Nicolas Schmit au sujet de la conférence d'examen du traité de non-prolifération des armes nucléaires

Thierry Labro: Le secrétaire général de I'ONU, Kofi Annan, a ouvert cette conférence d'examen des parties au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires en la qualifiant d'obsolète, plus à la mode. C'est aussi votre avis?

Nicolas Schmit: Oui, le traité deviendra obsolète si on ne lui donne pas les moyens de faire face aux nouveaux défis. Il faut bien comprendre qu'il date des années 70, à une époque très différente de celle d'aujourd'hui. Il faut envisager la non-prolifération et le désarmement d'une autre manière qu'à l'époque de la guerre froide. Il a tout de même permis qu'elle ne se transforme pas en guerre chaude. Aujourd'hui, il faut lutter contre la banalisation de l'arme nucléaire. Il ne peut y avoir d'accès démocratique à la bombe atomique. C'est tout le sens du traité et du discours très engagé et alertant de Monsieur Annan pour bien montrer que la prolifération est une grande menace.

Thierry Labro: Alors, aujourd'hui que les Etats-Unis et les Russes se sont mis d'accord sur un désarmement progressif, quel est le pays qui pose problème? L'Iran? Vous n'avez pas l'impression que les Iraniens baladent les Europeens sur le sujet?

Nicolas Schmit: Il y a en Iran des idées très précises sur le sujet. Mais aussi des forces raisonnables et des forces dangereuses. Ceux qui veulent aller dans cette direction veulent profiter d'une nouvelle géopolitique dans la région. C'est une question très délicate sur le plan international. Avec le soutien des Américains, pour l'instant, les Européens se sont lancés dans un processus pour montrer aux Iraniens qu'ils n'ont rien à gagner à s'engager dans cette voie aventureuse. Et à l'inverse, tout à gagner d'un retour sur la scène internationale. Il y a en Iran une campagne électorale, beaucoup de forces divergentes et il faut attendre que ce cap soit passé...

Thierry Labro: D'autant que l'arrivée au pouvoir de Monsieur Rafsandjani, plus enclin à céder sur le nucléaire, pourrait favoriser les négociations?

Nicolas Schmit: Actuellement, les forces accusent les autorités de trop céder sans rien obtenir en échange. Mais je ne suis pas complètement pessimiste, je ne crois pas que cet exercice mènera nulle part. Il faut insister sur le risque que prennent les Iraniens en développant le nucléaire militaire. Il est temps d'arriver à des conclusions de ces négociations. Monsieur El Baradei, le directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique, me disait à New York que I'AIEA peut contrôler l'activité de l'lran. On veut temporiser jusqu'au résultat de l'élection présidentielle. Nous avons échoué à Londres mais ce n'est pas un échec définitif. Dans quelques mois, on y verra plus clair.

Thierry Labro: Evidemment, l'autre pays auquel on pense, c'est la Corée du Nord, premier pays à demander à quitter le TNP. Et qui vient de tirer un missue qui pourrait, le cas échéant, porter une charge nucléaire...

Nicolas Schmit: C'est une question très préoccupante. Nous sommes en train de réfléchir à la façon de rendre un retrait plus onéreux, financièrement et politiquement. Mais ce retrait n'est pas considéré comme un retrait, nous ne l'acceptons pas. Il faut tout miser sur la discussion du groupe des six. Et avant tout demander à la Chine d'exercer des pressions plus fortes, plus concrètes, pour qu'elle revienne vers le contrôle nucléaire. C'est l'affaire du régime nord-coréen le plus irrationnel, le plus fou. Il est extrêmement difficile de le ramener à la raison.

Thierry Labro: Il existe un schéma de retrait plus contraignant présenté, selon le journal Le Monde, par les Français et les Allemands. C'est la position européenne?

Nicolas Schmit: Oui, en réalité, nous devrions parler de la position européenne. Même si la France et l'Allemagne pèsent dans les discussions. La présence à New York du ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka Fischer, n'est pas anodine. Mais il existe un modèle européen. Il faut que l'Europe soit très présente. D'ailleurs, le traité constitutionnel organise la mise en place d'un ministre européen des Affaires étrangères, qui devra avoir son mot à dire. Javier Solana (le haut représentant de l'Union européenne pour les questions de sécurité et de défense, ndlr) participe aux réunions avec l'lran. Nous, Européens, devons tous coopérer.

Thierry Labro: A New York, justement, vous représentiez la présidence de l'Union européenne et à ce titre, vous avez prononcé un long discours d'ouverture. Un discours dans lequel on retrouve une préoccupation majeure: le contrôle des exportations.

Nicolas Schmit: Il ne peut y avoir de traité de non-prolifération sans contrôle préalable à l'origine. Chaque Etat doit mieux contrôler la technologie ou les éléments techniques et il faut pénaliser ceux qui s'aventurent sur des chemins de traverse. Les Etats-Unis l'ont fait. La discipline doit être plus forte au niveau des contrôles et des sanctions. Il faudra dégager des règles multilatérales pour renforcer ces contrôles. C'est essentiel que tout le monde travaille sur les mêmes règles. Affaiblir le multilatéralisme, c'est créer des dangers pour la sécurité dans différentes régions, comme en Asie où l'attitude de la Corée peut remettre en question l'équilibre, au Moyen Orient avec l'lran. C'est le rôle de I'AIEA aussi, et cela doit permettre de rendre sa crédibilité au traité. Dans le même temps, il faut désarmer les cinq puissances nucléaires. Les Etats-Unis et la Russie ont commencé mais il faut faire des efforts supplémentaires. Notons dans ce contexte, les exemples que sont le Brésil et l'Afrique du Sud, voire de la Lybie qui s'était fourvoyée et qui y a renoncé. Certes sous l'effet des pressions. Mais aussi par conviction intime que c'était la seule et bonne façon. Dans le même ordre d'idées, il ne faut refuser à personne la possibilité du développement du nucléaire civil...

Thierry Labro: Pierre d'achoppement des négociations avec l'lran, qui un jour dit oui, un jour dit non...

Nicolas Schmit: Malgré les réticences, chaque pays doit avoir la possibilité, s'il le souhaite, de développer le nucléaire civil. Là encore, cela doit se faire dans le respect des règles internationales en offrant la possibilité à la communauté internationale de contrôler et en prenant l'engagement clair d'exclure le développement militaire.

Thierry Labro: L'lnde, le Pakistan...

Nicolas Schmit: Et ajoutez un troisième larron, Israël. C'est comme si le TNP avait quelque part une zone blanche, un blanc. Trois pays qui ont, manifestement pour deux mais probablement pour les trois, l'arme nucléaire et qui ne sont pas partie au TNP. Il faut les y contraindre. Tendre vers l'universalisation, qu'ils respectent aussi les règles communes.

Thierry Labro: Evoquer le Pakistan, c'est aussi aborder un autre aspect: le rôle joué non plus par les Etats mais par les acteurs non étatiques...

Nicolas Schmit: On ne peut imaginer laisser des gens vendre des technologies sans contrôle sur la scène terroriste. C'est inimaginable! Laisser des armes nucléaires sous l'emprise de l'irrationnel, du fanatisme. Ce n'est pas possible. Et là encore, c'est le contrôle des Etats qui doit faire la différence. Le risque n'est pas clairement établi, mais il n'est pas nul. La prévention est notre seule arme.

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