Le Premier ministre, Jean-Claude Juncker, au sujet de la stratégie de Lisbonne

Echo de l'Industrie: Monsieur le Premier ministre, quels sont, selon vous, les moyens à mettre en œuvre afin que l'Europe retrouve le chemin de la croissance et de l'emploi?

Jean-Claude Juncker: Force est de constater que l'Europe semble avoir plus de facilités à identifier ce qui devrait être fait que de mettre ces bonnes résolutions en œuvre. Tel est notamment le cas de la stratégie de Lisbonne. Les objectifs ont été fixés – on en a même fixés un peu trop à mon goût – mais il n'y a pour l'instant que peu de résultats. Les retards, confirmés par le groupe Kok, sont indéniables. Il reviendra au Luxembourg de promouvoir pendant sa présidence du Conseil de l'Union européenne la relance de la stratégie de Lisbonne.

Depuis que je suis Premier ministre, je visite de manière régulière la Chine. À Shanghai, par exemple, on se rend très vite compte que c'est une illusion de croire que la Chine et l'Asie du Sud-Est misent uniquement sur une main-d'œuvre bon marché pour développer leurs économies. On y investit au contraire beaucoup et toujours plus dans le savoir-faire. La concurrence ne se limite pas aux muscles mais vise aussi les cerveaux. L'économie de la connaissance est dès lors bien plus qu'un choix pour l'Europe, c'est une obligation.

La présidence luxembourgeoise proposera aux chefs d'Etat et de gouvernement de clarifier la finalité de Lisbonne et de définir des priorités tout en veillant à maintenir l'équilibre entre les trois piliers de la stratégie, l'économique, le social et l'environnement. Dans la mise en œuvre, nous plaiderons pour une mise en phase de Lisbonne avec les autres processus de politique économique au niveau européen afin de réduire la bureaucratie tout en augmentant l'efficacité. Nous allons enfin proposer des pistes pour une meilleure communication de la stratégie.

Echo de l'Industrie: Le constat fait au niveau européen par le Groupe de haut niveau Kok rejoint, du moins en partie, le rapport sur la compétitivité de l'économie luxembourgeoise présenté récemment par le professeur Lionel Fontagné ayant constaté un certain essoufflement du modèle de croissance luxembourgeois. Quelles sont, selon vous, les pistes à explorer afin de tenir compte des propositions de l'expert indépendant ayant suggéré, d'une manière générale, que le Luxembourg devra réaliser des ajustements rapidement afin d'éviter un réveil douloureux ?

Jean-Claude Juncker: Le rapport du professeur Fontagné n'a pas lancé le débat sur la compétitivité au Luxembourg mais constitue un élément qui nourrit cette réflexion. Il est cependant intéressant de voir que les différentes contributions, que ce soit le rapport Fontagné, la stratégie de Lisbonne ou d'autres, se recoupent sur un certain nombre de points dont notamment l'importance de la formation et de la recherche.

Les premières décisions sur le chemin vers Lisbonne ont déjà été prises. Je pense à la création de l'Université de Luxembourg, au Fonds national de la recherche, aux mesures de soutien à la formation professionnelle continue, au programme eLuxembourg, à la promotion de l'esprit d'entreprise, à l'augmentation du taux d'emploi, où nous avons fait des progrès, ou encore, plus récemment, à la simplification administrative. Certes, certaines initiatives qui existent sur papier ne sont pas encore entrées dans les têtes ou ne donnent pas encore tous les résultats escomptés. Mais le gouvernement a la ferme volonté de poursuivre les efforts. D'autres éléments vont suivre. Je pense notamment au marché de l'emploi, où nous allons notamment analyser les effets des mesures pour l'emploi afin d'augmenter leur efficacité.

Je préviens tout de suite que le débat autour de Lisbonne et de la compétitivité économique ne sera pas l'occasion de brader le modèle social luxembourgeois. Il s'agira au contraire de créer les conditions pour qu'il puisse demain aussi assurer la cohésion sociale au Luxembourg, qui fait la force du pays.

Le gouvernement ne rechignera pas devant les réformes structurelles. Je ne me fais cependant pas d'illusions. Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui appellent de leurs vœux des réformes. Quand le gouvernement les proposera, ceux-là même risquent d'être beaucoup moins enthousiastes. On constate souvent, et je tiens à préciser que c'est vrai d'un côté comme de l'autre, qu'il y a une tendance à ne retenir dans les propositions de réformes que celles qui correspondent de toute façon au catalogue de revendications des concernés.

C'est pour cela que le gouvernement, à l'instar de ce qu'il proposera au niveau européen, veut arriver à la définition non pas de réformes isolées mais d'un plan d'action national cohérent et complet pour atteindre les objectifs fixés par la stratégie de Lisbonne. Le soucis de nous préparer aux défis de demain et de rester à même de nous adapter au changement, individuellement et collectivement, ne peut se limiter au seul gouvernement. L'ensemble de la société doit s'engager sur cette voie. Nous poursuivrons donc les discussions sur la compétitivité au niveau de la tripartite et engagerons aussi la Chambre des députés dans les débats. Pour atteindre les objectifs fixés par Lisbonne, nous devons procéder dans le dialogue avec tous les acteurs concernés. Car ce n'est qu'avec leur soutien que nous réussirons.

Echo de l'Industrie: Sur le plan politique, l'année 2004 a été marquée par les élections du 13 juin 2004. Sur le plan économique, il y a lieu de constater que la croissance a été orientée à la hausse, les prévisions du Statec tablant sur une hausse de 4,2% du PIB. Comment voyez-vous le bilan économique de l'an 2004 et quelles sont, selon vous, les perspectives de croissance pour 2005?

Jean-Claude Juncker: Après trois années difficiles, 2004 marquait un retournement économique au Luxembourg. Notre croissance dépassera de nouveau celle de nos pays voisins, notamment grâce à une reprise des activités sur la place financière, touchée de plein fouet par le ralentissement en 2001. Un autre élément important est le regain de confiance des consommateurs tout au long de l'année, un facteur primordial pour soutenir la demande intérieure.

Pour l'année 2005, je m'attends à une croissance solide à un niveau similaire qu'en 2004. Le Luxembourg ne doit toutefois pas s'attendre à retrouver le rythme de croissance très élevé que le pays a connu à la fin des années 90. Une inquiétude qui persiste concerne l'Allemagne, qui reste toujours en retrait par rapport au reste de l'Europe. Le Luxembourg n'a rien à gagner quand le moteur économique de son principal partenaire commercial ne tourne qu'à bas régime.

La principale ombre sur le tableau conjoncturel est indéniablement la persistance du chômage au Luxembourg. Malgré le fait que notre économie continue à créer des emplois, nous avons connu chez les résidents une hausse signifiante des demandeurs d'emplois. Il est insuffisant de se consoler avec le fait que nous nous comparons toujours favorablement avec nos voisins. Cette situation est insatisfaisante et constitue un des principaux défis qui se posent au gouvernement.

Un autre élément que je tiens à souligner concerne la situation budgétaire de l'Etat. Les recettes fiscales ne progressent qu'avec un certain retard sur la croissance économique. Le gouvernement a veillé ces dernières années à combiner le nécessaire soutien à la conjoncture, d'une part, avec l'indispensable sauvegarde d'un certain équilibre des finances publiques, de l'autre. Nous avons réussi cet exercice jusqu'ici grâce à une politique prévoyante misant sur les réserves budgétaires. Mais aussi bien l'année 2005 que l'année 2006 exigeront d'importants efforts par le gouvernement pour maintenir des finances publiques sainés, sans parler de la nécessité de reconstituer de nouvelles réserves dès que la situation budgétaire le permettra.

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