Le Premier ministre Jean-Claude Juncker au sujet de l'accord sur les perspectives financières

Frédéric Rivière: Bonjour, Jean-Claude Juncker.

Jean-Claude Juncker: Bonjour.

Frédéric Rivière: Les 25 donc, on le disait à l’instant, ont finalement réussi à s’entendre sur le budget de l’Union pour la période 2007-2013. L’enveloppe sera donc de 862 milliards d’euros. C’est à peu près 10 milliards de moins que ce que vous aviez proposé en juin dernier, lorsque vous présidiez l’Union européenne. Est-ce que cet accord ne manque pas un peu d’ambitions tout de même ?

Jean-Claude Juncker: La proposition que nous avions formulée, qui connaissait un niveau de 9 milliards plus élevé avait bien-sûr plus d’ambitions et d’allures que l’accord auquel nous sommes parvenus samedi. Mais je préfère cet accord, moins bon que celui de juin, à un désaccord et un non-accord que nous aurions pu obtenir et que nous avons frôlé.

Frédéric Rivière: Et est-ce que vous êtes sûr que, aujourd’hui, le Parlement européen va approuver ? Le président du Parlement, Josep Borell, avait d’ailleurs multiplié les mises en garde ces derniers jours et il estime que cet accord reste très éloigné de ce que souhaitait le Parlement. Il faut tout de même rappeler que le Parlement proposait 100 milliards d’euros de plus.

Jean-Claude Juncker: Le Parlement européen en matière budgétaire est ce qu’on appelle la deuxième branche de l’autorité budgétaire. Le Parlement va se pencher sur l’accord du Conseil européen et il va le corriger vers le haut, pour lui donner plus de tonus et plus d’ambitions et j’ai bon espoir, que le Parlement portera l’enveloppe budgétaire dans la proximité immédiate de ce que fut la dernière proposition luxembourgeoise.

Frédéric Rivière: Et est-ce que d’ailleurs c’est pas finalement à titre personnel un peu frustrant pour vous, de voir qu’on va probablement parvenir à un accord qui sera du niveau de ce que vous aviez proposé et que finalement le vôtre n’avait pas été accepté ?

Jean-Claude Juncker: Lorsque nous avons échoué en juin, j’avais prédit et je me sens confirmé aujourd’hui, que l’accord final, s’il devait arriver, serait très proche de la proposition d’accord que j’avais formulée. Je ne suis pas frustré, mais je suis un peu [interrompu]

Frédéric Rivière: irrité?

Jean-Claude Juncker: irrité, et triste de voir l’Europe avoir perdu 6 mois et d’avoir dépensé des énergies pour presque rien.

Frédéric Rivière: Alors, dans cet accord il y a aussi les 25 qui s’entendent pour remettre les choses à plat en 2008, c'est-à-dire rediscuter et notamment de la PAC, la Politique agricole commune, ainsi que du rabais britannique. Qu’est-ce qui va se passer concrètement dans cette période ?

Jean-Claude Juncker: Tout d’abord, il faut dire que par rapport à juin, le collègue britannique était d’accord pour revoir, et fondamentalement, le chèque britannique. Nous avions prévu un chèque gelé à 5 milliards d’euro en 2007. Voilà l’accord proposé in fine après tant de pression par nos amis britanniques. Voilà le chèque gelé à 5 milliards en 2011. D’ici là en 2008-2009, il y aura un rapport de la Commission que portera sur tous les aspects du budget, mais il n’a pas été décidé que la PAC serait corrigée vers le bas à partir de 2008. Ce serait donner une lecture excessivement pro britannique à l’accord que nous avons trouvé.

Frédéric Rivière: Mais est-ce que la PAC n’est pas de toute manière condamnée par l’accord de l’OMC, l’organisation mondiale du commerce à Hongkong hier sur la suppression des aides à l’exportation aux produits agricoles à partir de 2013 ?

Jean-Claude Juncker: Si j’ai bien compris l’accord qui a été trouvé à Hong Kong produira ses premiers effets en 2013, c'est-à-dire au début de la nouvelle période des perspectives financières qui prendra fin en 2013, puisque celle sur laquelle nous nous sommes mis d’accord porte sur 2007-2013.

Frédéric Rivière: Oui, mais est-ce que donc à cette échéance on peut considérer que la PAC dans son état actuel disparaîtra ?

Jean-Claude Juncker: Non, je ne le crois pas. Il n’y a pas de majorité, loin de là, en Europe pour mettre en pièces et mettre à néant la Politique agricole commune qui garde ses mérites et qui garde toute sa valeur. Je ne vois pas la PAC disparaître automatiquement. Ce ne sera pas le cas.

Frédéric Rivière: Alors, pour revenir un instant, Jean-Claude Juncker, au fameux rabais britannique, est-ce que ce n’est pas tout de même dans son principe même une aberration aujourd’hui - il faut rappeler que la Grande-Bretagne l’avait obtenu en 1984 quand elle était dans une situation économique difficile, alors qu’aujourd’hui c’est tout de même l’un des pays les plus prospères d’Europe.

Jean-Claude Juncker: Nous avons réduit le chèque britannique de 10 milliards et demi dans notre décision de samedi matin.

Frédéric Rivière: De manière forfaitaire, pour la période de 5 ans.

Jean-Claude Juncker: Il s’agit tout de même d’une approche, comment dire, par principe, puisque le Royaume-Uni dorénavant participera à toutes les politiques [interrompu]

Frédéric Rivière: d’élargissement

Jean-Claude Juncker: D’élargissement, à l’exception notable de la Politique agricole commune, mais le Royaume-Uni à partir de 2007 et d’une façon totale à partir de 2011 se verra contribuer comme les autres États membres au coût de l’élargissement. Il s’agit là d’un principe élémentaire de solidarité partagée auquel le Royaume-Uni voulait se soustraire avant l’accord de samedi. Maintenant le Royaume-Uni se trouve des deux pieds dans le financement de l’élargissement, ce qui est une bonne nouvelle et ce qui correspond pour le reste au bons sens.

Frédéric Rivière: Et est-ce que ce budget va permettre, selon vous, le développement des nouveaux pays qui ont intégré l’Union européenne, les nouveaux pays de l’Est ?

Jean-Claude Juncker: Je note que par rapport à la dernière proposition luxembourgeoise de juin, les politiques de cohésion voient le montant leur affecté diminuer d’un milliard seulement. Ce qui veut dire qu’in globo, les politiques de cohésion qui seront mises en place pourront fonctionner et nous permettront de rapprocher les économies, les pays et les systèmes sociaux des nouveaux États membres de la moyenne européenne. C’est un accord qui sur ce point permet de rencontrer l’essentiel de nos préoccupations et des préoccupations de nos collègues de l‘Europe centrale et de l’Europe de l’est. On aurait pu mieux faire, mais on a fait le minimum. C’est déjà ça.

Frédéric Rivière: Jean-Claude Juncker, le président Chirac a déclaré, je le cite "que l’Europe reprend sa marche en avant". Est-ce que ce n’est pas oublier un petit peu vite le non au référendum sur la Constitution en France et aux Pays-Bas ?

Jean-Claude Juncker: Il est évident que si nous avions échoué une deuxième fois samedi et si nous n’avions pas eu d’accord sur les perspectives financières, l’Europe se serait encore enfoncé d’avantage dans la morosité, dans la crise. L’accord de samedi nous permet de nous dégager des lourdeurs des derniers mois, mais il serait prématuré que de considérer qu’avec l’accord de samedi, l’Europe serait sorti de la crise. Tel bien-sûr n’est pas le cas, mais nous nous portons mieux, mais nous ne nous portons pas bien.

Frédéric Rivière: Alors, Angela Merkel, la nouvelle chancelière allemande, a réussi son entrée. Son rôle a été salué en tant que Madame bons offices, pendant les négociations et elle-même d’ailleurs a dit que désormais l’Union européenne allait pouvoir s’atteler à d’autres problèmes comme la Constitution. Qu’est-ce qu’il faudrait faire finalement pour redonner vie à ce traité qui est un peu mort-né ?

Jean-Claude Juncker: Je crois que nous avons eu plusieurs bonnes nouvelles ces derniers mois : tout d’abord les Luxembourgeois, le 10 juillet, par référendum ont dit Oui à la Constitution. Deux, nous avons pu nous mettre d’accord sur le cadre financier pour les années 2007-2013 samedi. Il nous faudra maintenant organiser dans tous nos débats, que les pays aient ratifié ou non, un véritable débat en profondeur sur les enjeux européens et nous verrons sous Présidence autrichienne en juin de l’année 2006 quel bilan intérimaire nous pouvons tirer de tous ces débats. Moi, je considère que le traité constitutionnel n’entrera pas en vigueur sur les 2, 3 années à venir, mais il nous faudra poser les conditions qui nous permettront de mieux re-décoller après.

Frédéric Rivière: Merci, Jean-Claude Juncker. Bonne journée.

Jean-Claude Juncker: Merci à vous.

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