Interview du ministre de l'Économie, Jeannot Krecké, avec le magazine autotouring (ACL)

ACL: Monsieur le ministre, dans le cadre de votre activité "sport", considérez-vous encore le sport automobile comme une discipline à part entière ? Le rajeunissement du sport par le biais, notamment, de la promotion de l'activité karting constitue-t-il une solution acceptable à vos yeux ?

Jeannot Krecké: Je sépare clairement le commercial et le sport automobile classique. Le karting fait évidemment partie de cette dernière discipline, sous réserve des réglementations sur le bruit. Je n'ai pas peur detoiser la question et j'accorderai mon soutien à cette initiative comme je le fais pour toute autre activité sportive non-commerciale. Le sport-événement, par contre, n'entre pas dans ma compétence de ministre des Sports et n'est par conséquent pas susceptible de recevoir l'aide de la collectivité en ce sens. Tour de France, formule 1, les différents tournois de tennis et autres sont des attractions qui sont financées par la publicité. Le Tour de France, par exemple, génère énormément de frais connexes. Ceux-ci sont, dans notre cas, exceptionnellement, financés par l'État car ils répondent à un besoin de promotion du pays, mais non pas du sport. Les retombées sont d'ordre économique et non d'ordre sportif. Une formule 1 est un business et doit être traité comme tel. Je ne suis pas contre ces manifestations pour autant que le pays en bénéficie réellement.

ACL: Vous êtes, en votre qualité de ministre de l'Économie, un acteur de la mobilité et l'ACL est un défenseur naturel des droits des usagers de la mobilité. Certains dossiers sont particulièrement intéressants de notre point de vue notamment celui des taxis. L'offre actuelle en matière de taxis s'avère inadéquate et excessivement chère. Que pensez-vous faire sur ce dossier ?

Jeannot Krecké: Le transport et ses implications ont une influence sur notre vie quotidienne. Il a un coût. Environnement, sécurité etc. sont aussi des facteurs à caractère également économique. J'ai fait expressément inscrire sur l'ordre du jour des discussion de la tripartite, le point de la mobilité. Les transports en commun sont devenus un élément-clé pour le futur de notre pays et nous devons, à ce titre, être plus performant que nos concurrents. La création d'emplois, en ce moment, dépasse les 3% par an et notre économie dépend plus que jamais des travailleurs en provenance des pays voisins. Il est impératif que nous leur garantissions une mobilité impeccable et performante. Plus que tout autre pays en Europe, notre économie dépend des transports en commun. La liaison aérienne est également un facteur important où des facteurs de rentabilité ne peuvent plus compter seuls. Le lien entre Luxembourg et les autres capitales d'Europe est un élément essentiel pour l'économie de façon générale et constitue un élément vital pour notre pays.

Les taxis jouent aussi un grand rôle dans ce monde de la mobilité. L'inspection de la concurrence est déjà saisie du dossier des taxis et je suis en contact avec le ministre des Transports afin de trouver des solutions conjointement. Les prix sont en discussion et surtout l'aspect d'avoir, ou non, un contrôle des prix comme c'était le cas précédemment. Nous devons réorganiser ce secteur. Les étrangers viennent au Luxembourg pour faire des affaires et sont sûrement rebutés par les prix et la mauvaise qualité du service. J'ai assisté à une bagarre entre chauffeurs de taxis à l'aéroport. Quelle vitrine pour notre pays! L'on netrouve pas de taxis à certaines heures de pointe de la journée, devant notre immeuble situé boulevard Royal. Dans un "business centre" comme Luxembourg! C'est impensable! Nos organismes qui traitent de la concurrence sont tous saisis afin de trouver des solutions à ce problème. Si je considère l'aspect de notre inflation, il est également évident que nous ne pouvons plus procéder par le biais de règlements sur le prix. Cela ne fonctionne pas. La concurrence doit jouer pleinement son rôle et nous devons offrir des alternatives.

ACL: Certains opérateurs d'autobus offrent des alternatives. Il existe un transport collectif sur commande dans certaines régions de notre pays.

Jeannot Krecké: Cela nous intéresse, nous devons aussi permettre aux jeunes de circuler la nuit, mais la législation en matière d'alcoolémie sur les routes constitue un frein aux loisirs nocturnes en voiture. Nous ne devons pas non plus nous étouffer nous-mêmes. Notre pays ne doit pas être victime de sa prospérité. Le pays doit vivre et s'exprimer librement. Bref, une profonde analyse s'impose et je reviendrai sur le dossier après mes entretiens avec le ministre des Transports qui auront lieu fin juin.

ACL: Un autre dossier qui nous concerne est le prix des carburants. Selon nos informations, le Luxembourg détient le record des pris hors taxe les plus élevés d'Europe pour certains produits. Ici aussi nous nous demandons si la concurrence joue pleinement son rôle, car il semble que les marges de certains opérateurs seraient plus importantes au Luxembourg qu'ailleurs. Le système actuel n'est pas transparent, mais le gouvernement a néanmoins décidé de mettre le consommateur à contribution en élevant les accises. Le producteur-distributeur, en attendant, semble ne pas trop se plaindre. Qu'en est-il au juste?

Jeannot Krecké: Les grands pétroliers font certes des bénéfices énormes en ce moment. Les importateurs sont quant à eux, les grands gagnants dans l'affaire. Le Luxembourg est malheureusement très dépendant de l'étranger, et il en est ainsi en matière de stocks de carburants. Les Luxembourgeois, pour des considérations de confort individuel, ne veulent pas que les carburants soient stockés près de chez eux. Ce même problème se posera à l'avenir pour les nouveaux biocarburants. Nous sommes ainsi grandement tributaires des stocks qui se trouvent à Anvers. Les investissements sont chers et cette prestation nous est facturée au prix fort ! Nous devons changer les mentalités, sinon nous allons à chaque fois payer l'addition. En outre, il faut savoir que l'impact du prix du carburant sur l'inflation est plus que proportionnel au Luxembourg, car le prix du brut constitue une composante beaucoup plus importante dans la structure du prix que dans d'autres pays, à cause de la modicité des impôts.

ACL: Beaucoup de nos membres se plaignent du caractère injuste du projet de taxation des véhicules qui est censé répondre a un souci écologique. Or, les Luxembourgeois ne sont pas les principaux consommateurs, alors que liée au transit européen. voire pendulaire pour la grande région. Que leur répondez-vous ?

Jeannot Krecké: II est vrai que nous Luxembourgeois ne sommes pas les principaux consommateurs. Par contre, nous sommes les grands bénéficiaires. En grande partie nos recettes fiscales basées sur les carburants (accises et TVA) sont versées dans le système social - caisse de maladie et fonds pour l'emploi - et permettent, de ce fait, de garantir des bénéfices sociaux considérables. Notre génération actuelle est celle qui gagne dans cette situation. Le futur est incertain, mais il est clair que nous, aujourd'hui, sommes les grands bénéficiaires du système basé sur l'exportation des carburants. Nous ne pouvons pas changer cette situation au risque de faire basculer le système.

ACL: Et vous savez où se trouve le seuil de prix qui causerait ce système de basculer?

Jeannot Krecké: Nous avons étudié cette question au moment des négociations de Kyoto. Ce n'est évidemment pas une science exacte, mais nous estimons que nous nous trouvons très proches de ce moment où une grande partie des consommateurs étrangers sont prêts à se désister de faire leur plein chez nous. C'est une situation très délicate et l'enjeu est, à notre sens, très élevé. La récente décision d'augmenter le montant des accises va causer un recul, certes, mais soutenable, de la consommation. Un grand pays peut se permettre une attitude plus courageuse, pas nous.

ACL: En guise de conclusion, pensez-vous que le Luxembourgeois est prêt à changer son comportement et ses habitudes ?

Jeannot Krecké: Nous nous devons d'expliquer clairement à nos concitoyens que nous réagissons à tous les niveaux, car nous sommes en train de voir s'effectuer un changementde la situation économique. Nous devons devenir plus compétitifs et prendre nos responsabilités. Nous devons maîtriser notre croissance et non la subir. Ce travail de changement est en train d'être conduit par le gouvernement et nous nous devons d'expliquer les implications de différentes situations. Par exemple, si nous rejetons un projet d'investissement ou un changement quelconque, comme dans le passé, nous devons savoir quelles en sont les conséquences.

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