Jean-Claude Juncker fait le bilan de la Présidence luxembourgeoise

Bel RTL: Bonjour, Jean-Claude Juncker.

Jean-Claude Juncker: Bonjour.

Bel RTL: Alors, depuis ce matin, vous n'êtes plus président du Conseil européen, c'est Tony Blair. Vous lui en voulez toujours autant ?

Jean-Claude Juncker: Non, les différends politiques ne se traduisent jamais en différends entre les personnes. Le problème est plus grave que le problème entre deux personnes.

Bel RTL: Oui, qu'est-ce que vous voulez dire ?

Jean-Claude Juncker: Je constate, depuis quelques années, mais avec plus de tonus aujourd'hui, que s'affrontent en Europe deux conceptions. Celle-ci, ceux qui, sans le dire, veulent retransformer l'Europe en une zone de libre-échange, certes de niveau très élevé, mais [est interrompu]

Bel RTL: C'est Tony Blair, ça ?

Jean-Claude Juncker: C'est une tendance dont Tony Blair dit qu'il ne la représente pas. Il aura donc l'occasion pendant les six mois de sa présidence de prouver qu'il n'est pas le leader de cette tendance. Et puis, il y a ceux qui voudraient que l'intégration européenne continue et que nous transformions l'Union européenne que nous avons aujourd'hui en une véritable union politique.

Bel RTL: Mais vous ne croyez pas Tony Blair quand il dit : je suis un Européen passionné, je ne veux pas faire de l'Europe rien qu'un grand marché. Vous ne le croyez pas ?

Jean-Claude Juncker: Je veux croire ce qu'il dit et je voudrais voir ce qu'il fera pour que je puisse mieux comprendre qu'il aura dit ce qu'il devra faire.

Bel RTL: Mais de l'Europe des fondateurs, il y a encore des vrais leaders européens qui pourraient sortir l'Europe de la crise ?

Jean-Claude Juncker: Vous voyez, mon souci profond est bien celui-là. Il était facile de faire l'Europe dans les années 50. En fait, il n'était pas aussi facile que cela, parce que ceux qui sont revenus des champs de bataille, des camps de concen­tration ont dû le faire, alors qu'ils avaient toutes les raisons pour baisser les bras. Ils ne l'ont pas fait. Ils nous ont laissé une Europe qui fonctionnait. Si notre génération n'arrivait pas à faire de l'Union européenne un projet qui dure et qui reste un projet d'ensemble pour un continent, dont je vous disais qu'il était compliqué, ceux qui viendront après nous, d'ici 20 ou 30 années, ceux qui gouverneront nos pays, animeront nos sociétés, ne disposeront plus de cette force alimentée par une mémoire collective complète. Ils n'auront plus la force pour sortir l'Europe de l'impasse dans laquelle nous risquons de la mener, parce qu'ils ne sauront plus qui était Hitler, qui était Staline, tous les repères historiques auront disparu. Il n'y aura plus ce ferment, chaque jour renouvelé, qui veut que l'Europe soit comprise comme une ambition qui reste et comme une ambition qui, pour rester en vie, a besoin d'être complétée chaque jour par des transsolidarités transfrontalières.

Bel RTL: Et donc, si vous preniez la présidence aujourd'hui, quel premier geste feriez-vous pour relancer l'Europe ?

Jean-Claude Juncker: Je réfléchirai avant de parler.

Bel RTL: C'est ce que vous pensez de Tony Blair ?

Jean-Claude Juncker: Mais non, Madame, je n'ai pas le complexe de Tony Blair. Je dis que ceux qui dirigent l'Europe pour six mois doivent d'abord se mettre à l'écoute de tous les autres. Nous sommes avec les Bulgares et les Roumains, qui nous rejoindront probablement au 1er janvier 2007, nous sommes 27. On ne peut pas diriger une action collective si on n’intègre pas dans la pensée qu'on formule pour les autres, les points de vue de ceux qu'on connaît moins bien que soi-même. Donc, il faut savoir : quels sont les grands problèmes de l'Estonie, qu’est-ce que les Litua­niens voudraient que nous ajoutions au réseau de solidarité en Europe, quels sont les problèmes de la Finlande du nord ? Il faut savoir tout ça pour diriger l'Europe. Donc, il faut d'abord écouter avant de parler.

Bel RTL: Et qu'est-ce que vous dites aux Luxembourgeois pour les convaincre de voter pour le traité constitutionnel le 10 juillet ?

Jean-Claude Juncker: C'est un traité constitutionnel qui, en ce qui concerne l'Europe, a posé les jalons d'une façon à ce que l'Europe, construction politique, puisse continuer. Et c'est un traité constitutionnel qui pour le Luxembourg est le résumé de tous les avantages que jusqu'à présent, nous tirions de notre appartenance à l'Union européenne et qui est un résumé de tous les avantages que nous avons voulu garder. Je ne vois pas quels seraient les éléments dans ce traité constitutionnel qui feraient que les Luxembourgeois ne se prononceraient pas favorablement, tout en sachant que bon nombre d'entre eux s'apprêtent à dire "non" à ce traité constitutionnel.

Bel RTL: Donc, s'ils disent "non" ?

Jean-Claude Juncker: Enfin, moi, j'ai le respect du suffrage universel et du vote populaire. Si les Luxembourgeois rejetaient un traité qu'en leur nom j’ai signé, j'en tirerais toutes les conséquences que le respect élémentaire des règles démocratiques m'inspirent.

Bel RTL: C'est-à-dire ?

Jean-Claude Juncker: Enfin, j'avais dit que si tel devait être le cas, si l'évènement dont vous parlez devait se présenter, que je démissionnerais. Je ne le dis pas pour exercer une quelconque sorte de chantage, mais je veux être en harmonie avec moi-même.

Bel RTL: Et là, vous avez bon espoir quand même pour le référendum et pour l'Europe ?

Jean-Claude Juncker: Je ferai tout pour que les Luxembourgeois disent "oui", parce que s'ils disent "oui" pour un jour, ils auront acquis une importance à laquelle leur géographie et leur démographie normalement ne les prédestinent pas. Si les Luxembourgeois disent "oui", ils redonneront de l'espoir à l'Europe et à tous ceux qui, nombreux, souhaiteraient et souhaitent que l'Europe devienne un grand acteur sur la scène mondiale et ne se limite pas à ajouter des performances économiques aux performances économiques qui sont déjà les nôtres, mais deviendra une Union européenne où le social aurait la même importance que l'économique. Je voudrais que les Luxembourgeois contribuent à faire de l'Europe ce grand projet politique dont on peut rêver, sans devenir irréaliste quant aux chances de l'Europe des cinq ou des six. Si les Luxembourgeois devaient dire "non", le traité constitutionnel serait définitivement enterré. Il ne faut pas enterrer ce traité.

Bel RTL: Merci, Jean-Claude Juncker. On ne peut pas encore vous souhaiter de bonnes vacances ?

Jean-Claude Juncker: Pas du tout. Merci à vous.

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