"Un certain nombre de nuances". Nicolas Schmit au sujet des dossiers d'actualité dans le domaine du ministère des Affaires étrangères et de l'Immigration

Josée Hansen: 22 personnes expulsées vers la République serbe le 22 août, 31 personnes vers l'Albanie les 29 et 30 août et 25 personnes le 8 septembre vers le Monténégro, soit 78 personnes déboutées du droit d'asile expulsées en tout en trois semaines, des célibataires, mais aussi des familles avec enfants, dont les premières demandes d'asile remontaient parfois à 1998 dans certains cas – est-ce que cette grande "campagne d'expulsions" du gouvernement va continuer? Pourquoi maintenant?

Nicolas Schmit: Les derniers retours sont prévus pour les semaines suivantes, toujours selon le même schéma. Pourquoi maintenant, en plein été? Non pas parce que nous croyons que personne ne les voit durant l'été, comme j'ai pu l'entendre, ici et là, mais parce que, lorsque nous avons repris la compétence de la politique d'asile, nous avons instauré le principe de ne pas rapatrier d'enfants en pleine année scolaire, comme cela a été fait avant. Nous voulions éviter de traumatiser les enfants en faisant débarquer la police dans leur salle de classe. Ces opérations ont toujours créé des malaises et incompréhensions, aussi bien pour les camarades de classe que pour les forces de police. Or, si nous ne voulons pas faire ces rapatriements durant l'année scolaire, il n'y a plus guère de choix, il ne nous reste que les mois d'août et de septembre pour les organiser.

D'ailleurs nous n'avons jamais caché que nous allions continuer les expulsions, cela fait partie de la procédure. Les familles que nous avons raccompagnées étaient toutes au Luxembourg depuis peu, trois ans au plus. Les célibataires par contre étaient parfois ici depuis huit ans, ils s'étaient cachés, mais la loi doit être la même pour tous. Pour ce qui est des familles qui sont au Luxembourg depuis plus longtemps, dont les enfants sont par exemple nés ici, ou qui sont déjà intégrées, nous voulons trouver des solutions pour qu'elles puissent rester. Cela concerne une bonne centaine de personnes, pour lesquelles nous cherchons ces solutions au cas par cas.

Josée Hansen: Pourquoi alors refuser d'appeler cela "régularisation", si vos "solutions" concernent plusieurs centaines de personnes?

Nicolas Schmit: Parce que nous avons décidé, dans le programme gouvernemental, de ne plus faire de grande campagne de régularisation, nous examinons les dossiers au cas par cas. Je constate que d'autres pays qui les ont pratiquées ont déclaré récemment de ne plus y recourir. En outre, nous avions quand même fait une sorte de régularisation pour les familles qui étaient ici depuis 2001, bien intégrées et dont les enfants étaient scolarisés dans l'enseignement secondaire; c'était l'année dernière, en 2005 et cette action allait déjà bien plus loin que ce que le programme gouvernemental avait annoncé. Je suis persuadé qu'il faut toujours aussi prendre en compte de telles considérations humanitaires dans ce domaine.

Josée Hansen: Quelles sont alors, pour vous, les différences entre la politique d'asile menée avant vous par le CSV et celle menée par le LSAP? Qu'est-ce qui démarque, selon vous, votre approche de ce qui se faisait avant?

Nicolas Schmit: Je trouve qu'il ne faut pas "politiser" ces questions dans un sens péjoratif du terme, donc je ne veux pas transcrire notre approche sur un plan de politique politicienne. De toute façon, nous n'avons pas décidé seuls notre approche, mais elle est le fruit d'un compromis entre les deux partis au pouvoir – la solidarité gouvernementale joue un vrai rôle ici.

Ceci dit, je crois que nous apportons un certain nombre de nuances dans notre approche, par exemple en évitant d'envoyer la police enlever les enfants à l'école, en refusant de traiter tous les demandeurs d'asile adolescents comme des délinquants, ou encore dans notre manière de dialoguer avec les ONGs qui travaillent dans ce domaine. Bien sûr que notre vue des choses n'est pas la même, qu'ils défendent leur position et nous la nôtre, chacun a son rôle à jouer, mais le dialogue est extrêmement important. Ainsi, j'ai par exemple rencontré le Collectif réfugiés dernièrement, à leur demande, pour discuter avec eux des ajustements nécessaires dans l'organisation des futurs rapatriements.

Josée Hansen: Depuis 2003, les chiffres des nouvelles demandes d'asile ne cessent de chuter, de 1 575 nouveaux dossiers en 2004 à 803 l'année dernière. Avez-vous des explications à cette évolution?

Nicolas Schmit: La principale explication est que la guerre est terminée et que la situation dans les Balkans occidentaux, dont est issue la très grande majorité des demandeurs d'asile au Luxembourg, s'est stabilisée. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a plus de Monténégrins ou de Kosovars qui posent des demandes d'asile depuis lors. Mais en fait, ces demandes ne débouchent plus sur l'accord du statut de réfugié, comme en règle générale, ces gens sont essentiellement des réfugiés économiques et utilisent la procédure d'asile pour essayer d'immigrer tout simplement. Aujourd'hui, le nombre de nouvelles demandes d'asile a certes reculé, mais partout en Europe, nous connaissons un véritable afflux d'immigration clandestine; il n'est pas certain que le Luxembourg soit exclu de ce phénomène.

Josée Hansen: Depuis le 5 mai de cette année, la nouvelle loi sur l'asile est en vigueur. Or, les ONG regrettaient qu'elle ne devienne effective qu'après application d'un certain nombre de règlements grand-ducaux. Où en sont-ils? Quand est-ce que les demandeurs d'asile auront par exemple le droit d'accéder au marché du travail? Comment jugez-vous la nouvelle loi?

Nicolas Schmit: La nouvelle loi nous permet surtout d'accélérer et de clarifier les procédures. Tous les règlements d'application ont été pris, elle est pleinement en vigueur. Les demandeurs pourront accéder au marché du travail neuf mois après le dépôt de leur demande, nous verrons l'impact de cette mesure dans les prochains mois. Ceci dit, déjà maintenant, beaucoup de demandeurs d'asile déboutés travaillent au noir, nous devrons attaquer cette situation de front et parler une langue plus claire avec les patrons qui les embauchent, sans les déclarer et sans payer de charges sociales. Nous avons prévu de faire un premier bilan de la loi d'ici la fin de l'année. Une motion de la Chambre des députés lors de son adoption nous demande d'ailleurs expressément d'évaluer la nouvelle législation deux ans après son entrée en vigueur.

Josée Hansen: Le cas de Zubeyde Ersöz, la féministe militante kurde accusée d'être une terroriste par les autorités turques et qui a été emprisonnée sans égard à ses droits en tant que demanderesse du statut de réfugiée politique, vous a valu beaucoup de critiques, aussi bien sur le plan national qu'international. Est-ce que les mauvaises décisions ont été prises dans son cas? Où en est son dossier aujourd'hui ?

Nicolas Schmit: Le cas de Madame Ersöz était un cas à part, car parallèlement à sa demande d'asile, elle fit l'objet d'un avis de recherche de la part des autorités turques diffusé par Interpol, qui l'accusaient d'avoir participé à des activités terroristes en Turquie.

Le Parquet était dès lors dans l'obligation de vérifier cette demande d'extradition. Dans ce contexte, il n'était pas illégal qu'elle ait été incarcérée, mais j'étais étonné des conditions dans lesquelles elle y était détenue.

Néanmoins, la procédure légale en cas de demande d'extradition a été suivie à la lettre. Depuis la décision du tribunal de ne pas l'extrader, Zubeyde Ersöz a été libérée et a réintégré la procédure d'asile régulière, nous sommes en attente de l'avis de la commission spéciale saisie pour analyser son dossier. Or, même si elle ne se voyait pas accorder le statut de réfugiée politique, il nous appartiendrait de lui accorder un statut de tolérance, qui lui permettrait aussi de vivre et travailler au Luxembourg. Et sincèrement, je nous vois mal la renvoyer en Turquie après qu'un tribunal ait décidé qu'une extradition vers ce pays n'était pas indiquée.

Josée Hansen: En janvier de cette année, une personne est morte dans la prison de Schrassig, lors d'un incendie que des réfugiés déboutés incarcérés en attente de leur expulsion y avaient posé, en désespoir de cause. A ce moment-là, le gouvernement a annoncé vouloir accélérer la procédure de construction d'un centre de rétention au Findel, vous en avez, annoncé le concept en juin, après avoir visité de tels centres à l'étranger, notamment en Suisse. Où en est ce projet? Avez-vous un calendrier pour sa réalisation?

Nicolas Schmit: Le centre de rétention sera construit sur le territoire de la commune de Sandweiler. Le projet de loi devrait être prêt pour être déposé dans les prochaines semaines. Là encore, une vaste consultation nous a parue essentielle, d'où les réunions avec les ONGs et la commune concernée. Après nos visites de centres similaires aux Pays-Bas et à Genève notamment, visites auxquelles furent également conviés des députés et des ONGs, nous avons adapté le premier projet à ces nouvelles informations.

Selon notre calendrier actuel, le projet de loi devrait pouvoir être adopté d'ici la fin de l'année par la Chambre des députés, pour que la construction puisse être entamée au début de l'année 2007 et que le centre devienne opérationnel en 2008. C'est un calendrier certes ambitieux, mais réaliste à nos yeux. Car il y a urgence dans ce domaine, nous voulons sortir les demandeurs d'asile déboutés le plus vite possible de la prison de Schrassig, qui est surpeuplée. Nous nous faisons d'ailleurs régulièrement épingler pour le fait de les enfermer parmi des condamnés.

Josée Hansen: Dans quelle direction est-ce que vous avez adapté le projet, par exemple en ce qui concerne le concept de surveillance et d'encadrement?

Nicolas Schmit: Il est essentiel de faire comprendre que ce n'est pas une prison. Dans ce sens, les gens pourront circuler librement dans l'enceinte du centre et avoir leurs propres occupations, par exemple en préparant leurs repas ou en ayant une buanderie à leur disposition. En outre, nous avons constaté qu'il est essentiel aussi que les gens puissent y avoir une vie sociale, c'est pourquoi les questions d'encadrement dépassent le seul gardiennage. Il y aura par exemple aussi du personnel formé pour la prise en charge psychologique, pour préparer ces personnes à leur retour. En outre, nous avons revu l'envergure du bâtiment vers le bas, désormais, il n'y a plus qu'une centaine de places, dont une enceinte pour les gens qui ne restent vraiment que quelques heures ou un jour avant le départ de leur avion vers leur pays d'origine. Et nous voulons éviter à tout prix que des enfants soient accueillis dans ce centre pour une durée dépassant un ou deux jours.

Josée Hansen: Pouvez-vous dresser le portrait robot de la politique d'immigration de ce gouvernement, entre asile, expulsions et double nationalité?

Nicolas Schmit: D'abord j'insiste sur le fait que l'asile ne fait pas partie de la politique d'immigration! La procédure d'asile, définie et garantie par la convention de Genève, n'est pas un moyen pour contourner les chemins légaux de l'immigration.

Deuxièmement, le Luxembourg aura toujours besoin de l'immigration dans le futur pour garder son niveau élevé de prestations sociales et son système de retraites et pour cela, il ne peut pas uniquement s'en remettre aux frontaliers. Or, pour nous, historiquement, l'immigration légale est surtout intra-européenne, depuis peu aussi en provenance des nouveaux pays membres de l'Union: dès 2009, nous devrons garantir à leurs ressortissants le libre accès à notre marché du travail. Cela nous posera de nouveaux défis pour leur intégration, il ne suffit pas d'accueillir la main d'œuvre dont l'économie a besoin, encore faut-il garantir l'encadrement socio-éducatif des familles. Donc: oui à l'immigration, mais avec une politique volontariste pour assurer leur intégration. En fait, il faudrait commencer à réfléchir dès maintenant sur comment intégrer ces nouvelles populations en provenance des pays slaves dans nos écoles.

Josée Hansen: Si l'intégration des enfants passe par l'école, celle des parents devrait alors passer par la double nationalité?

Nicolas Schmit: En fait, les parents sont également intégrés en grande partie par leurs enfants. Les premiers pas pour leur intégration politique ont été faits avec l'introduction du droit de vote pour étrangers aux élections communales. L'accord que nous avons trouvé au sein du gouvernement sur la double nationalité est à mon avis un bon compromis, parce qu'elle permettra à rétablir un certain équilibre dans la prise de décision politique. En effet, nous ne pouvons admettre que quarante pour cent de la population luxembourgeoise soient exclus de la vie démocratique, ce serait néfaste pour notre modèle sociétal, mais aussi pour notre image sur le plan international. La double nationalité est une contribution essentielle.

Josée Hansen: Même si le délai de sept ans avant de pouvoir poser une demande de naturalisation est long, plus long même que les cinq ans actuellement prévus dans la législation?

Nicolas Schmit: Ce délai se justifie par la philosophie du projet de loi: la nationalité y est vue comme l'aboutissement d'une procédure d'intégration et non comme son début. Acquérir la nationalité luxembourgeoise doit être une motivation pour s'intégrer, mais une fois qu'on l'a, on est un Luxembourgeois comme tous les autres, il n'y a plus qu'une seule catégorie de citoyens grand-ducaux, même si on a gardé sa nationalité d'origine à côté. En outre, il n'y aura plus qu'une seule et unique procédure pour devenir Luxembourgeois, qui sera la même pour tous. Donc oui, cette nouvelle loi est une bonne base.

Josée Hansen: Vous assistez actuellement, hier et aujourd'hui, vendredi, à une réunion du Dialogue de haut niveau sur les migrations internationales et le développement de l'Onu à New York. Quelle position le Luxembourg y défend-il? Sans frontières extérieures à l'Union européennes, nous ne connaissons pas vraiment de situations dramatiques comme les Iles Canaries par exemple...

Nicolas Schmit: Je salue le fait que le sujet des migrations soit désormais un des principaux thèmes discutés sur le plan international, et ce dans une approche multilatérale qui lie le sous-développement dans les pays les plus pauvres aux questions de migrations vers les pays les plus riches. Il nous faudra trouver un équilibre entre les intérêts des pays en voie de développement et ceux des pays développés. Il est essentiel qu'on ne transforme pas les questions d'immigration en une menace, pour aucun des deux côtés.

Nous devons contribuer au développement économique, social et politique des pays dont proviennent les migrants afin de rendre une vie chez eux possible. Nous devrons organiser les flux et collaborer avec les pays d'origine pour abolir les réseaux clandestins. Fermer les frontières unilatéralement n'est pas une solution pour endiguer unilatéralement ces flux.

Le Luxembourg ne peut pas rester sourd et muet sur ces questions, elles nous concernent aussi, d'où notre participation à ces conférences de l'Onu et au processus international. En collaboration avec le ministre de la Coopération et de l'Action humanitaire, Jean-Louis Schiltz, nous allons travailler sur une meilleure prise en compte des deux aspects de ce sujet. Notre approche ne doit jamais être uniquement protectionniste, mais rechercher d'un équilibre solidaire, qui soit dans l'intérêt des deux côtés.

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