Interview du Premier ministre Jean-Claude Juncker un an après le référendum en France

Luc Evrard: Il y a un an tout juste, les Français disaient non au référendum européen, c’était le 29 mai 2005. Les Français enterraient de fait le projet de Constitution européenne, qui depuis a du mal à refaire surface. Nous sommes pour en parler, avec le Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker. Bonjour.

Jean-Claude Juncker: Bonjour.

Luc Evrard: Vous avez tenu vous dans la foulée du non français à organiser chez vous, au Luxembourg, un référendum, dont le résultat d’ailleurs a été positif. Les Luxembourgeois étaient favorables à la constitution européenne. Un an après, qu’en disent-ils et qu’en dites-vous?

Jean-Claude Juncker: Ce qu’en disent les Luxembourgeois, pris un par un, m’échappera toujours, il est difficile de faire la psychologie de son propre peuple. Moi, en ce qui me concerne, je dis qu’il faudra qu’à tout prix nous gardions et l’esprit et la substance du projet de traité constitutionnel. Les Français et les Néerlandais ont dit non, pour des raisons d’ailleurs strictement opposées. Le camp du "Non" français ayant déjà été hétéroclite, il faudra attendre la mise en place des institutions nouvellement élues en France et aux Pays-Bas d’ici un an, pour nous entendre dire par nos amis français et néerlandais comment eux comptent mettre en place les voies et moyens qui nous permettront de sortir de la situation qui est la nôtre à l’heure où nous sommes.

Luc Evrard: Ca veut dire que vous êtes de ceux qui pensent qu’effectivement, rien ne peut bouger en Europe avant les échéances électorales, notamment françaises, de l’année prochaine?

Jean-Claude Juncker: 16 pays, lorsque la Finlande aura ratifié le traité, auront dit "Oui" au traité constitutionnel européen. On ne peut pas penser que ce "Oui" serait moins important que le double "Non" néerlando-français. Toujours est-il que si nous voulons garder en perspective le projet de traité, si nous voulons le transformer en réalité un jour, il faudra que nous ne baissions pas les bras, que nous continuons à travailler en Europe.

Luc Evrard: C’est frappant ce que vous nous dites. Effectivement il y a des peuples en Europe, nombreux, qui ont dit « Oui » à ce traité, qui ont dit oui à la constitution européenne, et qui finalement aujourd’hui se trouvent en frustration par rapport à leurs options européennes. Comment on en sort?

Jean-Claude Juncker: Mais nous sommes frustrés parce que nous avons dit "Oui" à ce traité, qui a demandé des concessions y compris luxembourgeoises. Nous ne voyons pas comment on pourrait traduire en faits politiques concrets la somme des éléments qui ont fait de dire "Non" les Français. Il faudra donc que ceux qui ont dit "Oui" fassent la spéléologie dans les grottes de ceux qui ont dit "Non", mais il faudra aussi que ceux qui ont dit "Non" s’intéressent d’avantage aux raisons qui ont fait que les autres aient dit "Oui". Il faudra que nous dégagions une intersection. Et cette intersection passera très nécessairement par la mise en route de ce qu’on appelle l’Europe des projets, l’Europe des résultats. Il faudra prouver que sur le chemin vers le traité constitutionnel, l’Europe est capable de prendre des décisions. Des décisions qui ne l’éloigneront pas du projet de traité, mais qui nous conforteront dans notre marche vers ce traité.

Luc Evrard: Justement, est-ce que dans cette perspective l’Europe des projets et des résultats, que vous avez évoquée tout à l’heure, n’est pas, j’allais dire le plus petit commun dénominateur, une forme de faux-semblant ou de cache-sexe comme une Europe à qui manquerait la volonté d’aller plus loin ensemble au plan politique?

Jean-Claude Juncker: Nous sommes en train de réfléchir au devenir du projet de traité constitutionnel qu’il ne faudra pas d’ailleurs que nous appelions à tout prix Constitution européenne. Traité fondamental européen me conviendrait tout aussi bien que l’expression projet de traité constitutionnel. Nous réfléchissons à un scénario de sortie de crise. Mais d’ici là, et avant d’avoir pu nous mettre d’accord sur la substance qu’il faut à tout prix garder de ce projet de traité, il faudra bien que l’Europe travaille et qu’elle travaille de façon à réconcilier avec l’Europe, les citoyens d’Europe et notamment les travailleurs. Cette idée chère à certains esprits ultra-néo-libéraux que les salariés seraient les ennemis de l’emploi, qu’il faudrait que nous déréglementions et que nous flexibiliserions à outrance et sans gène et sans bornes, est une idée qui n’est pas majoritaire en Europe. Il faudra que l’Europe redécouvre les inquiétudes fondées notamment des salariés. Nous sommes plusieurs à travailler à ce but. Je veux dire, en abusant d’une formule un peu malheureuse des années 70, la France n’a pas le monopole du social en Europe.

Luc Evrard: Merci beaucoup, Jean-Claude Juncker, Premier ministre luxembourgeois. Nous commémorions ensemble l’anniversaire, le premier, du 29 mai 2005 au cours duquel donc une majorité de Français s’étaient prononcés contre le traité constitutionnel européen. Merci.

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