands dossiers, eux, ne sont pas encore arrivés à maturité. Ils ont été engagés, mais n'ont pas pu être menés au stade des négociations finales. Pour notre part, nous allons principalement avoir à traiter trois gros dossiers et nous avons l'espoir d'en sortir quelque chose de substantiel.

En dehors de l'aspect purement logistique et organisationnel, en quoi a consisté, dans les grandes lignes, tout le travail préparatoire de cette présidence?

Une présidence, c'est effectivement un très gros travail d'organisation, mais toute cette organisation ne va pas sans le fond. A chaque instant, dans l'organisation, il faut toujours garder à l'esprit les sujets et les objectifs poursuivis. C'est ce qui entre dans le cadre du programme de ce semestre. Or, finalement, ce n'est plus forcément la présidence qui est le maître du jeu.

Depuis le Conseil européen de Séville, qui avait décidé de la réorganisation de la présidence, il y a une sorte de continuité et une coopération entre les présidences successives. Ainsi, fin 2003, il a été constitué un groupe de travail réunissant les représentants des 6 présidences à venir, depuis la présidence irlandaise jusqu'à la présidence finlandaise. Nous avons donc travaillé sur le programme pour les trois années à venir, avec l'idée que tel sujet devait être prêt à tel moment. Ce programme a été rédigé et approuvé par le Conseil européen. Il constitue d'une certaine façon, notre feuille de route.

Actuellement, nous sommes en train de travailler avec le Royaume-Uni, qui prendra notre relais au 1" juillet. Il s'agit d'écrire, en quelque sorte, le script de la présidence pour cette année 2005: quels sont les dossiers, la façon dont on va les traiter, la façon de les préparer, les échéances...

Pendant six mois, le Luxembourg sera-t-il vraiment le cœur central de l'Europe?

Il faut bien voir qu'une présidence, c'est une vaste entreprise. Le cœur de cette présidence reste tout de même encore un peu Bruxelles, car c'est là que la plupart des réunions se tiennent, sauf pendant trois mois, chaque année, en avril, juin et octobre, où le Conseil de l'Europe se tient à Luxembourg. Le hasard veut donc que le conseil européen se réunisse deux fois pendant la présidence.

En revanche, toutes les réunions informelles auront bel et bien lieu à Luxembourg: il y aura environ 250 réunions de ce type, ce qui représente environ 15.000 personnes qui vont circuler pendant tout ce temps là.

Quelle sera la nature des relations nouées au cours de cette présidence?

C'est le ministère des Affaires étrangères qui pilote, sur le fond, toute cette entreprise, avec des contacts réguliers établis avec la Représentation permanente à Bruxelles, mais aussi avec le secrétariat général du Conseil et avec la Commission européenne.

Ensuite, il y a des réunions un peu partout, là où l'Union européenne est présente: dans le cadre des Nations Unies ou dans de nombreuses conférences internationales. La présidence a alors un rôle de coordinateur: pour que l'Europe puisse parler d'une seule voix, il faut la mettre en état de parler d'une seule voix. Il convient donc de préparer ces réunions pour que la présidence puisse parler au nom des 25 et refléter cette position commune.

Et puis il y a les échanges incessants avec le Parlement européen. Je suis moi-même en charge des relations avec le Parlement européen et je suis présent, pour chacune des sessions plénières qui se tiennent à Strasbourg, pendant deux jours, afin de maintenir le contact et répondre aux questions.

Mais le Parlement européen, ce ne sont pas seulement les sessions plénières. Ce sont aussi les commissions et nous multiplions également les contacts avec un certain nombre de présidents de commissions. Il s'agit là de quelque chose de très important: le Parlement européen s'affirme de plus en plus et ses membres exigent qu'on leur rende compte de tout.

Nous allons par exemple traiter du dossier des perspectives financières. Le Parlement européen est un acteur majeur de ce dossier et a institué une commission spéciale, à la tête de laquelle se trouve d'ailleurs son président. Après chaque réunion du Conseil européen, il va falloir rendre compte de l'avancée des travaux à cette commission, discuter avec elle et voir si le Parlement partage les vues du Conseil. Car n'oublions pas qu'au final, nous devons obtenir un accord du Parlement européen.

De même, lorsqu'il y a désaccord entre le Parlement et le Conseil, il y a un comité de conciliation, et c'est la présidence qui prend la tête de la délégation du conseil amenée à négocier avec le Parlement. Il s'agit donc d'un travail lourd, qui dure parfois des nuits entières avant d'arriver à obtenir un accord.

Qu'est-ce que le Luxembourg peut gagner au terme de ces six mois?

Je pense que nous avons tout à gagner en bonne réputation européenne. C'est une sorte d'examen, à chaque fois, pour un pays aux ressources humaines limitées comme le nôtre, pour bien montrer qu'il est un partenaire à part entière dans le cadre européen et qu'il assume pleinement ses responsabilités.

C'est une formidable plate-forme pour jouer un rôle et nous faire reconnaître sur un plan international. C'est d'ailleurs pour cela que nous avons plaidé pour le maintien de ce système de présidence tournante, tant il constitue une formidable implication de chaque pays dans la responsabilité européenne en lui donnant le sentiment qu'il participe pleinement au dessein européen. Cela vaut évidemment pour nous, mais aussi pour les nouveaux Etats membres. C'est vraiment une occasion formidable de faire des relations publiques!

Cela veut-il dire que le Luxembourg a encore fortement besoin de soigner ses relations publiques?

Je pense que, parmi les partenaires européens, nous sommes tout de même suffisamment bien établis. Mais la présidence n'est pas qu'une affaire intérieure limitée aux 24 autres Etats membres. C'est aussi une présence extérieure et il faut parler au nom de l'Union européenne aux Américains, aux Russes, aux Chinois...

La qualité des relations, par exemple, entre le Luxembourg et la Chine, s'est grandement renforcée, car les Chinois savent que le Luxembourg aura un peu plus que son mot à dire quand il gérera les affaires de l'Union européenne.

Dans tous les pays où notre présence est moindre, nous avons beaucoup à gagner en notoriété.

Parmi les grands dossiers de la présidence luxembourgeoise figure le point, à mi-parcours, de la Stratégie de Lisbonne. La situation est-elle aujourd'hui si critique que cela?

Actuellement, l'Europe tourne, globalement, à bas régime en termes de croissance. Nous avons des problèmes d'emploi, mais aussi des difficultés dans les capacités technologiques. Il suffit de constater l'écart qui se creuse entre le nombre de brevets déposés aux Etats-Unis et en Europe.

Dans bon nombre de domaines, nous sommes en train de perdre les batailles technologiques de demain. Quand on voit qu'émergent de nouveaux acteurs sur la scène économique mondiale, comme la Chine ou l'lnde, notamment, qui ont une grande maîtrise technologique, l'Europe doit impérativement se repositionner dans un système économique global et mettre en œuvre les ajustements nécessaires, tout en conservant son modèle social, qui rencontre un très large consensus. Il n'est pas question de vouloir le copier sur le modèle américain: la société européenne est différente et a d'autres qualités.

La présidence luxembourgeoise aura également à se pencher sur le pacte de stabilité et de croissance. Se dirige-t-on vers une réforme en profondeur?

Je ne pense pas qu'il faille remettre en question le principe du pacte de stabilité et de croissance, mais plutôt élargir les critères d'évaluation.

Nous sommes arrivés à un stade où tout le monde est conscient qu'il convient de corriger le tir. Il faut, dès lors, le faire assez vite. Sinon, les désaccords risquent d'être de plus en plus grands et de ne profiter à personne. Les discussions ont démarré et il faut maintenant les terminer. Tant que cela ne sera pas le cas, il demeurera un flou.

N'oublions pas que Jean-Claude Juncker sera, à partir du 1er janvier le président de l'Eurogroupe pour deux ans et que, à ce titre, il sera sans doute le mieux placé pour parvenir à trouver un juste compromis. Du reste, l'Eurogroupe a été créé sous présidence luxembourgeoise et M. Juncker a joué un rôle essentiel dans l'établissement de ce pacte de stabilité. On peut donc lui faire confiance pour trouver les bonnes formules qui consolideront l'acquis et l'adapteront aux réalités économiques.

Les perspectives financières, la stratégie de Lisbonne, le pacte de stabilité et de croissance: voilà les trois grands dossiers de la présidence luxembourgeoise. Mais quels seront les autres points importants de ces six mois à venir?

Aux côtés de ces principaux sujets, il y a évidemment tout le volet externe, relatif aux relations avec le monde extérieur, en particulier la zone Méditerranée ou bien la relance du processus de paix au Moyen-Orient, où l'Europe doit être présente et soutenir tous les efforts allant dans le sens d'un règlement global. Il en va de même pour le retour de la paix en Irak, où nous devons jouer un rôle dans la mise en place d'une structure de gouvernement démocratique acceptée dans ce pays.

Il conviendra également de faire en sorte de "déstresser" quelque peu les relations avec les Américains et les repositionner dans une approche plus positive.

L'Europe doit encore s'investir davantage en Afrique, dont on constate combien il est le continent le plus fragile économiquement et politiquement. Quand on voit que certains pays qui y ont eu des positions fortes voient leurs situations remises en cause, il est temps pour l'Europe de relayer ces approches nationales.

Et sur un plan plus "intérieur"?

Nous devons encore progresser dans le dossier récemment décidé au conseil européen et qui couvre tout le paquet "Justice affaires intérieures ", en particulier l'aspect immigration, qui devient plus que jamais un volet important dans nos relations extérieures avec certains de nos voisins.

Et puis il y a cette directive "services", au cœur de nombreuses discussions: que va-t-on en faire? Les services, c'est le grand gisement de croissance et d'emplois, mais cela n'est pas sans poser un certain nombre de problèmes pour certains types de services, notamment les services publics. Il convient de voir comment il est possible de préserver l'originalité européenne...

Nous devons également avancer dans l'intégration des marchés financiers, en s'attaquant aux dernières barrières nationales qui empêchent bien souvent l'émergence d'un véritable marché financier européen.

On ne pourra pas évidemment tout faire dans ces six mois, mais il faut au moins faire avancer un certain nombre de dossiers.

N'y aura-t-il pas une impression de vide au matin du 1er juillet 2005?

Il faut bien voir que l'Europe continuera à vivre après! Il y aura beaucoup de conseils, où nous sommes évidemment présents. Le Luxembourg existait avant la présidence et existera encore après. Il restera encore beaucoup de choses à faire, à commencer par le référendum du 10 juillet sur la constitution européenne.

Les affaires européennes se gèrent avant, pendant et après la présidence. Et n'oublions pas que, dans beaucoup de dossiers, il y a des intérêts luxembourgeois. Cela nous impose de garder une vue d'ensemble dans tout ce qui est politique européenne en général.

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