Jean-Claude Juncker au sujet du résultat du référendum français sur le traité constitutionnel

Denis Berche: Comment vous sentez-vous au lendemain de la victoire du "non" en France?

Jean-Claude Juncker: Plutôt mal! Et je reste perplexe devant le débat français tant le camp du "non" a développé des arguments tellement contradictoires. Il n'y a pas une seule explication à la victoire du "non", il y en a plusieurs et elles sont fort différentes.

Car il y a le "non" de ceux qui s'opposent depuis toujours à la construction européenne et le "non" de ceux qui voient une approche insuffisamment ambitieuse dans cette même construction. Sans oublier le "non" qui s'explique par le rejet du pouvoir en place.

Nous avons besoin de réfléchir à ces contradictions qui sont françaises et qui peut-être sont européennes. Le débat a vu s'affronter plusieurs conceptions de l'Europe, naviguant entre la position de ceux qui veulent plus d'Europe et celle de ceux qui pensent que l'Europe d'aujourd'hui, déjà, va trop loin. Nous avons écouté les uns et les autres et de cette écoute, nous sortons perplexes.

Denis Berche: La ratification de la Constitution européenne va malgré tout se poursuivre jusqu'en octobre 2006...

Jean-Claude Juncker: Nous devons démontrer que la richesse de l'Europe ne s'est pas arrêtée dimanche soir avec le "non" de la France. Neuf pays ont déjà dit "oui", un seul a dit "non". Il en reste quinze à se prononcer. S'arrêter au premier "non", même s'il vient de la France, ne serait pas conforme aux traditions de l'Union européenne.

Nous devons prouver aux Européens et au monde extérieur que la construction européenne ne s'est pas terminée dimanche soir, mais que nous voulons au contraire maintenir l'Europe sur les rails.

En 1992, les Danois avaient rejeté le Traité de Maastricht et en 2001, les Irlandais en avaient fait de même avec le Traité de Nice. Nous n'avons pas pour autant arrêté les ratifications en cours. Nous avons essayé de convaincre les peuples irlandais et danois sans renégocier la moindre ligne des traités. Et nous y sommes finalement parvenus.

Denis Berche: Cela peut-il être le cas avec la France?

Jean-Claude Juncker: Cette démarche serait à coup sûr beaucoup plus difficile. Il ne peut y avoir une seule réponse à avancer devant le camp hétéroclite du "non". Nous ne pouvons pas renégocier le traité mais il faudra qu'un jour, nous trouvions autre chose. Nous aurons d'ici là perdu 10 à 15 années.

Nous allons donc poursuivre la ratification de la Constitution dans les pays pour lesquels cela n'a pas encore été fait et nous allons alimenter le débat. Nous avons écouté le débat français. Si tous les peuples d'Europe prenaient le même intérêt à la chose européenne que les Français, nous assisterions enfin à l'émergence de cette opinion publique européenne qui nous fait si cruellement défaut aujourd'hui.

Comme la France a toujours été un pays ouvert, la France doit aussi à son tour écouter les autres. Que les Français continuent le débat entre eux et qu'ils écoutent aussi.les débats des autres Européens.

Denis Berche: Ce mercredi, les Néerlandais se prononcent à leur tour. Le "non" part favori...

Jean-Claude Juncker: Si le "non" devait l'emporter, ce serait sans doute pour des raisons strictement opposées à celles qui ont prévalu en France.

Denis Berche: Craignez-vous un effet domino du "non" français?

Jean-Claude Juncker: Cela peut être le cas, même si dire "non" le premier ne donne aucune lettre de noblesse. Cela peut aussi motiver davantage ceux qui ont choisi de dire "oui". Ils le feront donc sans doute avec encore plus de verve et plus de ferveur. Maintenant, il nous reste à convaincre tous ceux qui doutent et qui hésitent.

Denis Berche: Le Luxembourg se prononcera par référendum le 10 juillet. Vous avez toujours dit votre inquiétude à l'idée de ce référendum. Êtes-vous plus inquiet aujourd'hui?

Jean-Claude Juncker: J'étais toujours inquiet car je sais la difficulté dont sont toujours porteuses les grandes consultations populaires sur l'Europe. Je l'avais dit pour la France, je l'ai dit et je le dis encore et aussi pour le Luxembourg. Comme j'étais très inquiet dès le début, je ne peux pas dire que je le sois moins aujourd'hui.

Denis Berche: Y a-t-il un vrai risque que les Luxembourgeois votent "non" à la Constitution?

Jean-Claude Juncker: Je suis inquiet, je le reste et j'espère que je ne le serai pas plus au matin du 11 juillet. Il est évident, vu la proximité immédiate entre la France et le Luxembourg, que le débat français va rejaillir sur la situation luxembourgeoise, il l'a déjà fait. Le camp du "oui" a beaucoup de difficulté à se faire comprendre suite aux échanges qui ont eu lieu en France et suite au verdict de dimanche soir.

Mais dans son histoire, le Luxembourg a prouvé son attachement à l'Union européenne et n'a jamais renié ses convictions européennes. Nous savons ce que l'Europe nous apporte et nous savons aussi ce que nous lui apportons. Nos destins sont trop intimement liés.

Denis Berche: Au lendemain du "non", vous avez plus mal au cœur ou à la tête?

Jean-Claude Juncker: Nous entrons dans une période d'incertitude et d'insécurité. L'impact sur le développement économique de l'Europe ne pourra pas être positif. J'ai donc le cœur gros et la tête pleine d'idées.

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