"Nous avançons dans la bonne direction". Jeannot Krecké au sujet de l'amélioration de la compétitivité du Luxembourg

paperJam: Alors que se profile ce colloque "En route vers Lisbonne", il semble désormais acquis que les pays de I'UE n'atteindront pas pleinement les objectifs de Lisbonne. Validez-vous ce constat?

Jeannot Krecké: Wim Kok, l'ancien Premier ministre néerlandais, avait montré dans son rapport que la mise en oeuvre de la Stratégie de Lisbonne se soldait par un bilan "mitigé", une manière diplomatique de dire que c'était un échec... Sous Présidence luxembourgeoise, la Stratégie de Lisbonne a été relancée en réduisant l'emphase rhétorique qui l'entourait, en simplifiant les procédures et en se concentrant sur l'essentiel.

En effet, le constat qui a été fait entre 2000 et 2005 est que les principaux défauts ont été une approche trop compliquée et un manque global de communication, auprès des milieux intéressés et du grand public.

paperJam: L'Europe a-t-elle péché par orgueil, dès le départ, ou par son incapacité à répondre à des objectifs précis, au fur et à mesure?

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Jeannot Krecké: Cependant, s'il est aujourd'hui clair que nous n'atteindrons pas l'objectif d'être l'économie de la connaissance la plus compétitive au monde en 2010, cela ne veut pas dire que nous avons eu tort de nous fixer cet objectif ambitieux. Il ne faut pas oublier que la Stratégie de Lisbonne constitue un processus dynamique. Même si l'Union européenne avait atteint les objectifs qu'elle s'était fixé pour 2010, la modernisation des économies européennes ne se serait pas arrêtée, car les autres économies à travers le monde évoluent aussi.

Je suis donc persuadé que nous avançons dans la bonne direction et que notre seule chance est de nous diriger vers une économie de la connaissance de plus en plus performante.

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paperJam: Cet Observatoire a mis en avant un certain nombre de points clés et a proposé la mise en place d'un tableau de bord. Comment passer de la théorie à la réalité du terrain?

Jeannot Krecké: Il faut bien voir combien il est utile, pour le gouvernement, de disposer d'un tel set d'indicateurs statistiques primaires qui lui permet de faire un suivi rigoureux des réformes engagées.

Deuxièmement, un autre atout de ce tableau de bord est d'objectiver le débat en recourant à une démarche rigoureuse. En effet, l'Observatoire est, en l'occurrence, un organe de documentation, de surveillance et d'analyse de l'évolution de la position compétitive du Grand-Duché. Il est à la disposition du Comité de coordination tripartite et associe des experts nationaux et étrangers.

Troisièmement, enfin, le tableau de bord vise aussi expressément à contribuer à un des défis majeurs de la Stratégie de Lisbonne, à savoir expliquer aux citoyens les avantages des politiques menées pour assurer l'avenir du Luxembourg dans les années à venir.

paperJam: Quels sont, selon vous, les facteurs majeurs qui "plombent" la position luxembourgeoise?

Jeannot Krecké: À court terme, il s'agit du différentiel d'inflation et des déséquilibres des comptes publics. Le Comité de coordination tripartite a d'ailleurs retenu, en avril 2006, six grands axes. Ceux-ci concernent la maîtrise de l'inflation, le rétablissement de l'équilibre budgétaire, la compétitivité des entreprises, le marché de l'emploi, le statut unique pour les salariés et la sécurité sociale.

Ces réformes sont toutes issues d'un examen des bases de développement à long terme de l'économie et ont été élaborées dans la recherche du consensus national.

paperJam: Comment expliquer, par exemple, que dans un si petit pays où les "circuits" décisionnels sont réduits au minimum, les lourdeurs administratives figurent parmi les principales entraves à la compétitivité, citées par les entrepreneurs? Où en est le chantier de la simplification administrative?

Jeannot Krecké: La simplification administrative doit être vue comme un processus profond et continuel de modernisation de la "manière de fonctionner" des services de l'État. Sa réussite à long terme est fonction de l'esprit de compromis et de la détermination communs à tous les acteurs concernés.

L'expérience montre qu'elle se fera à petits pas, car la mentalité de "simplification" ne s'installera pas du jour au lendemain. Ceci dit, plusieurs réalisations concrètes ont déjà vu le jour depuis 2004, ou bien se trouvent en phase d'analyse. Parmi celles-ci, le portail entreprises.lu est un site Internet rassemblant et synthétisant l'ensemble des procédures et des informations relatives à la création et la gestion des entreprises qui est opérationnel depuis fin 2004. Dans le futur, il se développera pour devenir un véritable "guichet unique" en ligne, permettant de compléter l'ensemble de ces formalités en ligne.

Je citerai encore la Centrale des Bilans luxembourgeoise, lancée en juin 2005, qui permettra aux entreprises de ne déposer leurs données comptables qu'une seule fois. Aussi, le projet pilote "Assistance électronique aux entreprises du secteur industriel" constitue le premier exercice pratique interactif, qui facilitera les relations entre les entreprises et les autorités publiques. Ce projet devra servir de modèle pour une extension à une clientèle PME.

paperJam: Le pays accuse un important retard sur ses voisins en matière de recherche et de formation supérieure. Selon vous, dans combien d'années les efforts entrepris depuis la création de l'Université porteront-ils leurs fruits?

Jeannot Krecké: Dans son Plan national pour l'innovation et le plein emploi soumis à la Commission européenne en automne 2005, le Luxembourg s'est fixé l'ambitieux objectif d'un taux de 3% du PIB pour les dépenses en R&D en 2010. Le gouvernement accorde donc une grande priorité aux activités de recherche. L'Université fait partie intégrante de cette stratégie. Il ne faut cependant pas perdre de vue que les fruits des activités de recherche ne seront récoltés que dans le moyen et long terme.

paperJam: La qualité de l'enseignement et de la formation supérieure semble rester le talon d'Achille du pays. Comment comptez-vous y remédier?

Jeannot Krecké: Ma collègue Mady Delvaux a entrepris des réformes courageuses. Il faut que notre système éducatif devienne plus réactif à la demande de l'économie.

paperJam: Quelles sont, parmi les nombreuses mesures arrêtées par le Comité de coordination tripartite en avril dernier, celles qui sont à mettre en oeuvre prioritairement? La réalisation de l'ensemble de toutes ces mesures ne paraît-elle pas utopique?

Jeannot Krecké: Non, c'est une utopie réaliste et l'essentiel sera mis en oeuvre avec l'adoption du budget pour 2007 en décembre. Une loi sur la modulation de l'indexation automatique des salaires a été adoptée fin juin, un projet de loi sur l'emploi et l'environnement est sur les rails.

paperJam: Le Luxembourg continue de devoir sa – relative – bonne position dans la course mondiale à ses performances en matière de produits financiers. Cette situation qui tend toujours au monolithisme est-elle de nature à vous rassurer ou à vous inquiéter?

Jeannot Krecké: Le secteur financier est indéniablement devenu le pilier prépondérant de notre économie et quand il affiche d'excellents résultats comme actuellement, cela se ressent dans l'ensemble de notre économie et peut en rassurer certains.

Seulement, il ne faut pas oublier que ce secteur est dépendant de la bonne santé de la bourse, ce qui montre sa fragilité, et donc celle de notre économie tout entière.

Pour moi, la bonne conjoncture actuelle est une chance à ne pas manquer pour rendre notre économie moins vulnérable en renforçant sa diversification. Par diversification économique, je n'entends pas que nous devrions essayer de concurrencer le monde entier dans tous les domaines, mais que nous devons être très compétitifs dans certaines niches, en développant des compétences fortes dans ces domaines.

Pour un pays de la taille du Grand-Duché, dans une économie globalisée, la diversification doit être en quelque sorte une multi-spécialisation.

paperJam: Le secteur de la logistique a été mis en avant en vue de développer davantage la compétitivité nationale. D'autres secteurs sont-ils également en vue pour atteindre cet objectif?

Jeannot Krecké: La logistique est certainement un des secteurs que nous devons développer. En effet, si certains produits ne sont plus fabriqués en Europe, ils devront toujours être commandés, emballés, distribués et livrés ici. Nous devons donc saisir cette opportunité, car il s'agit d'un secteur qui offre, à la fois des emplois de très haute qualité, mais aussi des emplois qui pourraient compenser ceux qui sont perdus dans l'automatisation de l'industrie.

Outre la logistique, le Luxembourg est en train de devenir une référence pour les technologies de l'information et de la communication avec des sociétés de référence du secteur qui ont leur siège européen chez nous. Avec des projets comme "Luxconnect", nous voulons offrir à ces entreprises un environnement technologique de qualité, et développer une crédibilité internationale en matière de réseaux.

Toutes les sciences de la vie ont également un potentiel énorme. Autour du Laboratoire national de santé à Dudelange, nous allons créer un site pour accueillir des petites unités qui travaillent dans ces domaines. Certaines petites unités qui sont encore à un stade embryonnaire peuvent vite devenir des succès au développement rapide.

Enfin, je suis persuadé que les écotechnologies ont un bel avenir. Elles sont au cœur du problème écologique que connaît notre planète. De nouveaux marchés créateurs d'emplois vont se développer dans ce domaine. Ils offrent des opportunités que nous devons saisir rapidement.

paperJam: Le capital humain reste un des vecteurs de croissance reconnu. Parie-t-on encore de l'objectif 700.000 habitants à l'horizon 2020? Comment faire en sorte que le pays ait les capacités infrastructurelles à absorber une forte hausse de sa population?

Jeannot Krecké: On doit en parler si nous réussissons à maintenir des taux de croissance au-dessus de 3% et une productivité de 1,5% en croissance annuelle. Ce n'est pas gagné d'avance! Le bien-être est à ce prix. Il faut donc continuer à investir dans les infrastructures publiques des sommes considérables, mettons 3 à 4% du PIB par an, pour faciliter notre développement et éviter des goulots d'étranglement.

Notre coopération dans la Grande Région est essentielle pour faciliter la fluidité de notre marché de l'emploi. Nous devons aussi faciliter l'immigration de talents comme le propose le Conseil économique et social.

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