Tout simplement le sentiment du devoir accompli. Nicolas Schmit fait le bilan de la Présidence luxembourgeoise

Robert Pailhès: A peine la Présidence luxembourgeoise terminée, voilà que la Présidence britannique propose un débat à l'automne sur le modèle social. N'est-ce pas un peu frustrant ou source de regrets?

Nicolas Schmit: Personnellement, ça ne me laisse pas de regrets. Ce débat était déjà virtuellement commencé, au moment où on a rediscuté de Lisbonne, qui est aussi l'économie par rapport au social, à l'environnemental.

Monsieur Blair veut ouvrir ce débat, je m'en félicite. C'est qu'il a un intérêt pour la dimension sociale, a priori je ne conteste pas. Mais il faut voir à quoi on va aboutir. Avoir un débat, c'est bien, encore faut-il aboutir à quelque chose.

Robert Pailhès: Vous semblez avoir quelques doutes...

Nicolas Schmit: Je suis curieux.

Robert Pailhès: La Présidence luxembourgeoise dit avoir atteint deux de ses trois objectifs: le pacte de stabilité et la stratégie de Lisbonne. Pourtant, à voir la difficulté à faire passer vos compromis auprès du Conseil, n'est-ce pas seulement des petits pas que vous avez accomplis?

Nicolas Schmit: C'est un bon succès sur les deux points. Nous avons déminé le terrain du pacte de stabilité, qui était devenu un champ de mines extrêmement périlleux et qui risquait d'emporter définitivement le pacte de stabilité et de croissance – on oublie toujours "croissance". On l'a reconnecté à la réalité.

Quant à la stratégie de Lisbonne, c'était un exercice presque du type mission impossible puisque Lisbonne était enlisé dans un amas de toutes sortes de critères mais avec peu d'emprise sur le réel économique et social. On a apuré tout cela, on l'a rendu plus apte à être mis en œuvre, or c'est là où le bât blessait, il n'y avait aucune mise en œuvre. Là, il faut espérer qu'avec l'ancrage dans le contexte national la mise en œuvre va être plus efficace. Les objectifs fixés en 2000 étaient illusoires et portés par une sorte d'aveuglement.

Robert Pailhès: Le Luxembourg a globalement été loué pour la manière dont il a mené sa Présidence. Cela peut-il changer l'image du pays?

Nicolas Schmit: Je n'ai pas vu beaucoup de critiques, sauf un peu chez les Anglo-Saxons. Je crois que le travail accompli a été généralement apprécié, je pense que l'on a fait notre devoir, on a fait ce que l'on a pu. Ce "on", c'est toute l'équipe, tous ceux qui ont été associés à cette tâche. De ce point de vue, je crois que le Luxembourg sort plutôt renforcé de cet exercice, consolide son image européenne et son savoir-faire.

Robert Pailhès: Que va-t-il advenir des trois cents contractuels environ qui avaient été embauchés pour la circonstance?

Nicolas Schmit: Une partie va être recrutée par l'État, il y en a eu de formidables. L'objectif était aussi de donner à des gens l'occasion d'avoir un travail intéressant, qui leur a apporté une expérience et qu'ils pourront valoriser ailleurs. La dimension européenne est telle aujourd'hui que quelqu'un qui connaît la mécanique européenne peut trouver un emploi.

Dans une Europe élargie, un de mes soucis est d'encourager les jeunes Luxembourgeois à s'engager dans la fonction publique européenne, où nous en manquons terriblement. Car le marché de l'emploi est tel que l'attrait d'aller passer un concours pour être recruté à la Commission, au Parlement ou autre est moins grand au Luxembourg qu'ailleurs.

Robert Pailhès: Ne pensez-vous pas que, lorsque un grand pays prend la Présidence, comme le Royaume-Uni, la médiatisation est plus forte que pour un petit?

Nicolas Schmit: Peut-être est-elle un peu plus forte, mais j'ai trouvé que globalement la Présidence luxembourgeoise a été bien médiatisée.

Sinon, Monsieur Blair est un expert en médias, en plus il a hérité de la Présidence au moment où il était sous les projecteurs. C'est un peu le paradoxe parce qu'il est aussi celui qui a créé le blocage au Conseil européen.

Mais les médias seuls ne suffisent pas, il faut ensuite délivrer de la substance.

Robert Pailhès: Etant donné que l'on ne verra pas de sitôt un président européen, la Présidence tournante va continuer, mais dans le fond n'appréciez-vous pas la diversité qu'elle procure?

Nicolas Schmit: La Présidence est une charge très lourde. Jouer ce rôle de médiateur, de faiseur de compromis devient plus difficile quand on a d'autres charges à gérer. Donc je tends plutôt vers la Présidence permanente à l'avenir, bien que ce ne fût pas notre position d'origine. En outre, elle pourrait devenir un élément de convergence. Hélas! elle est renvoyée a plus tard.

Robert Pailhès: Pendant une Présidence, oublie-t-on facilement les différends politiques internes?

Nicolas Schmit: Cette Présidence a été bien gérée par toutes les forces politiques. On se dit qu'elle est un service que l'on rend à l'Europe et à la position du Luxembourg. Pour ces raisons-là, on remet ses querelles politiques normales à plus tard. Cela s'est confirmé.

Robert Pailhès: Vous êtes un homme politique dont on dit parfois qu'on ne le voit pas assez, là on vous a vu, de surcroît sur un plan international. Cela vous a-t-il changé, pousse a a autres ambitions?

Nicolas Schmit: Je m'étais apprêté à faire cette Présidence autrement et ailleurs, grosso modo sur les mêmes dossiers. Finalement je l'ai faite en tant que responsable politique, au Parlement européen où je me suis fait beaucoup d'amis pendant ces six mois. Ce fut une expérience à laquelle je ne m'étais pas en fait directement préparé, maintenant il faudra voir. Mais je ne pense pas avoir fondamentalement changé.

Ce n'est pas parce qu'on savoure pendant quelques mois une sorte de gloire, même hors des frontières, qu'il faut perdre la tête.

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