"L'esprit d'équipe fait le climat de l'école". Mady Delvaux-Stehres au sujet de l'éducation nationale

Denis Berche: Vous êtes ministre de l'Éducation nationale, vous avez été professeur. Quel rapport entretenez-vous avec l'enseignement?

Mady Delvaux-Stehres: Je suis née dedans. Toute petite, je ne me souviens pas d'avoir voulu faire autre chose qu'enseigner. J'ai grandi à Rumelange où mon père était instituteur. J'aimais mon père et je n'ai jamais eu le moindre doute sur ma volonté de marcher dans ses pas. La seule différence résidait dans ma spécialité. Ce fut plus compliqué. J'ai opté pour les lettres classiques parce que cela me semblait plus exotique et qu'il y avait une distance par rapport au quotidien.

Denis Berche: Quels souvenirs gardez-vous de votre première heure de cours?

Mady Delvaux-Stehres: C'était dur, très dur. J'étais inquiète, nerveuse, tendue. Je me demandais comment cela allait se passer. C'était une classe de 2e au Lycée Michel-Rodange. J'avais à peine 24 ans, mes élèves en avaient 17 ou 18. J'ai été très sévère le premier jour, mais je crois que cela s'est finalement bien passé. Pour le savoir vraiment, il faudrait demander à mes élèves...

Denis Berche: Vous avez fait un long bail avec l'enseignement...

Mady Delvaux-Stehres: Oui, quinze ans. J'ai commencé au Lycée Michel-Rodange. Je suis passée un temps au Lycée Michel-Lucius avant de revenir à Michel-Rodange. J'ai enseigné jusqu'en 1989 et j'ai arrêté deux jours avant de devenir secrétaire d'État à la Santé, à la Sécurité sociale, à la Jeunesse et aux Sports.

Denis Berche: Que vous reste-t-il de cette tranche de vie?

Mady Delvaux-Stehres: D'excellents souvenirs et la passion pour l'école. Le Lycée Michel-Rodange était tout neuf à l'époque, nous étions beaucoup de jeunes profs. Nous avions l'ambition commune de prouver qu'on pouvait faire aussi bien les choses que dans un lycée de tradition. Nous avions vraiment une équipe soudée. Nous avions des envies communes d'enseignement et un directeur génial. Présent, disponible, à l'écoute. L'enseignement est l'affaire d'hommes et de femmes engagés. Et leur engagement se ressent dans toute l'école.

Denis Berche: Ce message, c'est un programme de ministre?

Mady Delvaux-Stehres: Mais oui. Je suis convaincue que l'esprit d'équipe fait le climat de l'école. En ce moment, je fais le tour des écoles pour présenter le nouveau profil de la politique linguistique éducative. Et j'ai des discussions très intéressantes avec les enseignants et les enseignantes.

Je rencontre des gens volontaires, passionnés. Il y a de nombreuses équipes éducatives qui fonctionnent. Il y en a aussi quelques unes qui doivent se développer mieux qu'elles ne le font. Le grand défi de l'école, c'est de changer les solitaires pour les faire devenir des solidaires.

Denis Berche: L'école luxembourgeoise est très critiquée. Quelles sont ses lacunes?

Mady Delvaux-Stehres: Beaucoup d'instruments d'évaluation ont pointé les faiblesses de notre système. Globalement, nous devons faire des efforts pour mieux qualifier tous nos élèves, les bons comme les moins bons. Nous devons adapter l'enseignement luxembourgeois aux exigences de la realité.

Pour en revenir à Pisa, cette étude ne dit pas que nos élèves ne savent rien. Bien sûr qu'ils apprennent énormément à l'école. Le problème se situe dans le transfert des connaissances. Notre premier défi est donc de redéfinir des contenus pour acquérir des compétences. Et cela à tous les niveaux de l'école luxembourgeoise: préscolaire, primaire, postprimaire. C'est un grand chantier sur lequel des groupes de travail sont très actifs. En fonction des contenus et des compétences que nous aurons définis, nous adapterons ensuite le système d'évaluation.

Denis Berche: Faut-il tout inventer ou est-il possible de s'inspirer de systèmes qui ont fait leurs preuves à l'étranger?

Mady Delvaux-Stehres: Des systèmes qui marchent, je ne sais pas s'il en existe vraiment.

Chaque pays a ses propres problèmes avec son école. Dans le domaine de l'éducation, rien n'est parfait.

Nous pouvons nous inspirer de programmes, mais nous devons les adapter à notre mentalité, à nos traditions, à nos particularismes notamment linguistiques. Le Luxembourg n'a pas de langue maternelle pour son enseignement. L'enseignement luxembourgeois réclame par conséquent un niveau de compétences élevé en langues française et allemande. Ce que j'ai appris des experts, c'est qu'il faut être très attentif aux compétences demandées aux enfants qui sont dans un tel système bilingue. Un enfant ne peut pas tout apprendre en même temps.

Il faut s'adapter par rapport à l'âge. Et cela implique que nous changions totalement le système d'évaluation. Nous avions l'habitude de noter sur 60. Mais une notion acquise ou une moyenne à 30, ce n'est pas la même chose. Nous devons être capables d'évaluer nos élèves en acquis, non acquis et en voie d'acquisition. C'est un changement fondamental dans l'approche, mais un changement nécessaire.

Denis Berche: Est-il globalement plus difficile d'enseigner aujourd'hui qu'à votre époque même si elle n'est pas si lointaine?

Mady Delvaux-Stehres: Oui et c'est incontestable. Mais à chaque génération, c'est aussi ce qui se dit. Quand j'étais écolière, le mari travaillait, la femme était à la maison et les gens vivaient en couple. Les immigrés étaient à Rumelange quasiment tous italiens. Aujourd'hui, tout a changé.

La population des élèves est plus hétérogène qu'elle ne l'a jamais été. Nous avons, à l'école luxembourgeoise, des enfants de tous les pays du monde. L'état civil des familles est bouleversé. Alors oui, c'est objectivement plus difficile. Les enfants sont certainement plus gâtés, mais ce n'est pas plus facile pour eux, bien au contraire.

Denis Berche: Dans un pays comme le Luxembourg, quelle place peut encore avoir la notion d'effort?

Mady Delvaux-Stehres: Une place capitale. Il faut transmettre l'idée que la vie n'est pas seulement une partie de plaisir. Pour réussir, il faut faire des efforts. Mais tout le monde n'est pas égal devant l'effort. Et je connais bien des enfants qui font de terribles efforts sans avoir de succès.

Denis Berche: Quel est aujourd'hui votre plus gros motif d'inquiétude?

Mady Delvaux-Stehres: Que 20% de nos jeunes quittent l'école sans aucune qualification. C'est un chiffre malheureusement stable. Au niveau de l'Union européenne, les ministres de l'Éducation se sont donné comme objectif de descendre sous la barre des 10% avant 2010. C'est un objectif ambitieux.

Denis Berche: L'Éducation nationale est-elle le ressort ministériel le plus compliqué?

Mady Delvaux-Stehres: C'est un sujet complexe avec de nombreuses facettes. C'est surtout un sujet très émotionnel. Tout le monde a été à l'école, tout le monde a une opinion sur ce qu'il faudrait faire. Beaucoup d'espoirs sont attachés à l'école.

Denis Berche: Comment jugez-vous les moyens mis à votre disposition?

Mady Delvaux-Stehres: On n'a jamais assez de moyens, mais on ne peut pas se plaindre de ceux qui sont à disposition. Au plan des infrastructures, l'école luxembourgeoise fait en général beau et grand, mais c'est généralement assez lent. Comme nous avons une population scolaire en constante expansion, cela peut engendrer des frustrations.

L'autre problème directement lié, c'est le recrutement des enseignants. En moyenne, nous pourrions recruter 180 professeurs. Mais depuis bien des années, nous ne faisons pas le plein. Depuis 1999, nous avons perdu 240 postes par rapport au plan pluriannuel.

Denis Berche: En 2004, avez-vous hésité à accepter ce poste?

Mady Delvaux-Stehres: Si j'ai été heureusement surprise de la victoire socialiste, je n'ai pas été surprise de me retrouver à l'Éducation nationale. Dès le début des négociations de coalition, j'ai eu le sentiment que c'était pour moi. Il faut dire aussi qu'il n'y avait pas pléthore de candidats. Puisque j'ai la passion de l'enseignement, je suis revenue à mes premières amours.

Denis Berche: Après deux ans, pouvez-vous dresser un premier bilan de votre action?

Mady Delvaux-Stehres: C'est bien trop tôt. J'ai beaucoup de chantiers en cours et je serais heureuse si j'arrivais à les mener à bien. Le principal est aujourd'hui la réforme de la loi de 1912, une belle loi, qui règle l'enseignement primaire. Elle ne correspond plus au temps.

Il faut donc une nouvelle loi qui définira ce qu'est l'école et ce que doit être son organisation. C'est un travail passionnant. Je veux avoir un texte pour l'après-grandes vacances. Et puis il y a le grand chantier de la définition des compétences, notamment les compétences en langues.

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