"Pas de scénario de crise". Mars Di Bartolomeo au sujet du financement des pensions

Jean-Marie Denninger: La Banque centrale du Luxembourg et une société de notation et d'analyses financières tirent la sonnette d'alarme et font état de difficultés à venir pour le financement des pensions. Y-a-t-il urgence?

Mars Di Bartolomeo: Si un système de pension est en difficulté lorsqu'il dispose de réserves couvrant 3,2 fois les dépenses annuelles, lorsqu'il suffirait de cotisations atteignant 20,9% contre 24% de fait pour couvrir les dépenses, lorsque le coefficient de charge diminue régulièrement, c'est-à-dire que pour 100 actifs il y avait 50 pensionnés voilà cinquante ans alors que maintenant nous en sommes à seulement 40,25 pensionnés pour le même nombre d'actifs, alors je veux bien que l'on dise que nous sommes en difficulté. Si éprouver des difficultés veut dire que nous pouvons financer les pensions pendant trois ans sans que personne, ni les assurés, ni les employeurs, ni l'État ne dépense un euro, alors j'accepte le terme.

Jean-Marie Denninger: Mais il n'en est pas moins vrai qu'il faut s'attendre à des difficultés démographiques?

Mars Di Bartolomeo: Les premiers indicateurs de santé sont bons. Nous aurions pu être tentés de ne rien faire, d'autant qu'à moyen terme, il n'y a pas de risques non plus. Mais j'en conviens: à long terme, nous devrons affronter des challenges considérables. Et dans le domaine des pensions, on se doit de raisonner à long terme.

Jean-Marie Denninger: Autrement dit vous leur donnez raison?

Mars Di Bartolomeo: Non. Ces commentaires témoignent d'une méconnaissance totale de la capacité du modèle luxembourgeois à faire face aux défis. Tous ces Cassandre font comme s'il n'y avait pas de garde-fou. Tenez, c'est comme si vous commandiez un paquebot et que je vous disais: si vous ne changez pas de cap, vous allez percuter un iceberg dans 300 miles. Vous auriez le droit de vous demander si je vous prends pour un simplet.

Jean-Marie Denninger: D'autres, comme le Premier ministre, ont souvent parlé du "mur" des pensions!

Mars Di Bartolomeo: Comparons le système des pensions à une voiture. S'il n'avait qu'une pédale d'accélérateur, il est sûr qu'il l'entrerait dedans. Bien sûr que nous disposons d'un accélérateur mais aussi d'un frein et d'un volant. Nous allons donc freiner lentement et virer tranquillement, sans coup de volant.

Jean-Marie Denninger: Concrètement comment allez-vous faire?

Mars Di Bartolomeo: Tout d'abord en améliorant la gestion et le placement des réserves. Nous sommes sur le point de finaliser les préparatifs pour lancer une soumission afin de placer une partie de ces réserves. A ceux qui affirment que cela ne va pas assez vite, je réponds que les fonctionnaires traitant ces dossiers travaillent beaucoup et font preuve d'un sérieux considérable dans un domaine qui exige énormément de rigueur.

Ensuite je rappellerai que le Rentendësch a nettement augmenté les charges des régimes, de l'ordre de 10% des dépenses annuelles, mais il a aussi conclu que si les réserves légales tendent vers un minimum et que la viabilité à long terme est hypothéquée, il sera possible de revenir sur certaines mesures.

Jean-Marie Denninger: Les experts de la BCL et de Standard & Poor's misent sur un vieillissement de la population.

Mars Di Bartolomeo: Pour l'instant, on ne peut pas parler de vieillissement. Au contraire, nous assistons à un rajeunissement permanent par une création forte de nouveaux emplois. Nous ne sommes pas touchés par le vieillissement comme nos voisins mais il est un paramètre qu'il ne faut pas sous-estimer dans son impact sur les pensions: l'espérance de vie croît d'un an tous les dix ans. Si l'on veut parler vrai aux gens, il faut expliquer que si l'on vit plus longtemps, il faut réfléchir à cet impact sur le financement des pensions. Que l'on ne peut pas payer quarante ans de retraite à quelqu'un qui n'a pas cotisé trente ans.

Jean-Marie Denninger: Préconisez-vous, comme dans certains pays, de retarder de deux ans l'âge de départ à la retraite?

Mars Di Bartolomeo: Non. Je constate que l'âge réel est actuellement de 58 ans. Alors faisons déjà mieux sur ce terrain. La nouvelle législation sur l'invalidité et le reclassement professionnel, des solutions intermédiaires entre travail à temps plein et retraite anticipée, réfléchir au frein qu'est la loi anticumul retraite-salaire doivent nous aider. Il nous faut mettre en place de nouveaux modèles.

Non pas en brandissant des slogans mais à travers un débat objectif pour inciter les quinquagénaires travailler plus longtemps. Par exemple en leur offrant de meilleures migrations professionnelles à partir de 55 ans.

Jean-Marie Denninger: Quand allez-vous commencer vos réflexions?

Mars Di Bartolomeo: Un groupe de réflexion commencera début novembre à se pencher sur la viabilité à long terme de notre assurance pension, ses forces et ses faiblesses. Notre système est sain et je veux qu'il le reste pour nos enfants, voilà pourquoi nous devons faire preuve de capacité d'adaptation. Mais j'entends déjà les réflexions. Ceux qui ne veulent rien changer n'entendront que la première partie de la phrase. Ceux qui, pour de tous autres intérêts, idéologiques ou commerciaux, sont favorables à la capitalisation et n'entendront que la deuxième partie.

Jean-Marie Denninger: Vous avez déjà des idées?

Mars Di Bartolomeo: Non mais il faudra parler clairement aux gens et ils le comprendront. Cela ne peut pas être la règle que tous les Luxembourgeois partent en retraite à 55 ans et vivent jusqu'à 90 ans. L'addition ne collera plus. Nous devrons tous, par exemple, travailler un mois de plus par année supplémentaire de durée de vie à partir de 2010/2012. Mais je me répète. Il s'agit de pistes à suivre dans le calme. Je m'opposerai à ce que des gens viennent taper à la masse sur notre système d'assurance pension.

Jean-Marie Denninger: Quelles seront donc vos orientations?

Mars Di Bartolomeo: En premier lieu, il n'est pas question de toucher au niveau des réserves. Nous allons laisser se poursuivre leur processus d'accroissement dans la perspective des grands défis qui nous attendent. Ensuite il s'agit de tenir compte et d'anticiper l'évolution de la société pour maintenir la viabilité du système. Ensuite encore il nous faut dire clairement et expliquer aux assurés pourquoi de la souplesse et des adaptations sont vitales. Enfin il faut aussi prendre conscience que le dossier des pensions est certes important, mais qu'il existe encore d'autres grands défis.

Jean-Marie Denninger: Vous êtes-vous fixé un calendrier de mise en œuvre des réformes?

Mars Di Bartolomeo: Les six prochaines années correspondent à la période la plus utile pour réfléchir et élaborer des mesures d'incitation. Nous mènerons la réflexion jusque fin 2007. Les partis politiques devront en faire l'un des principaux thèmes de la campagne électorale pour les législatives de juin 2009. Chaque parti devra se positionner sur la viabilité économique des régimes et annoncer la couleur de mesures qui devraient être mises en musique par le pochain gouvernement. Mais j'insiste, nous ne sommes pas dans un scénario de crise.

Jean-Marie Denninger: Les réformes n'interviendront donc pas avant 2010?

Mars Di Bartolomeo: Je ne dis pas cela. Je ne suis pas partisan d'une grande réforme tous les dix ans. L’assurance pension nécessite un processus permanent d'adaptation, de maintenir la pression, un principe que j'applique aussi pour l'assurance maladie et l'assurance dépendance. Les hypothèses catastrophiques émises par la BCL et la société de notation financière ne se présenteront pas car le monde sociopolitique luxembourgeois est tout à fait armé pour faire face aux défis.

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