Luc Frieden: "Pas illégitime d'être plus exigeant"

Eric Netgen: En janvier 2004, les professeurs Delpérée et Verwilghen vous ont remis une étude au sujet de la double nationalité. Y en a-t-il eu d'autres?

Luc Frieden: L'objet de cette étude était limité aux implications juridiques. Il s'agit d'un rapport très utile qui nous a fourni des solutions d'ordre pratique. Le point essentiel retenu est celui que, le cas échéant, le droit luxembourgeois ne prendrait en considération que la nationalité luxembourgeoise. Par conséquent, il n'y aurait pas le choix entre l'une ou l'autre nationalité. Pour ce qui est des conditions de l'acquisition de la nationalité, on n'a pas besoin d'expertise mais d'un dialogue politique.

Eric Netgen: Est-ce que d'autres partenaires sociaux ont été consultés à ce sujet?

Luc Frieden: Nous nous trouvons actuellement dans une phase de consultation des groupes parlementaires. Il incombe aux représentants politiques de faire des propositions. Les conditions précises n'ont pas encore été fixées par le gouvernement, mais il est évident qu'au moment où un projet de loi sera sur la table, les différentes associations vont faire connaître leur point de vue - qu'elles aient été invitées à le faire ou non.

Eric Netgen: Comment expliquer la longue durée du débat?

Luc Frieden: C'est dans la nature de la chose. Il s'agit d'un problème très complexe. Peu de pays dans l'Union européenne reconnaissent à ce jour le principe de la double nationalité, cela malgré des années de discussions. Permettez-moi de vous rappeler les discussions très difficiles en Allemagne qui, en fin de compte, ont abouti à une non-introduction de la double nationalité.

La situation du Luxembourg dans ce domaine est unique, vu le taux élevé de 40% de résidents non luxembourgeois. Le gouvernement a l'intention d'accorder la double nationalité à ces personnes sous certaines conditions pour qu'elles puissent contribuer activement à la construction du pays sans devoir abandonner leur nationalité d'origine.

Pour le gouvernement et moi-même en tant que ministre compétent, la double nationalité ne constitue pas la clé d'une intégration réussie mais plutôt l'aboutissement d'une intégration réussie.

Eric Netgen: L'adaptation de la loi sur la nationalité en 2001 n'était-elle qu'un tremplin?

Luc Frieden: Non, nous avons réduit le délai de résidence de dix à cinq ans. Mais c'était une mesure indépendante de la problématique actuelle.

Eric Netgen: Est-ce vrai qu'il existe entre 20.000 et 30.000 "binationaux" au Grand-Duché, du fait que le Portugal n'accepterait pas l'abandon de la nationalité?

Luc Frieden: Non, c'est faux. S'ils ne la perdent pas automatiquement, les demandeurs portugais doivent quand même renoncer à leur nationalité d'origine. Sinon, ils sont soumis à une mise en demeure et, à défaut de donner satisfaction, perdent la nationalité luxembourgeoise de suite. D'où le désir de la communauté portugaise de pouvoir conserver les deux à l'avenir.

Eric Netgen: Quelle est la différence entre la citoyenneté et la nationalité?

Luc Frieden: La nationalité est un concept plus large que la citoyenneté. La citoyenneté, en gros, concerne l'exercice des droits politiques. La nationalité va au-delà. C'est le désir conscient d'appartenir à une communauté, un choix aux aspects psychologiques qui vont au-delà des questions juridiques et administratives.

Eric Netgen: Pourrait-on imaginer de substituer le jus sanguinis au jus solis?

Luc Frieden: Les petits pays ont traditionnellement opté pour le droit du sang. C'est un bon système à mon avis, car tous les étrangers qui sont nés dans un pays n'ont pas nécessairement envie de prendre la nationalité de celui-ci. Par ailleurs, les procédures de naturalisation en faveur des étrangers nés sur le sol luxembourgeois sont d'ores et déjà plus courtes et plus faciles que celles applicables aux autres immigrés.

Eric Netgen: Vous avez, par le passé, parlé du luxembourgeois comme le "ciment de la cohésion sociale".

Luc Frieden: Je vois trois piliers dont on peut discuter, mais qui ne sont pas négociables à outrance. Ces trois éléments sont une longue période de résidence, une maîtrise de la langue parlée au quotidien et une connaissance des institutions et droits fondamentaux sur lesquels repose la société.

A mon avis, la capacité de communiquer dans une langue commune est, surtout dans un pays comme le nôtre, essentielle pour pouvoir cohabiter d'une façon harmonieuse. Laisser perdurer les barrières linguistiques reviendrait à favoriser les communautés parallèles. Une situation qui actuellement existe, mais qu'une double nationalité ne devra en aucun cas exacerber. Dans ce contexte, on pourrait envisager l'introduction d'un "congé linguistique". Il faut que l'Etat augmente l'offre des cours de langue et qu'il se pose la question de savoir comment les rendre accessibles à des gens qui travaillent toute la journée.

Eric Netgen: Examen ou simple acte de présence pour les cours d'instruction civique?

Luc Frieden: Les divergences politiques à ce sujet sont moins grandes qu'ailleurs. Tous les groupes parlementaires sont d'accord sur l'importance de comprendre les droits fondamentaux, les concepts de la liberté d'expression, de l'égalité des sexes, de l'Etat de droit... Ces cours sont importants, mais ne doivent pas constituer un obstacle insurmontable.

Eric Netgen: Et l'accès à la fonction publique?

Luc Frieden: Il deviendra plus facile pour certains après l'introduction de la double nationalité. Mais je ne pense pas que la fonction publique luxembourgeoise soit plus protégée et plus fermée que celle d'autres pays.

Eric Netgen: Le Grand-Duché doit-il se justifier plus souvent que les autres?

Luc Frieden: Notre particularité linguistique peut être interprétée comme un obstacle insurmontable à l'étranger, mais cela ne change rien au fait que nous avons trois langues administratives dans le pays.

Eric Netgen: Pourquoi dix ans pour la double nationalité au lieu de cinq ans pour la simple?

Luc Frieden: Il s'agit d'une proposition de ma part. Il ne me paraît pas illégitime d'être plus exigeant dans ce cas de figure. Mais il faut admettre qu'à ce jour, cette proposition ne jouit pas d'un soutien politique en dehors du groupe parlementaire CSV. Il faudra en discuter.

Eric Netgen: Et l'avantage pour les Luxembourgeois émigrés?

Luc Frieden: C'est le revers de la médaille. Nous recevons régulièrement des lettres de la part de Luxembourgeois, en processus de naturalisation à l'étranger, qui se montrent attristés de devoir abandonner la leur. La double nationalité, même rétroactive, sera aussi en leur faveur.

Eric Netgen: Sans doute un effort administratif non négligeable...

Luc Frieden: Il est clair que cela entraîne un effort énorme pour les administrations et notamment le ministère de la Justice. Je ne vois pas comment cela pourrait être mené à bien sans une réorganisation et une augmentation des effectifs.

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