"On ne touchera pas à la tripartite". Jean Asselborn au sujet de l'actualité nationale et européenne

Danièle Fonck: L'accord trouvé à l'arraché samedi matin peut-il être qualifié de bon accord?

Jean Asselborn: Oui, en effet. La Présidence luxembourgeoise a dû baisser le montant du budget 2007-2013 de 999 milliards à 871 milliards d'euros ce qui fut un énorme effort. Les Britanniques sont partis d'un chiffre plus bas qu'ils ont dû revoir ensuite à la hausse. Cela ne valait pas la peine de perdre six mois. Mais l'avantage est que nous disposons enfin d'un accord qui résout définitivement la question du chèque britannique et qui positionne l'Europe dans la bonne direction en ce sens que ce ne seront pas seulement les pays riches qui profiteront.

Danièle Fonck: Un accord, a minima, est-il bon uniquement parce que c'est un accord?

Jean Asselborn: Nous nous sommes trouvés dans la même situation en 1999. Idem en 2000 avec l'agenda.

Danièle Fonck: Cela résume-t-il donc les ambitions de l'Europe?

Jean Asselborn: Il est vrai que le budget repose sur un accord interinstitutionnel. La commission a fait des propositions. Elle est dans son rôle, le Parlement européen a fait connaître sa ligne de conduite et il est certain qu'il modifiera encore la donne. Il faut être conscient du fait qu'un Conseil européen où 25 resp. 27 gouvernements siègent est un lieu de marchandage.

Je suis d'accord avec vous pour dire que l'Europe devrait être plus ambitieuse. Cela impliquerait toutefois qu'avant tout les grands États membres cotisent davantage à la caisse commune. Un exemple: aujourd'hui il est question de 850-860 milliards répartis sur sept ans: Oui, un montant considérable. Les Américains dépensent la même chose en deux ans pour leur budget militaire. Et cela explique tout.

Danièle Fonck: Pourquoi les hommes politiques européens n'ont il pas le courage d'expliquer à leur citoyens que l'argent transféré à l'Europe n'est pas perdu, qu'il sert au contraire à faire mieux ensemble?

Jean Asselborn: Le budget actuel concerne à la fois la compétitivité, la cohésion, la solidarité. Il concerne également les ressources naturelles dont l'environnement, la politique budgétaire proprement dite et l'administration. Prenons l'exemple de la recherche européenne: à l'argent, il faut rajouter les sommes dépensées aux niveaux nationaux, de sorte que pratiquement 900 milliards seront ainsi disponibles pour une période de sept ans.

On peut argumenter que Tony Blair a raison de revendiquer davantage pour la recherche et l'innovation. Néanmoins nous avons réussi cette fois à faire en sorte que les dépenses agricoles diminueront progressivement. De plus, suite aux propositions de la Commission en 2007-2008, nous reverrons le volet PAC.

Danièle Fonck: Tony Blair a-t-il réussi à accréditer l'idée que la principale politique communautaire, c'est-à-dire la PAC, doit être démantelée?

Jean Asselborn: Il ne faudrait pas opposer la position de Monsieur Chirac et celle de Monsieur Blair. Le Royaume-Uni n'est pas un pays agricole, alors que l'agriculture continue à jouer un rôle majeur en France. Il faut réussir à transférer, faire en sorte que le poids le la PAC diminue, tout en réorientant d'autres priorités européennes telles que l'innovation et l'éducation.

Danièle Fonck: Y eut-il des gagnants et des perdants à Bruxelles?

Jean Asselborn: Certes, les nouveaux pays ont plutôt défendu la position britannique en ce qui concerne la politique agricole commune, mais on aurait tort de conclure que ceux qui se sont prononcés pour la reforme de la PAC seraient les modemisateurs et les autres des archaïques. Ce n'est pas si simple.

Danièle Fonck: On parle beaucoup des subventions agricoles européennes et bien peu des subventions agricoles américaines, est-ce-normal?

Jean Asselborn: Vous avez raison. J'ai entendu le président Bush s'exprimer à la tribune des Nations unies en septembre. Et je note que nous venons d'engager une réforme. Les États-Unis ne l'ont pas (encore) fait.

Danièle Fonck: Serions-nous plus bêtes que les Américains?

Jean Asselborn: Non, mais agriculture rime avec culture, donc avec une certaine culture de nos sociétés. Attendons de voir comment la situation évoluera... Les hommes politiques ne sont pas aussi superficiels que vous ne le croyez.

Danièle Fonck: Avons-nous réalisé de grands pas en avant au Canada à propos de Kyoto?

Jean Asselborn: Nous avons progressé considérablement pendant notre Présidence. Notre objectif est connu. Les États-Unis ont une autre vision, pour eux il importe de travailler avec de nouvelles technologies et ils investissent dans ce domaine dans la philosophie de polluer moins par la suite.

Danièle Fonck: Quid de l'évolution de la politique énergétique au Luxembourg?

Jean Asselborn: Pour des raisons de politique intérieure, vous devez accepter que je ne m'immiscerai pas dans ce domaine. Tout ce que je peux dire, c'est que nous respecterons les engagements qui découlent de notre programme de parti ainsi que du programme de la coalition.

Danièle Fonck: La place financière va bien, les chefs d'entreprise estiment qu'ils font des affaires, le commerce stagne à très haut niveau. Comment expliquer le discours de rigueur du gouvernement? L'État serait-il mauvais gestionnaire?

Jean Asselborn: Pour la première fois de ma vie je participe depuis cinq ou six fois à la réunion tripartite et à cette table je n'entends pas ce que vous entendez. Les représentants officiels de l'industrie, du commerce et de l'artisanat y font entendre un autre son de cloche.

Ce qui m'intéresse, c'est que nous vivons dans un pays où nous avons une croissance de 4% et un déficit public de -4%. C'est un fait. On ne me fera pas dire qu'il n'y a pas de problèmes tout comme on ne m'incitera pas à créer la panique.

Danièle Fonck: Trop de discours de rigueur risquent d'entamer la croissance, non?

Jean Asselborn: Il faut éviter cela. La Chambre des députés est d'avis – et il me semble que la tripartite également – que nous devons définir quel chantier attaquer pour préserver l'avenir sur le plan sociétal, financier, culturel, afin de laisser toutes leurs chances aux générations à venir. De toute façon nous sommes membres de l'UE et nous devons respecter le pacte de stabilité. Or celui-ci interdit un dépassement du déficit budgétaire au-delà de 3%.

Danièle Fonck: Nous n'y sommes pas?

Jean Asselborn: Si, nous l'avons dépassé.

Danièle Fonck: Cela dépend de la méthode de calcul, n'est-ce-pas?

Jean Asselborn: La méthode de calcul prend en compte les chiffres fournis par le gouvernement. D'ailleurs, même sans pacte de stabilité européen, aucun gouvernement national ne peut se permettre de faire plus de 3% de déficit budgétaire plusieurs années de suite.

Donc il nous faut réagir. Je sais que d'aucuns affirment que dès lors que les socialistes sont au gouvernement, on démantèle et on augmente les impôts.

Tandis que si les libéraux y sont, les impôts baissent et les retraites augmentent. Rien de tel, nous avons une responsabilité qui consiste à veiller que le déficit n'augmente pas. Nous le ferons sans porter atteinte à la politique sociale.

Danièle Fonck: Alors pourquoi avoir réduit l'impôt sur la fortune?

Jean Asselborn: Il a été réduit pour la raison suivante. Quand la retenue à la source (Quellensteuer) a été décidée par l'UE à Feira, il y eut un accord préalable entre le gouvernement de l'époque et la place financière disant que l'impôt sur la fortune serait aboli au moment même où la retenue à la source entrerait en vigueur.

Je comprends qu'un syndicaliste puisse voir les choses autrement.

Danièle Fonck: Qu'en est-il de l'avenir de la fameuse "Mammerent"?

Jean Asselborn: Elle est financée actuellement par le budget de l'État. Il en sera de même en 2006. Ce n'est pas mon principal souci.

Danièle Fonck: Est-ce que certains évoquent de la supprimer?

Jean Asselborn: Je n'en sais rien. Bref elle existe.

Danièle Fonck: Le ministre des Affaires étrangères apprécie-t-il que le ministre de la Justice et de la Défense se rende autant à Washington pour y signer des accords?

Jean Asselborn: Un gouvernement de coalition est fait pour travailler ensemble et agir de façon cohérente. Il ne m'appartient pas de faire des déclarations en public. En cas de désaccord, il faut le régler au sein du conseil des ministres. Jusqu'à présent je n'ai pas trouvé de quoi me plaindre.

Danièle Fonck: Êtes-vous certain que les avions de la CIA transportant des prisonniers illicites n'ont pas transité à Findel?

Jean Asselborn: Non, ce sont des spéculations. En tant que gouvernement nous n'avons pas d'autres informations. Je suis formel à ce sujet.

Danièle Fonck: Formel?

Jean Asselborn: Formel.

Danièle Fonck: N'avez-vous pas peur hors vue de l'évolution sociétale et notamment pour ces adolescents de plus en plus désarçonnés? La politique est-elle vraiment dans son rôle?

Jean Asselborn: A mes yeux la politique ne peut pas grand-chose en la matière, même si elle fait semblant de pouvoir tout faire. Il y a des limites et les hommes politiques ne peuvent pas prendre en charge tout ce qui dérape dans la societé. J'ajouterais que dans mon job j'agis pour que les citoyens puissent dormir tranquilles. Je fais ce qui est faisable dans une situation donnée, non pas pour changer le monde. Mais je ne suis pas pessimiste. On voit constamment des jeunes gens qui ont une approche positive de la vie, qui agissent, qui s'engagent. Prenez tous ces jeunes qui ont contribué comme stagiaires à faire en sorte que la Présidence luxembourgeoise réussisse!

Danièle Fonck: Le plus gros budget de l'État ne devrait-il pas aller à Mme Delvaux et à l'éducation nationale?

Jean Asselborn: Il est vrai que nous devons agir là où les jeunes sont formés, c'est-à-dire à l'école et Mady Delvaux essaye de sortir des schémas convenus en testant de nouvelles voies. Notamment avec le Lycée pilote. Pour les chantiers à engager que sont l'éducation, la santé, la qualité de vie il faut des moyens. J'ajoute qu'il faudrait créer un cadre permettant la compatibilité, entre famille et profession, permettant au jeunes couples de concilier les deux aspects dans la mesure où ils sont tous obligés à travailler à deux.

Danièle Fonck: Oui, notamment pour payer les loyers exorbitants ...

Jean Asselborn: Oui, mais puisqu'il faut de l'argent, il faut pouvoir aborder ces sujets en toute clarté dans le cadre de la tripartite. Le tout est de savoir si nous investissons plus d'argent dans la consommation ou dans des politiques pouvant donner de nouvelles impulsions à la société par le billet de l'école, de la recherche, etc. C'est précisément la question que nous posons et le gouvernement, tant du côté chrétien social que du côté socialiste, est prêt à faire ce dernier pas.

Danièle Fonck: Jusqu'à la remise en question de la tripartite?

Jean Asselborn: La tripartite est plus vivante que jamais.

Danièle Fonck: Elle ne sera donc pas supprimée, même s'il y aura une situation de désaccord en mai prochain?

Jean Asselborn: Non, il n'en est pas question.

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