"Les Européens doivent reprendre confiance en eux". Le ministre délégué aux Affaires européennes, Nicolas Schmit, au sujet du 50e anniversaire des Traités de Rome

Le Jeudi: Que retenez-vous d'essentiel de ces cinquante années de construction européenne depuis la signature du Traité de Rome en 1957?

Nicolas Schmit: Je retiens surtout la capacité de ces hommes à avancer, à progresser et à réaliser de grands projets. A assurer, aussi, la solidarité et la paix entre citoyens de I'UE. Pendant cinquante ans, cette construction n'a cessé d'être en mouvement malgré les échecs et les perceptions de paralysies.

Le Traité de Rome a été signé par des personnes qui avaient encore en mémoire les deux guerres mondiales, les destructions, les exterminations. Elles avaient donc cette formidable volonté politique de construire une Europe forte, solidaire, et cela, c'est tout simplement remarquable.

Le Jeudi: L'ancien président de la Commission européenne, Jacques Santer, souhaite que cet anniversaire soit l'occasion de donner un souffle nouveau à l'Europe. Êtes-vous de cet avis?

Nicolas Schmit: L'Europe a besoin constamment de souffle nouveau en rappelant aux jeunes, notamment, la formidable réalisation qui fut mise en œuvre il y a cinquante ans. J'espère que cet anniversaire sera porteur et éclaireur pour les jeunes générations. J'espère surtout qu'il sera à leurs yeux un exercice convaincant.

Le Jeudi: Justement, plus de 200 jeunes des 27 États membres vont se réunir les 24 et 25 mars à Rome pour le tout premier sommet européen de la jeunesse. Quel message voudriez-vous leur transmettre?

Nicolas Schmit: L'Europe ne se fera que si eux le souhaitent vraiment. Ils ont une énorme responsabilité face à l'avenir, leur avenir. Lequel dépendra fortement de leur capacité à poursuivre cette œuvre lancée il y a cinquante ans.

Cet héritage doit être amélioré. Il doit fructifier, s'adapter et se renouveler car il représente le patrimoine de l'Europe entière. Si les jeunes générations n'ont pas cela à l'esprit, alors l'Europe sera la grande perdante de ce monde de demain.

Le Jeudi: En 1975, l'ancien Premier ministre belge, Léo Tindemans, affirmait déjà qu'il fallait avant tout rétablir une vision commune si nous voulions construire I'UE. Cette affirmation vous paraît-elle toujours d'actualité?

Nicolas Schmit: Dès le départ, les dirigeants politiques avaient une vision commune. Ce qui ne les a pas empêchés de traverser des périodes difficiles. Les années soixante furent en effet des années troubles pour la construction européenne. On se rappelle de la politique de la chaise vide menée par la France ou encore des réticences de la Grande-Bretagne à adhérer à I'UE. Plus récemment, l'échec du référendum à la Constitution dans deux des pays fondateurs de I'UE a démontré un certain malaise des citoyens de la vieille Europe. Il faut donc se ressaisir afin de retrouver un minimum de vision commune.

Le Jeudi: Le mot "constitution" ne figurera pas dans la déclaration que préparent les 27 pour le cinquantième anniversaire du Traité de Rome. Le fait que le projet n'ait pas fait l'unanimité au sein de I'UE constitue-t-il l'échec le plus cinglant de l'histoire européenne?

Nicolas Schmit: Certainement. Ce fut un moment de crise, d'interrogations, qui a d'ailleurs été très explicite en France et aux Pays-Bas mais aussi dans d'autres pays, y compris le nôtre. Ce qui est visé, ce n'est pas le projet européen en lui-même, mais bien certaines orientations de ce même projet. Cela démontre aussi et surtout un certain décalage entre les élites dirigeantes et les citoyens européens.

Le Jeudi: L'UE est confrontée à de nouveaux défis: mondialisation, changements climatiques, migrations massives. A-t-elle les moyens de les relever?

Nicolas Schmit: Oui, elle a la capacité de le faire à condition qu'elle se dote d'un système décisionnel capable de mettre en place des mécanismes de solidarité. Je ne suis pas pessimiste. Le slogan de l'anniversaire du Traité de Rome "Ensemble depuis 1957" est un beau slogan, d'autant plus qu'il a été réalisé par des Polonais. C'est donc un formidable signal et une belle leçon pour l'avenir donnée par des citoyens issus d'un pays où subsistent des difficultés à surmonter.

Le Jeudi: Sur la question de l'immigration, domaine qui vous occupe tout particulièrement, comment I'UE va-t-elle faire face aux flux de migrants sachant qu'elle est de moins en moins encline à les accueillir?

Nicolas Schmit: L'UE doit tout d'abord préserver son système social tout en se donnant les moyens de relever le défi du vieillissement de sa population.

Il nous faut ensuite organiser une politique d'immigration, sachant que l'Europe est précisément un continent d'immigration. Toute la difficulté est de faire comprendre à nos concitoyens, sans leur faire peur, que la mise en place de cette politique d'immigration sera une affaire gagnante, non seulement pour les immigrés eux-mêmes mais aussi et surtout pour les sociétés qui les accueillent.

Dans certains pays, l'immigration a causé des problèmes de violence et d'intégration que l'on peut expliquer par l'absence d'une politique d'accompagnement efficace. Les sociétés doivent donc investir dans l'immigration en construisant, ensemble, un tissu de solidarité sociale performant.

Le Jeudi: Comment est perçue l'UE par le reste du monde? A-t-elle la crédibilité qu'elle revendique?

Nicolas Schmit: C'est une image positive et forte qui a toutefois été quelque peu fissurée suite aux événements qui ont entouré la ratification de la Constitution. Le doute que les Européens portent en eux, sur leur propre pays, n'est pas forcément partagé par le reste du monde. Mais s'il devient envahissant, alors il finira tôt ou tard par gagner les autres continents. Je demande donc aux Européens de reprendre confiance en eux.

Le Jeudi: Quel est votre rêve européen?

Nicolas Schmit: Lors de l'invasion de notre pays par les forces allemandes le 10 mai 1940, mon père a assisté à la mort du sien. En tant que citoyen, père de famille et petit-fils d'une victime de la guerre, je souhaite que mes enfants ne connaissent jamais pareil drame. J'espère que leur génération sera capable de construire une société solidaire et dynamique. L'Europe ne doit pas être dirigée par des hommes et des femmes fatigués mais au contraire par des citoyens débordant d'énergie.

L'Europe doit également contribuer à rendre cette planète plus humaine en continuant d'apporter son soutien au pays en voie de développement mais aussi en luttant contre les risques, sans cesse grandissants, de catastrophes climatiques.

Le Jeudi: Quelles seront les grandes lignes de la déclaration sur le cinquantième anniversaire du Traité de Rome?

Nicolas Schmit: Je peux vous dire que le texte sera court, lisible et compréhensible par tous. Ce ne sera pas un texte diplomatique mais un message à l'attention des citoyens des Etat membres de l'UE. Un message sur ce qui nous unit, sur nos valeurs, sur la démocratie et le respect des droits humains. Bref, sur ce qui nous paraît fondamental et qui doit être absolument préservé.

C'est aussi un rapport sur nos grandes réalisations européennes: la paix est le bien collectif le plus précieux auquel les Européens se sont peut-être habitués trop vite. Rappelons, dans ce contexte, que nous avons tout de même connu une guerre au Kosovo il y a moins de dix ans. L'Europe, qui était économiquement faible après la Seconde Guerre mondiale, est parvenue à se relever pour devenir la deuxième plus grande économie du monde.

La déclaration parle également de notre modèle social européen, de nos valeurs de dignité et de solidarité. Personne ne doit être laissé sur le bord de la route et c'est précisément l'inquiétude principale qui anime nos citoyens face à la mondialisation. Nous souhaitons un progrès économique, certes, mais également un progrès social. Nous promettons de tout mettre en œuvre pour parvenir à cet objectif. L'Europe doit enfin trouver sa place dans un monde violent où de grands acteurs apparaissent, à l'instar de la Chine. En résumé, l'Europe sera capable d'assumer son rôle international et de faire face à ces changements à condition qu'elle soit capable de développer un projet européen.

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