Jean Asselborn au sujet du résultat du référendum français sur la Constitution pour l'Europe

Sophie Baker: Bonjour, Jean Asselborn.

Jean Asselborn: Bonjour, Madame.

Sophie Baker: La Présidence luxembourgeoise de l’Union européenne va se trouver ternie, entachée même peut-être, par ce "non" français à la Constitution ?

Jean Asselborn: Mais je crois que tout le monde sait que la présidence n’a qu’une influence très, très réduite quand même sur le vote, très démocratique, dans un pays comme la France.

Sophie Baker: Vous ne vous sentez pas responsable ?

Jean Asselborn: Écoutez, quand même, je ne dirais pas non. Parce que c’était en fait la première fois, d’après ce que je sais, que les partis politiques traditionnels de gauche, de droite, du centre, les syndicats, les forces vives, en grande majorité, ont été mis en minorité dans votre pays, par des positions minoritaires dans les différents partis ou par des positions minoritaires sur la scène politique. Cela doit nous interpeller, il y va de la crédibilité de la politique et des politiques. Donc, je pense que nous aussi, enfin, tous ceux qui sont acteurs sur le plan européen sont interpellés et doivent se poser des questions. Est-ce qu’on est bien compris ? Ou est-ce qu’on ne se fait pas comprendre ? Ou est-ce que tout ce qu’on fait est quand même à côté de la plaque ?

Sophie Baker: Est-ce qu’il aurait pu y avoir plus de pédagogie au niveau européen, pris globalement ?

Jean Asselborn: Oui, je pense que pas seulement de la pédagogie, mais je suis très franc avec vous, regardez l’image que donne l’Europe en ce qui concerne ses perspectives financières. Donc, l’Europe n’est pas capable de dire aux gens pour les sept années qui viennent : j’ai autant de recettes et autant de dépenses.

Sophie Baker: Mais le budget est en train d’être débattu.

Jean Asselborn: Oui, on ne cesse pas de débattre. Mais écoutez, le problème c’est que si on veut vraiment construire l’Europe et faire comprendre ce qu’est l’Europe, il faut que les intérêts nationaux, l’Europe, ce n’est pas seulement une addition arithmétique de tous les intérêts, des pays membres, c’est plus. Et il faut faire comprendre cela. Moi, je ne suis là que maintenant depuis neuf mois, mais je vois cette lourdeur, les difficultés qu’on a en Europe pour faire avancer les choses dans la bonne direction, et ce sont toujours des réflexes nationaux qui prédominent. Alors, il faut faire croire au peuple français comme au peuple néerlandais, ou d’autres en Europe, que tout ce qu’on fait, c’est dans l’intérêt de l’Europe. Et la pédagogie y joue aussi un rôle. Ce n’est pas simple.

Sophie Baker: Est-ce que vous pensez qu’au Conseil européen des 16 et 17 juin prochains, un accord sur ce budget européen pour la période 2007-2013 va pouvoir être trouvé ?

Jean Asselborn: Oui, la solution est vite trouvée. Il faut que… [est interrompu]

Sophie Baker: C’est indispensable.

Jean Asselborn: Elle est sur la table. Il faut vraiment que les Anglais fassent un petit effort et comprennent ce qu’il faut comprendre dans la vie. Après vingt ans, on n’est plus à Fontainebleau, donc, ce chèque britannique, il faut le modifier à mon avis.

Sophie Baker: Il est au rabais, pour l’instant, le chèque britannique.

Jean Asselborn: Oui, mais il y a des solutions. Et en ce qui concerne maintenant le tout, l’ensemble des perspectives financières, là aussi, on a fait des propositions. Et on refera une dernière proposition. Je crois qu’on a tout pour réussir. Et ce serait formidable quand même. Tout le monde dit, sous Présidence luxembourgeoise, vous devez arriver à des conclusions. Mais alors tout le monde doit aussi mettre un peu d’eau dans son vin, et puis essayer de trouver ce compromis qui, à mon avis, dans beaucoup d’États nationaux permettrait d’arriver très très vite à des conclusions.

Sophie Baker: Monsieur le ministre, les jeux sont faits pour le référendum de demain aux Pays-Bas. Le "non" l’emporte, d’après les sondages, à 60%. Vous pensez qu’il peut y avoir un renversement de la tendance ?

Jean Asselborn: C’est très difficile. Bon, écoutez, l’effet domino et tout ça, cela a été dit et redit. Nous avons aussi un référendum ici au Luxembourg dans six semaines. Il faut se dire que ce n’est pas facile. Je pense quand même qu’en ce qui concerne maintenant le Luxembourg, même la Hollande, si je puis me permettre, ce n’est pas la France. Bon, la France, elle a fait son choix. Je ne sais pas si c’est la France profonde qui a dit "non" à une Europe politique ou si c’est la France franco-française avec les jeux politiciens qui ont dominé. Je crois que ce sont les deux.

En Hollande, même avant donc cette tendance plutôt négative en France, on avait le même phénomène. Les gens ont peur d’une Europe plus grande, d’une Europe qui n’est pas assez approfondie. Je pense que ce sera très, très difficile et puis on aura un effet double, donc des positions négatives doubles. Ce ne sera pas facile pour nous, pour la Présidence, mais je crois qu’il faut rester calme. Il faut qu’on fasse tout pour que les procédures continuent quand même. On ne peut pas contourner le 29 mai et commencer déjà à parler d’une nouvelle date ou d’autres procédures. La France, et aussi si c’est vraiment "non" aux Pays-Bas, ils doivent voir, ces deux pays, qu’isolés, recroquevillés sur eux-mêmes, dans un monde multipolaire, on n’a aucune chance. Donc, la seule chance pour les intérêts français, pour les intérêts néerlandais et surtout comme nous, un petit pays comme le Luxembourg, c’est quand même qu’on arrive à construire cette Europe politique et à faire comprendre aux gens qu’ils vivent dans cette Europe.

Sophie Baker: Jean Asselborn, vous dites qu’il faut respecter les procédures, mais aujourd’hui, les Britanniques se demandent s’ils vont même aller jusqu’à la ratification. Si l’un des Vingt-cinq ne ratifie ou ne tente même pas de ratifier la Constitution, alors celle-ci, pour le coup, est réellement menacée.

Jean Asselborn: Vous avez tout à fait raison. Il faut dans tout ce qu’on fait maintenant, dans les prochains jours, il faut garder la Grande-Bretagne à bord. C’est très, très urgent. Et j’ai parlé avec mes homologues, je crois que là aussi, les jeux de politique intérieure ne doivent pas prédominer.

Vous savez qu’on a une petite soupape dans le chapitre 4 du traité qui dit que si sur les vingt-cinq États, vingt ont ratifié, le Conseil européen peut prendre une décision sur ce qu’il fait avec les trois, quatre, cinq autres pays, qui ont eu des difficultés pour ratifier. Mais on n’en est pas encore là. Je pense, ce que je vous ai dit, maintenant après ce qui s’est passé le 29 en France, il faut garder surtout l’Angleterre à bord, parce que si vraiment [elle vote "non"], on joue là avec le feu, on pourrait faire exploser l’Europe et ce n’est pas dans l’intérêt de nos peuples.

Sophie Baker: Quelle est l’image de Jacques Chirac aujourd’hui, à votre avis, parmi ses partenaires européens ? Il va devoir se justifier ?

Jean Asselborn: La présidence et un pays comme le Luxembourg ne se permettent pas de juger les hommes politiques d’un grand pays comme la France. Moi, vraiment, je dois faire très, très attention, et je ferai très attention, mais Jacques Chirac, en tant que personne, en tant que président de la République française, je crois que tout le monde a compris, il a fait des efforts à tous les niveaux, que ce soit donc au niveau du centre, de la gauche et de la droite. Bon, il y a d’autres influences qui ont joué, maintenant le résultat affaiblit certainement les positions françaises, ça, c’est un fait. Et ce résultat ne renforce pas la France, ça, c’est vrai. Et le président de la République doit prendre maintenant les décisions politiques appropriées.

Sophie Baker: Et vous pensez que la réponse de Jacques Chirac, qui consiste à changer le Premier ministre, est suffisante ?

Jean Asselborn: Ça n’a rien à voir avec le "non" ou avec le "oui", si vous me permettez. Cette décision-là, elle a été prise depuis longtemps, je crois.

Sophie Baker: Je vous remercie, Jean Asselborn.

Jean Asselborn: Merci, Madame.

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