François Biltgen: "Des règles plus flexibles" Le ministre du travail au sujet de la modernisation du droit de travail

Le Jeudi: Le Livre vert de la Commission européenne envisage-t-il l'introduction de la notion de "flexicurité" (flexibilité et sécurité) dans le droit du travail?

François Biltgen: Le Livre vert n'entend pas introduire la notion de flexicurité dans le droit du travail mais pose la question comment le droit du travail pourra relever le défi de la conciliation d'une flexibilité accrue avec la nécessité d'offrir à tous un maximum de sécurité.

Le Jeudi: Existe-t-il au Grand-Duché un fossé entre le cadre juridique du droit du travail et la réalité du monde du travail?

François Biltgen: Le Luxembourg connaît un droit du travail très protecteur du salarié, droit du travail qu'il vient de codifier. Cela ne l'a pas empêché de connaître un développement considérable de la croissance économique et de la création d'emplois. Dans un monde économique en pleine mutation, il faut cependant toujours veiller à ce que les dispositions du droit du travail restent conformes à leur finalité et ne produisent pas des effets contre-productifs. La rigidité de la loi peut, à cet égard, constituer un problème.

Pour répondre à un monde plus flexible, il faut des règles plus flexibles. Or il faut des règles, sinon il n'y a pas de sécurité. Voilà pourquoi nous œuvrons au Luxembourg pour donner davantage de pouvoirs à l'action concertée des partenaires sociaux au détriment de la loi. Ainsi, la loi de 2004 sur les relations collectives du travail a introduit la notion d'accord interprofessionnel. Les partenaires sociaux peuvent ainsi décréter des règles qui auront force de loi. Ils l'ont fait par exemple pour le télétravail. Le gouvernement a déclaré cet accord d'obligation générale.

Le Jeudi: Flexibilité et sécurité ne sont-elles pas contradictoires? Si l'employeur peut, grâce à cette flexibilité, embaucher et surtout licencier plus facilement, en contrepartie d'indemnités de chômage plus élevées, cela ne contribuerait-il pas à faire progresser le chômage et son coût?

François Biltgen: Dans le monde industriel, la plupart des salariés faisaient, la vie durant, le même travail pour le même employeur. Aujourd'hui tel n'est plus le cas. En plus les métiers deviennent de plus en plus spécialisés, y compris les métiers ne requérant pas de qualifications. Protection contre le licenciement et indemnités de chômage peuvent tempérer la perte d'emplois mais ne procurent pas de nouvel emploi. Il faut donc désormais remplacer la sécurité de l'emploi par la sécurité sur le marché du travail.

La nouvelle loi du 22 décembre 2006 (appelée communément 5611) a introduit en ce sens la notion de plan de maintien dans l'emploi. Il s'agit d'éviter les plans sociaux, donc les licenciements, en proposant aux partenaires sociaux, dès que des signes de menace sur l'emploi se manifestent dans une entreprise déterminée, de négocier avec l'aide de l'Etat des plans permettant de replacer les salariés concernés en temps utile sur d'autres emplois sans passer par le chômage.

Le Jeudi: Cette flexibilité réduirait-elle tous les contrats d'embauché en des contrats à durée déterminée (CDD) par l'employeur? Quelle garantie pour l'employé?

François Biltgen: Le contrat à durée indéterminée (CDI) reste et restera la règle au Luxembourg. En Espagne, par exemple, par la voie de l'action concertée des partenaires sociaux bon nombre de CDD ont été transformés en CDI. Une des questions essentielles du Livre Vert de la Commission est justement celle de voir comment on pourrait éviter une segmentation du marché du travail entre travailleurs sous contrat "normal" et ceux sous contrat "atypique" (voire précaire), en donnant le cas échéant davantage de flexibilité aux uns et plus de sécurité aux autres.

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