"La coopération, c'est partager la richesse". Jean-Louis Schiltz au sujet de l'engagement de la coopération luxembourgeoise au développement

Denis Berche: Quelle définition donnez-vous de la coopération luxembourgeoise?

Jean-Louis Schiltz: C'est l'expression de la solidarité luxembourgeoise au plan international. Le monde n'est qu'un et chacun ne peut pas rester dans son coin à regarder ce qui arrive aux autres sans s'en soucier. Si, au Luxembourg en particulier et en Europe en général, nous sommes "nés sous une bonne étoile", nous avons le devoir de nous impliquer dans un effort de solidarité envers ceux qui souffrent et manquent de tout.

Denis Berche: Pourquoi faut-il y participer?

Jean-Louis Schiltz: Parce que la coopération au développement constitue un partage des richesses. Si nous possédons 100 euros de richesse, nous sommes prêts à donner un euro aux plus démunis, à ceux qui n'ont pas de toit, qui ne mangent pas ou qui ne peuvent pas se soigner ou aller à l'école. C'est un petit effort pour nous, un gros bénéfice pour eux.

Denis Berche: Que représente l'effort en faveur de la coopération au Luxembourg et dans l'UE?

Jean-Louis Schiltz: En 2004, la coopération luxembourgeoise a représenté 0,83 % de notre produit national brut. Pour 2005, nous ne connaissons pas encore le chiffre exact, mais l'objectif était de 0,85%. Pour 2006, l'objectif est de 0,89%. Le Luxembourg fait partie, avec la Suède, le Danemark et les Pays-Bas, des nations européennes les plus en pointe dans ce domaine.

Cela nous donne un rôle moteur qui nous a permis au cours de la Présidence luxembourgeoise d'entraîner toute l'Union européenne à faire encore plus d'efforts.

Les 25 États membres se sont engagés globalement à donner 0,56% de leur PIB d'ici 2010 et 0,7% d'ici 2015.

Denis Berche: Quelle somme représente l'engagement luxembourgeois?

Jean-Louis Schiltz: Notre effort de coopération tourne autour des 200 millions d'euros. C'est plus de 400 euros par habitant et par an.

Denis Berche: Les finances de l'État sont serrées. Est-ce un problème pour le budget de la coopération?

Jean-Louis Schiltz: Nous devons maintenir notre effort à un niveau élevé, nous devons continuer à progresser. Mais la coopération ne peut pas faire abstraction des réalités économiques qui existent dans ce pays. Notre progression tiendra bien sûr compte de l'environnement économique. Elle sera donc mesurée.

Denis Berche: Quelles sont, à votre avis, les forces de la coopération luxembourgeoise?

Jean-Louis Schiltz: Depuis la fin des années 90, elle a atteint une bonne vitesse de croisière. En limitant le nombre des pays cibles et en choisissant des secteurs d'intervention restreints, en s'intéressant aux plus pauvres parmi les pauvres, nous nous donnons les moyens d'être les plus efficaces possible.

Nous attachons également beaucoup d'importance à l'évaluation et au suivi des programmes. Nous mettons tous les atouts de notre côté pour nous assurer que les fonds luxembourgeois arrivent là où ils doivent arriver.

Denis Berche: Et les éventuelles faiblesses?

Jean-Louis Schiltz: Nous devons revoir l'implantation de nos bureaux extérieurs de la coopération. Nous en avons trois dans nos pays cibles: un au Cap-Vert, un au Sénégal et un au Vietnam. Deux pays cibles par bureau, cela permettrait une meilleure efficacité et un meilleur suivi. Nous allons donc ouvrir un bureau à Ouagadougou et un autre au Nicaragua.

Denis Berche: Quels sont les pays cibles?

Jean-Louis Schiltz: En Asie, ce sont le Vietnam et le Laos. En Amérique centrale, le Nicaragua et le Salvador. En Afrique, il y a le Niger, la Namibie, le Cap-Vert, le Sénégal, le Mali et le Burkina Faso. Les Territoires palestiniens occupés bénéficient également des mêmes avantages que les pays cibles.

Denis Berche: De quelle manière sont-ils choisis?

Jean-Louis Schiltz: Ces pays se retrouvent dans la seconde moitié du classement de l'indice du développement humain, établi par les Nations unies. Cinq d'entre eux sont parmi les moins avancés.

Denis Berche: Quels sont les secteurs d'intervention ciblés?

Jean-Louis Schiltz: Le Luxembourg concentre ses activités de coopération au développement dans les secteurs sociaux principaux suivants: l'éducation, la formation des ressources humaines, la santé, l'eau, le développement intégré notamment "en milieu rural.

Denis Berche: Comment faire pour rendre la coopération luxembourgeoise encore plus dynamique?

Jean-Louis Schiltz: Nous travaillons sur des périodes données avec des programmes indicatifs de coopération. Notre première génération de PIC est en cours d'évaluation. Nous lancerons ensuite la deuxième génération de PIC. Et je pense qu'il y a certaines orientations à mettre en avant.

Denis Berche: Quelles sont-elles?

Jean-Louis Schiltz: Il faut pouvoir donner des perspectives à la jeunesse de nos pays cibles, notamment en Afrique. Il faut non seulement lui permettre d'apprendre, mais également favoriser l'insertion professionnelle et la création de petites entreprises. À travers la microfinance, nous avons un outil qui permet à celui qui en bénéficie de prendre en main son propre développement.

Il faut sortir de l'assistanat pérennisé. Nous n'allons pas réussir ce défi partout, ni tout de suite. Mais il faut permettre aux gens que nous aidons de pouvoir réellement se développer et d'arriver à une certaine autonomie. À quoi bon donner de l'éducation à des jeunes s'ils se retrouvent ensuite à la rue.

Denis Berche: Qu'en est-il de la bonne gouvernance des pays aidés?

Jean-Louis Schiltz: C'est également une orientation complémentaire que je veux développer. Ce volet doit devenir pleinement opérationnel dans nos programmes. Et je citerai trois exemples. Au Nicaragua, nous appuyons un projet de l'ONG Transparency International qui vise à améliorer le traitement des comptes dans les communes.

Au Sénégal, toujours avec Transparency International, un programme consiste à faire intégrer dans le cursus scolaire les grands principes de la lutte contre la corruption. Il faut commencer à la base pour faire comprendre les méfaits de la corruption.

Enfin, au Mali, nous appuyons la mise en place d'un médiateur de la République. Même si je ne veux pas lier directement gouvernance et aide au développement, nous savons que là où il y a bonne gouvernance, les résultats de la coopération sont forcément meilleurs.

Denis Berche: Pensez-vous modifier le nombre de pays cibles?

Jean-Louis Schiltz: Pour plus d'efficacité, l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) nous a déjà demandé de réduire ce chiffre de dix pays cibles. Mais c'est une décision difficile. Je crois surtout que nous devons éviter de disperser nos moyens, avec des projets en petit nombre, à droite ou à gauche, dans des pays non cibles que nous aidons aussi. Cela répond moins bien aux attentes et la gestion est plus lourde.

Maintenant, certains pays que nous aidons avancent et progressent. C'est le cas du Salvador qu'il faut citer en exemple. Au rythme de ses progrès, le Salvador n'aura bientôt plus besoin de notre aide au développement, même si le Luxembourg pourra l'aider à consolider ses acquis.

Denis Berche: Quelle image retenez-vous de vos visites sur le terrain?

Jean-Louis Schiltz: Il y en a une qui restera à jamais gravée dans ma mémoire et dans mon cœur. Celle de cette haie d'enfants sur trois ou quatre cents mètres applaudissant la délégation luxembourgeoise en route pour inaugurer une école au Cap-Vert. Dans les regards de ces enfants, il y avait tout le bonheur du monde et le plus génial des mercis à l'adresse du Luxembourg et de ses habitants.

Denis Berche: Ce que vous voyez sur le terrain vous décourage-t-il parfois quand vous constatez l'ampleur de la tâche?

Jean-Louis Schiltz: Les moments d'abattement sont très rares. Si vous croyez fortement que les objectifs définis sont réalisables, vous avez toujours l'énergie pour "y aller".

Denis Berche: Que saviez-vous de la coopération avant d'en devenir le ministre en juillet 2004?

Jean-Louis Schiltz: Je n'étais pas particulièrement qualifié dans ce domaine, mais j'ai dit oui au quart de tour, sans hésiter une seconde. C'était un beau défi et je m'y suis plongé avec acharnement surtout qu'il y avait la Présidence luxembourgeoise de I'UE à préparer. La période d'observation a été réduite à la portion congrue. C'était tout de suite à fond dans les dossiers.

Denis Berche: Rêviez-vous un jour d'entrer au gouvernement?

Jean-Louis Schiltz: Je n'ai adhéré au Parti chrétien social qu'en 1999. J'ai été candidat aux communales à Luxembourg-Ville et je n'ai pas été élu. En février 2000, je suis devenu secrétaire général du PCS. Et j'ai été élu député en juin 2004. Je n'avais rien planifié et je ne planifie toujours rien.

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