"Nous devons redevenir conquérants". Jeannot Krecké au sujet de la compétitivité de l'économie luxembourgeoise

Denis Berche: Comment se porte l'économie luxembourgeoise?

Jeannot Krecké: Des secteurs marchent très bien, d'autres changent et souffrent. Parmi les secteurs qui ne posent aucun problème, il y a la place financière, l’e-business et les services.

L'industrie connaît une période intermédiaire avec des restructurations délicates. Les secteurs de l'artisanat, du commerce, de l'agriculture sont eux en pleine mutation.

Denis Berche: Le début de l'année 2006 a plutôt été difficile. Êtes-vous réellement inquiet pour l'économie luxembourgeoise?

Jeannot Krecké: Notre économie reste à un bon niveau, elle a encore des belles possibilités de développement. Mais elle se trouve, comme les autres, confrontée à une concurrence exacerbée au niveau mondial. La globalisation de l'économie fait que nous nous retrouvons dans un environnement concurrentiel tel que nous ne l'avions jamais connu.

Même les petites et moyennes entreprises luxembourgeoises ont des concurrents dans d'autres continents. Avec la technologie moderne, l'économie n'a plus de frontières. N'importe qui peut avoir des marchés n'importe où. Au fil des années, ce phénomène nouveau s'intensifie. Nous ne pouvons plus l'ignorer, nous devons apprendre à vivre avec.

Denis Berche: Quel est votre avis sur les restructurations industrielles?

Jeannot Krecké: Toute une série de produits que nous étions habitués à produire au Luxembourg ne peuvent tout simplement plus l'être, en raison notamment des coûts de fabrication.

C'est le problème du Luxembourg, c'est aussi celui de l'Europe en tant que région-mondiale, notamment par rapport à l'Asie. C'est, par exemple, TDK qui arrête de produire des DVD au plan mondial, mais qui va continuer à distribuer sous sa marque des DVD fabriqués en Inde et à Taiwan.

Les objets consommés en Europe ne seront plus produits en Europe, mais peut-être y seront-ils inventés ou développés. On peut citer l'exemple de Delphi, équipementier automobile américain installé à Bascharage. Le développement se fait au Luxembourg, pas la production.

Goodyear, dont un des deux centres de recherche mondiaux se trouve au Luxembourg, à Colmar-Berg, emploie un tiers de son personnel dans la recherche et non dans la production. Pour des produits à haute valeur ajoutée, il y a donc encore un bel avenir en Europe et au Luxembourg. Pour des produits standard, ce sera de plus en plus difficile.

Denis Berche: Que doit faire l'économie luxembourgeoise?

Jeannot Krecké: Redevenir ce qu'elle était il n'y a pas si longtemps. À une époque, le Luxembourg s'aventurait hors de ses frontières. On peut citer RTL, la SES, Cargolux, ARBED devenue Arcelor.

Avant, on allait concurrencer les autres chez eux. Aujourd'hui, ce sont eux qui viennent nous concurrencer chez nous. Nous devons redevenir conquérants.

À l'époque, nous étions pour la libéralisation et pour le principe du pays d'origine. Aujourd'hui, nous avons peur des deux.

Denis Berche: Quelles sont les faiblesses de l'économie luxembourgeoise?

Jeannot Krecké: 91 % de nos exportations se font sur le continent européen. Cela laisse 9 % pour l'Asie, les pays du Golfe et tout le continent américain. Il y a là un potentiel énorme à développer.

57 % de nos exportations se font à destination de nos trois voisins, la Belgique, l'Allemagne et la France. C'est dire si la consommation intérieure dans ces trois pays est essentielle pour nous. Cette dépendance n'est pas sans problème. Nous devons réapprendre à aller au-delà de nos frontières, au-delà de la Grande Région et au-delà de l'Europe.

Denis Berche: Que fait le ministre de l'Économie pour que ce virage soit pris?

Jeannot Krecké: Nous prenons les PME par la main et nous essayons de les aider. Nous les accompagnons sur toutes les grandes foires, nous multiplions les missions économiques.

Si le Grand-Duc et le ministre peuvent ouvrir des portes, c'est aux patrons de s'y engouffrer. À travers l'Office du Ducroire, nous assurons les risques politiques et commerciaux des opérations. Et nous aidons aussi les PME à innover avec Luxinnovation et toutes les possibilités de collaboration qui existent avec les centres de recherche publics.

Denis Berche: Êtes-vous optimiste?

Jeannot Krecké: Bien sûr car nous avons prouvé par le passé que nous savions prendre les bons tournants. Mais nous devons être conscients que la concurrence est féroce. Nous n'avons pas de cadeau à attendre. Si le gouvernement peut apporter des supports et du soutien, il ne peut pas se battre à la place des entreprises.

Denis Berche: Est-il difficile d'être ministre de l'Économie au Luxembourg?

Jeannot Krecké: Personne ne peut imaginer l'énergie qu'il faut dépenser pour sauvegarder ou pour attirer la moindre ligne de production. Dans les grandes multinationales, les différents sites se font concurrence entre eux. Et les études comparatives sont sévères. Dans ces conditions, le Luxembourg doit faire toujours plus pour rester attractif.

Denis Berche: Quels sont les atouts et les faiblesses du pays pour d'éventuels investisseurs?

Jeannot Krecké: Le prix des terrains ou des bâtiments et le niveau des salaires sont des points d'interrogation. Alors, il faut insister sur les délais de réaction, l'accès facile aux décideurs politiques, la stabilité politique du pays qui est un gage de crédibilité. Et il faut aussi dire que l'administration, en se rénovant, fait beaucoup. Les administrations publiques ont compris qu'elles devaient aussi être au service des investisseurs, en étant notamment capables d'apporter des solutions à leurs problèmes.

Denis Berche: Quelles sont vos priorités?

Jeannot Krecké: La première est la logistique. À défaut de produire ici, au moins pourrions-nous assurer la distribution et la livraison. Nous pourrions intervenir aussi bien en amont qu'en aval des produits. Ce secteur offre à la fois des emplois de très haute qualité, mais aussi des emplois qui pourraient compenser ceux qui sont perdus dans l'automatisation de l'industrie.

Denis Berche: La logistique pourrait-elle prendre le relais de la WSA sur son site?

Jeannot Krecké: Les projets industriels dans la logistique nécessitent 50 hectares. Sur le site de la WSA, il y en aura un peu plus de 40. Le site est idéalement placé pour ce genre d'activités. Des contacts se sont même spontanément présentés. Courant 2007, j'espère bien que la WSA sera remplacée par une grosse unité de logistique. Nous menons les discussions. Nous en saurons plus d'ici peu.

Denis Berche: Outre la logistique, sur quelle piste travaillez-vous?

Jeannot Krecké: Les équipements médicaux, la pharmaceutique et les biotechnologies médicales ont un potentiel énorme. On ne peut pas faire abstraction de leur développement. Autour du Laboratoire national de santé à Dudelange, nous devrions pouvoir créer un site pour accueillir des petites unités qui travaillent dans ces domaines. Beaucoup de petites unités à un stade embryonnaire peuvent vite devenir des succès au développement rapide.

Enfin, je suis persuadé que les écotechnologies ont un bel avenir. Elles sont au cœur du problème écologique que connaît la planète. De nouveaux marchés vont se développer. Ils offrent des opportunités que nous devons saisir rapidement.

Denis Berche: Qu'attendez-vous de l'avenir?

Jeannot Krecké: Que je puisse enfin adresser des messages positifs et que je ne sois pas confronté qu'à des fermetures. Les services du ministère de l'Économie travaillent énormément. Il serait juste qu'ils puissent récolter les fruits de ce travail comme cela a été le cas avec la décision de Delphi de consolider son implantation au Luxembourg.

Et quand nous n'avons pas les moyens humains en interne, nous n'hésitons plus à les trouver en dehors, que ce soit dans le pays ou à l'étranger. Parfois, nous n'avons tout simplement pas l'expérience ou l'expertise qu'il faudrait. Il faut aussi avoir la sagesse de le reconnaître. Au Luxembourg, nous n'avons, par exemple, aucun véritable spécialiste de la logistique. Et nous devons pourtant monter des dossiers qui soient costauds pour être crédibles.

Denis Berche: Regrettez-vous parfois d'être enfin devenu ministre?

Jeannot Krecké: Non, parce que c'est quelque chose de très emballant. Je travaille énormément. Ma vie familiale en souffre et je sais que je puise dans mes ressources personnelles. Je ne me plains pas. J'ai accepté le mandat et je mets le paquet. Mais, vu l'intensité que cela réclame, je ne ferai pas cela pendant vingt ans.

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