"LuxConnect peut être apparenté à une mesure de politique économique générale!" Jean-Louis Schiltz au sujet des nouvelles technologies d'informations et de communications au Luxembourg

Jean-Claude Quintart: Plusieurs enquêtes soulignent -de manière récurrente- que le Luxembourg est à la traîne en matière de communication! Ce bilan est-il fondé? Qu'en est-il exactement?

Jean-Louis Schiltz: Les communications grand-ducales se développent. Elles ont d'ailleurs enregistré une série de progrès significatifs durant les derniers mois. Au niveau de la bande large, en particulier, nous occupons à présent la 14ème place du classement de I'OCDE. Nous avons ainsi dépassé des pays comme la France, l'Allemagne et l'Autriche, pour ne prendre en compte que ces seules références. Ces tendances sont confirmées par la Commission européenne, sur base de ses propres études. Le haut débit est passé de 11% en 2003 à 40% fin 2005, soit un bond extraordinaire. Demain, nous serons plus concurrentiels encore. LuxConnect, notre projet d'autoroutes de l'information, avance à un rythme soutenu. C'est là, encore, une preuve de notre dynamisme... Certes, nous avons eu du retard. Mais, aujourd'hui, je maintiens que nous l'avons comblé. Et largement! Le fait de devancer des pays comme la France et l'Allemagne est un signe qui ne trompe pas.

Jean-Claude Quintart: Ce point de vue ne fait pas l'unanimité. Dans le domaine de l'Internet, l'ISOC Luxembourg estime l'offre insuffisante; l'organisation épingle le manque d'imagination des fournisseurs, les prix élevés et la qualité médiocre du service...

Jean-Louis Schiltz: Je laisse à l'ISOC Luxembourg la responsabilité de ce constat. A elle de préciser ce qu'elle entend par 'qualité médiocre' car je ne vois pas chez les utilisateurs de mouvement faisant valoir des déficits en ce sens. Quant aux prix, ils ont sensiblement baissé; ils ne sont plus en rapport avec les tarifs du passé. De nouvelles applications par Internet seront prochainement possibles. Enfin, EP&T devrait ouvrir prochainement son réseau large bande pour stimuler la concurrence.

Jean-Claude Quintart: A propos de EP&T, l'ISOC évoque un "manque de tonus". L'association fustige également son double statut -poste et opérateur de télécommunications- lequel contraint l'entreprise à arrêter des choix qui peuvent être difficiles. Partagez-vous ce sentiment? Autrement dit, ne serait-il pas intéressant de scinder l'entreprise?

Jean-Louis Schiltz: Cette double compétence permet de créer des synergies et, globalement, de renforcer l'entreprise. . . Je considère que EP&T a bien évolué. Pour preuve, si l'association des deux activités s'était avérée néfaste, nous n'aurions jamais été capables de dépasser la France et l'Allemagne. Aussi, méfions-nous des idées préconçues et autres préjugés sans fondements!

Jean-Claude Quintart: Après le public, le privé, le privé. Que dire de la téléphonie fixe, mobile et Internet? Les opérateurs sont-ils à la hauteur des attentes nationales et internationales?

Jean-Louis Schiltz: Plus de 95% de la population peut accéder à un réseau haut débit. Et si ce type de réseau a tardé à devenir populaire, l'explication tient à l'essor de l'ISDN, qui s'est rapidement et fermement développé au Luxembourg. Dans un sens, le haut débit paie le succès de l'ISDN. Demain, ce constat sera dépassé.

Aujourd'hui, 90% de la population peut accéder à un réseau de troisième génération. Le potentiel de développement est donc énorme... J'observe aussi, à un autre niveau, que le Luxembourg est un des rares pays à compter plus d'abonnements en téléphonie mobile que d'habitants -avec 120 portables pour 100 habitants! Nous évoluons donc dans un environnement plutôt favorable, à fort potentiel.

Jean-Claude Quintart: Aujourd'hui, le Luxembourg investit beaucoup dans les autoroutes de l'information. Qu'en attendez-vous?

Jean-Louis Schiltz: C'est le défi des années à venir! Si, actuellement, notre connectivité est bonne, malgré certainement de petits déficits ici et là, un problème de capacité internationale se posera d'ici peu. Pour pallier celui-ci, le projet de loi sur la construction des autoroutes de l'information a été déposé à la Chambre des députés au cours du premier trimestre de cette année. C'est LuxConnect. Ce projet peut être apparenté à une mesure de politique économique générale. Il entend améliorer la connectivité du Luxembourg, veiller à ce qu'à tout moment elle soit conforme aux besoins des consommateurs et des entreprises présentes ou qui souhaitent s'établir chez nous. Je tiens à préciser que LuxConnect complète et renforce les offres des opérateurs actifs sur le marché. LuxConnect n'a pas pour ambition de concurrencer ces opérateurs, mais de rencontrer les besoins non satisfaits. LuxConnect est essentiel pour le Luxembourg; le projet s'inscrit clairement dans la stratégie de Lisbonne.

Jean-Claude Quintart: Justement, le gouvernement va-t-il assez loin dans sa politique de e-society? Partagez-vous l'idée selon laquelle la société de l'information engendre une nouvelle démocratie?

Jean-Louis Schiltz: Il y a, ici aussi, des progrès indéniables qui ont été accomplis. Les rapports de mon collègue Claude Wiseler, ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative, montrent que ces dossiers avancent bien. Lux Trust prouve également que les choses bougent!

Quant à savoir si l'informatique génère une nouvelle démocratie, j'avoue ma prudence. J'éviterais de catégoriser les choses de cette façon. Je constate qu'il y a de nouvelles manières de communiquer, dont les blogs! Je crois qu'il faut rester attentifs. Je vois aussi un danger pour nos sociétés, mais plus encore une menace entre le Nord et le Sud, à savoir le risque d'une fracture numérique. Oui, il y a des évolutions, mais pas de nouvelle démocratie.

Jean-Claude Quintart: Où en est la politique spatiale, notamment au niveau de la loi sur l'utilisation de l'espace et de l'exploitation de systèmes de satellites luxembourgeois?

Jean-Louis Schiltz: D'un côté, il y a la base légale avec la loi sur les médias électroniques et, de l'autre, les Conventions internationales. Le cadre légal existe donc. Il est aussi exact que dans la perspective de refonte de la loi sur les médias électroniques et celles sur les communications électroniques, des questions se poseront. Je ne suis pas encore disposé

à agir car, au niveau européen, la nouvelle directive télévision sans frontières doit être adoptée d'abord. Il faut envisager l'orientation en tenant compte du cadre actuel... qui fonctionne correctement!

Jean-Claude Quintart: Ministre des Communications, mais aussi ministre de la Coopération, vous estimez que les nouvelles technologies de l'information et de la communication sont une chance pour les pays en voie de développement. Concrètement quelle est votre stratégie envers ces pays?

Jean-Louis Schiltz: C’est une chance, absolument. Et pour étayer cette affirmation, je cite toujours l'exemple du pêcheur africain qui, rentré au port, visite trois marchés pour vendre son poisson au meilleur prix. Imaginez le temps passé à courir de marché en marché. Où vendra-t-il? Au premier marché, après avoir fait le tour des trois? Ou, finalement, au deuxième? D'ici là, que restera-t-il de son poisson? Sera-t-il encore vendable? Si ce pêcheur avait disposé de bonnes communications, il lui aurait suffit de téléphoner pour vendre le produit de sa pêche: plus vite et pouvant mettre à profit ce gain de temps pour réaliser d'autres activités. Les communications sont donc essentielles à l'essor des pays en voie de développement. Cette question a été débattue au Sommet de Tunis. Dans ce contexte, la coopération luxembourgeoise étudie comment travailler à la mise en œuvre de projets de télécommunication en Afrique de l'Ouest qui compléteraient nos programmes en matière de santé, éducation, assainissement, etc.

Jean-Claude Quintart: Quelles empreintes souhaitez-vous laisser de votre passage aux Communications et à la Coopération pour cette mandature?

Jean-Louis Schiltz: Nous sommes seulement à mi-législature! C'est donc un peu tôt pour évoquer la question.... Qui plus est, l'idée même d’empreinte me laisse indifférent; je la laisse à d'autres pour me concentrer sur l'action. Mon défi est d'assurer que tous les éléments de la connectivité s'emboîtent sans problème. Je note un certain dynamisme. C’est au gouvernement de faire en sorte que les entreprises puissent se développer. Le cadre réglementaire doit permettre d'atteindre cet objectif. Il doit être favorable, mais en définitive c'est aux entreprises de saisir les opportunités et de transformer l'essai.

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