Nicolas Schmit fait le bilan de la Présidence luxembourgeoise

Danièle Fonck, Tom Reisen: La Présidence luxembourgeoise a connu deux revers: les "non" français et néerlandais et, dernièrement, l'échec du sommet de Bruxelles sur le budget 2007-2013. Quelle est votre analyse sur les deux sujets en question ?

Nicolas Schmit: Il est vrai que nous n'avons pas réussi à trouver un accord sur les perspectives financières, mais il ne faut pas juger la Présidence sur ce seul échec. En vérité, nous avons eu trois grands rendez-vous: la réforme du pacte de stabilité, celle de la stratégie de Lisbonne et les perspectives financières. Nous avons mené à bien les deux premiers.

Danièle Fonck, Tom Reisen: A quoi tient alors l'échec du sommet de Bruxelles ?

Nicolas Schmit: Nous étions près de trouver une solution satisfaisante pour tous. En tous cas, la crise – bien que je rechigne à employer ce terme – n'est pas due à l'Europe élargie des Vingt-Cinq. En fait, les débats ont cristallisé deux positions antagonistes qui traversent le débat européen depuis les 20 dernières années. C'est d'un côté une vision libre-échangiste de I'UE défendue par le Royaume-Uni ainsi que deux ou trois pays de l'Europe du Nord et une vision franco-allemande plus axée sur l'Europe sociale. Mais ce phénomène n'est pas nouveau.

Danièle Fonck, Tom Reisen: Ne serait-il pas temps alors d'analyser sans préjugés les deux systèmes en présence: le modèle rhénan et le modèle anglo-saxon ?

Nicolas Schmit: Bien sûr. Néanmoins, il me semble évident qu'il ne peut y avoir de véritable développement de l'Europe sans une véritable politique de solidarité.

Cela étant, il est vrai que le modèle rhénan connaît quelques difficultés et que des réformes sont nécessaires. Il n'est pas impensable de trouver une synthèse entre les deux modèles, à savoir une solidarité pleine et entière entre les États membres et une compétitivité accrue de I'UE pour faire face aux défis économiques de la mondialisation. C'est d'ailleurs tout le sens de la stratégie de Lisbonne.

Danièle Fonck, Tom Reisen: N'est-ce pas justement cet aspect de la compétitivité qui, en France du moins, a en partie été la cause du non?

Nicolas Schmit: Je sais qu'en France les tenants du non ont fustigé cette formulation d'économie de marché hautement compétitive. Je ferais simplement remarquer qu'une économie de marché qui n'est pas hautement compétitive ne peut pas longtemps rester une économie sociale. Encore une fois: il faut concilier les deux. Préserver l'aspect social de l'Union et investir dans la recherche et l'innovation pour maintenir notre compétitivité.

Danièle Fonck, Tom Reisen: Faut-il alors rééquilibrer le budget européen: 40% du budget sont effectivement alloués à la politique agricole commune qui ne concerne pourtant que 2% de la population active ?

Nicolas Schmit: Je ne le pense pas. Il ne faut jamais oublier que la PAC est la seule politique européenne entièrement subventionnée par voie communautaire. Je le reformulerais volontiers autrement: ce n'est pas le budget de la PAC qui est trop élevée, c'est le budget communautaire qui ne l'est pas assez.

Danièle Fonck, Tom Reisen: Venons-en au traité constitutionnel. N'était-ce pas une erreur de la part de la Convention d'appeler ce traité constitution ?

Nicolas Schmit: Avec le recul, je dirais que c'était peut-être bien une erreur. La Convention – et son président, Valéry Giscard d'Estaing, en tête – avait un projet ambitieux.

Il y a là aussi un peu de ce grand rêve européen d'établir un parallèle avec les États-Unis. Nous nous sommes en quelque sorte piégés nous-mêmes. Mais je m'empresse de dire que si le texte n'est pas à proprement parler une Constitution, il contient néanmoins certains éléments qui vont dans le sens d'une Constitution.

Le terme a sans doute aussi été choisi pour ce qu'il pouvait avoir d'attrayant et de potentiellement fédérateur pour les peuples d'Europe.

Danièle Fonck, Tom Reisen: Et pourquoi les populations n'ont-elles pas compris ce message ?

Nicolas Schmit: La troisième partie du traité a induit les gens en erreur. Ils n'ont pas compris ce que venaient faire des considérations parfois très techniques dans une Constitution. C'était donc un problème de communication et de présentation.

Danièle Fonck, Tom Reisen: N'aurait-il pas mieux valu faire passer la réforme institutionnelle avant l'élargissement ?

Nicolas Schmit: Peut-être bien. Il était en effet prévu d'approfondir d'abord, puis d'élargir.

Depuis 1997, nous avions pris des engagements envers les pays de l'Est. Le traité d'Amsterdam était un échec, celui de Nice un bricolage. Il fallait aller de l'avant et ne pas décevoir les pays candidats.

Dans cette affaire nous avons cependant négligé nos propres populations.

Danièle Fonck, Tom Reisen: En ce qui concerne le référendum au Luxembourg, n'aurait-il pas fallu suivre l'exemple des autres pays qui, au lendemain du sommet, se sont donnés un temps de réflexion avant de poursuivre le processus de ratification ?

Nicolas Schmit: C'est ce que j'ai moi-même pensé à l'époque. Nous aurions facilement pu annuler le référendum du 10 juillet. Mais je pense qu'il était déjà trop tard.

Mentalement, les Luxembourgeois étaient préparés pour aller voter. Annuler le référendum ou le repousser aurait eu à un moment ou un autre des répercussions néfastes; sur le gouvernement d'abord, sur l'Europe ensuite.

Danièle Fonck, Tom Reisen: Mais sur quoi allons-nous voter le 10 juillet ? Le traité n'est-il pas d'ores et déjà mort ?

Nicolas Schmit: Juridiquement le traité n'est pas mort. Il faut que tous les États membres se prononcent sur son adoption. Si au bout de ce processus deux pays ne l'ont pas ratifié, il faudra chercher une solution politique. Il faudrait alors voir quelles sont les demandes spécifiques de ces pays et les faire revoter à ce moment-là. On l'a bien fait pour les Irlandais et pour les Danois. Pourquoi pas la France?

Danièle Fonck, Tom Reisen: Vous savez fort bien qu'on ne peut pas faire revoter les Français sur la même question d'ici à un an, comme vous savez qu'il est faux de s'accrocher à l'équation théorique "un pays = un pays". Non ?

Nicolas Schmit: C'est vrai, bien sûr. Mais le non en France était aussi lié à des questions de politique intérieure.

Et d'ici deux ans bien des choses peuvent changer. D'ailleurs on peut déjà remarquer qu'un débat se met en place. On a vu ainsi Nicolas Sarkozy demander un gel de l'élargissement. J'y vois un signe qu'en France on est actuellement en train de préparer le terrain pour sortir de la situation qui a été créée par le non.

Danièle Fonck, Tom Reisen: Quels arguments donneriez-vous pour voter oui à ceux qui hésitent encore ?

Nicolas Schmit: Je veux prendre comme point de départ l'élargissement. L'élargissement était une nécessité. Pour que celui-ci devienne bénéfique pour tous les pays de I'UE, il faut lui donner un cadre. Ce cadre, c'est le traité constitutionnel. De plus, il permet une Europe qualitativement meilleure. Les petits pays comme le Luxembourg ont besoin de règles et de solidarité politique pour pouvoir s'épanouir. Tout autre solution nous serait moins favorable.

Danièle Fonck, Tom Reisen: Ce texte menacera-t-il le système de sécurité sociale luxembourgeois ?

Nicolas Schmit: Bien évidemment non. Tout ce qui touche au domaine de la sécurité sociale requiert l'unanimité dans I'UE. Il n'est donc pas question d'harmoniser quelque chose qui représente la culture sociale d'un pays.

Danièle Fonck, Tom Reisen: L'Europe pourra-t-elle s'immiscer dans notre système scolaire ?

Nicolas Schmit: Non, car l'enseignement reste du domaine de la compétence nationale.

Danièle Fonck, Tom Reisen: Le traité risque-t-il d'entraîner les privations de l'électricité, du gaz, de l'eau ?

Nicolas Schmit: Le traité de Rome établit que la forme de propriété pour ces domaines est déterminée par chaque pays.

Ce qui en revanche va arriver, c'est qu'il y aura plus d'opérateurs, et donc plus de concurrence.

Danièle Fonck, Tom Reisen: Quel rapport entre la directive Bolkestein et le traité?

Nicolas Schmit: Aucun.

Danièle Fonck, Tom Reisen: Devra-t-on à l'avenir aller chercher ses autorisations de construire à Bruxelles?

Nicolas Schmit: Non.

Danièle Fonck, Tom Reisen: Les soldats luxembourgeois devront-ils participer à des opérations militaires européennes ?

Nicolas Schmit: Non, puisqu'il n'existe pas d'armée européenne. Aucun soldat luxembourgeois ne pourra être envoyé à l'étranger sans l'accord du gouvernement luxembourgeois.

Danièle Fonck, Tom Reisen: Notre place financière est-elle en danger ?

Nicolas Schmit: Ce traité n'apporte aucun élément nouveau en ce qui concerne ce domaine. La fiscalité reste soumise à l'unanimité.

Danièle Fonck, Tom Reisen: Les chemins de fer luxembourgeois sont-Ils menacés en tant que service public ?

Nicolas Schmit: Non, au contraire. Ce traité – pour la première fois – retient la notion même de service public. Le traité reconnaît le service public comme étant une part substantielle de la culture sociale européenne et de sa cohésion.

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