"Il faut rester crédible". Le ministre des Travaux publics, Claude Wiseler, au sujet des rallonges budgétaires

Ralph di Marco: M. le ministre des Travaux publics, après plusieurs années d'attente et plein de rebondissements, le musée d'art moderne a enfin été inauguré samedi. Êtes-vous soulagé?

Claude Wiseler: On peut le dire comme ça, oui, effectivement. Mais c'est pareil pour tous les grands bâtiments publics, l'inauguration constitue toujours un moment important: un grand projet implique pas mal de responsabilités. Pour le musée d'art moderne, le soulagement a été plus profond encore, étant donné qu'il s'agit d'un projet contesté et dont la réalisation a duré pas mal de temps pour les raisons que l'on connaît.

Ralph di Marco: On entend pas mal de gens qui critiquent le fait qu'un musée qui a coûté quand même la somme de 88 millions d'euros voie le jour, notamment, si, de l'autre côté, les responsables politiques prônent qu'il faut faire des économies.

Claude Wiseler: Je peux comprendre ce genre de critiques. Mais il faut placer les choses dans leur contexte. D'abord, lorsque le projet a été voté, en 1996, la situation financière de l'État n'était pas la même qu'aujourd'hui. Ensuite, si on compare ce musée avec d'autres bâtiments, comme la cité judiciaire ou des infrastructures scolaires, il n'est pas tellement cher.

Ralph di Marco: Est-ce qu'aujourd'hui vous accepteriez la construction d'un tel musée?

Claude Wiseler: A l'heure actuelle, nous avons d'autres priorités. Mais je suis content que le musée ait été construit et puisse ouvrir ses portes aujourd'hui.

Ralph di Marco: Ces dernières années, plusieurs rallonges budgétaires ont dû être approuvées par la Chambre des députés: 25 pour cent pour la cité judiciaire, 38 pour cent pour la Philharmonie au Kirchberg et 229 millions d'euros pour la route du nord, pour ne citer que ces trois exemples. Comment éviter de telles rallonges budgétaires à l'avenir?

Claude Wiseler: Il faudra se tenir au prix qui a été fixé au départ. Nous avons analysé les raisons qui ont entraîné ces rallonges budgétaires des dernières années. Prenons l'exemple de la cité judiciaire: ce projet a été adopté dans les années 90. Sur demande de l’UNESCO, il a dû être totalement modifié. Dès lors, c'est tout à fait normal qu'on ne puisse pas se tenir au prix initial. Autre exemple: le nouveau Lycée à Mamer, où il a été décidé de construire d'autres ateliers que ceux initialement prévus. Notre première conclusion a été de dire qu'il ne devra plus y avoir de modification une fois le projet décidé. Ce qui nécessite un changement dans la manière de préparer un chantier. La programmation de la construction d'un bâtiment devra être beaucoup plus précise et détaillée.

Ralph di Marco: M. le ministre, quelles leçons avez-vous tirées de la Philharmonie ou de la route du nord?

Claude Wiseler: Pour la Philharmonie, le coût a été voté sur base d'un avant-projet sommaire, avant de faire des études qui ont révélé la nécessité de travaux supplémentaires en matière d'isolement acoustique par exemple et donc de coûts supplémentaires. C'était la procédure à l'époque. A l'avenir, on inversera la procédure. De cette façon, pour les prochaines constructions, je serai en mesure de présenter à la Chambre un projet bien plus proche de la réalité. S'agissant de la Nordstrooss, je tiens à rappeler qu'il s'agit d'un projet qui a été voté il y a six ans. Or, on ne peut pas prévoir en 1996 ce que coûtera définitivement un chantier qui ne sera terminé que quinze ans plus tard. Il y a toujours des imprévus. On a donc décidé que les prochains projets de construction seront votés, si nécessaire, par tranches. Nous l'avons fait déjà pour la liaison Micheville à Esch-Belval, où une première partie a été adoptée il y a quelques mois. Même si j'ai déjà présenté aux députés l'ensemble du projet, avec un prix estimatif. Tout en soulignant que tant qu'il n'y a pas encore d'études pour les autres parties du projet, je ne pourrai pas avancer un prix définitif.

Ralph di Marco: Mais toutes ces mesures constituent-elles la garantie qu'un projet ne coûtera pas plus cher que prévu?

Claude Wiseler: Dans le secteur du bâtiment public, il n'y a pas de garantie définitive. On ne peut pas tout prévoir, il y a toujours les impondérables. Prenez l'exemple du tunnel du Gousselerbierg: on ne peut pas prévoir ni à quel type de rocher on aura à faire en définitive, ni des glissements de terrain toujours possibles. Sans oublier la procédure des soumissions publiques: un ministre dispose de beaucoup moins de marge de manoeuvre qu'un particulier. Après avoir choisi l'offre économiquement la plus avantageuse, je ne peux plus rien faire, même si le prix proposé est supérieur à ce que le devis initial avait estimé. Je ne peux pas négocier avec les entreprises.

Ralph di Marco: Dès lors, cela paraît difficile de faire des économies...

Claude Wiseler: J'ai étendu la mission d'une commission d'analyse critique qui analysera de près tous les projets pour voir ce qui est nécessaire et ce qui peut être considéré comme superflu et donc éliminé du projet. De plus, il conviendra de construire moins cher, de manière plus rationnelle. Fini les pierres de taille là où elles ne sont pas véritablement utiles. Dans les règlements de concours, il faudra mettre davantage l'accent sur le facteur coût d'un bâtiment. Dans les règlements de concours, il faut encore insister plus sur les coûts d'entretien, définir combien un bâtiment va coûter dans les vingt années à venir. Je veux aussi modifier le système des contrats-type d'architectes: actuellement, il prévoit en principe une rémunération des architectes selon un pourcentage du coût final. Dorénavant, on mettra en place un système basé sur un prix forfaitaire accompagné de primes et de pénalités. Des discussions sont en cours.

Ralph di Marco: Est-ce que construire autrement, plus simple, entraînera une perte de la qualité?

Claude Wiseler: Non, mais il faudra veiller aussi à ce que les frais d'entretien soient les plus bas possible. Pour faire des économies, mais aussi par souci de crédibilité: l'État ne peut pas demander des efforts aux autres et ne pas donner le bon exemple.

Ralph di Marco: Est-ce que l'État va construire moins, justement pour faire davantage d'économies?

Claude Wiseler: Les investissements ne vont pas diminuer. Mais on va éviter d'obtenir des différences considérables d'une année à l'autre en matière d'investissements. Dans le passé, on assistait à des hausses des investissements dépassant parfois les vingt pour cent.

Par ailleurs, j'ai dû établir des priorités.

Ralph di Marco: Ce qui veut dire que certains bâtiments ne seront pas construits, du moins pas dans un futur proche?

Claude Wiseler: Nous nous sommes demandés quels bâtiments sont vraiment prioritaires. Il s'agit des infrastructures scolaires, sociales et européennes. En ce qui concerne les travaux de construction routières, on se base aussi sur I'IVL: quelles sont les localités dont il faudra accélérer le développement? Sans oublier que, toujours dans le cadre de I'IVL, il faudra davantage relier les grands centres de développement (Nordstad, Belval) à la capitale et donc mettre en place le réseau routier nécessaire.

Pour en revenir à votre question, des projets comme la cite policière, le nouveau CRP-Santé ou certains commissariats ne seront pas réalisés dans les deux, voire trois prochaines années. Mais je le répète, il ne s'agit pas de construire moins: il faudra tenter de construire autant, voire plus, en stabilisant ou on ne faisant que progresser légèrement les budgets d'investissement.

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