"Pour une Europe plus sociale". Le Premier ministre Jean-Claude Juncker au sujet du 50e annioversaire des traités de Rome

Le Quotidien: Le 50e anniversaire du traité de Rome permet également de célébrer les noces d'or entre le Grand-Duché et ce qui est devenu l'Union européenne. S'il fallait se rappeler de quelques événements marquants de 50 années de vie commune, quels seraient-ils?

Jean-Claude Juncker: Le 50e anniversaire du traité de Rome nous donne l'occasion de célébrer tranquillement et sereinement la construction européenne, dont le premier mérite est d'avoir su instaurer la paix et la stabilité sur le continent.

L'Union européenne est devenue le plus grand marché intérieur du monde. Parmi les grandes réussites de l'Union européenne, il convient encore de citer la réalisation de l'a monnaie unique, l'euro. Beaucoup, y compris au Luxembourg, ont douté que cela serait un jour possible.

Le Quotidien: Mais quels sont plus particulièrement les apports de l'Union européenne au Luxembourg?

Jean-Claude Juncker: L'Union européenne a donné au Luxembourg le pouvoir de codécision dans l'une des plus importantes entités politiques et économiques du monde.

Et le Luxembourg qui, auparavant, n'avait jamais de réelle souveraineté sur sa monnaie, est désormais l'un des 13 "copropriétaires" de la monnaie unique, l'une des plus fortes et plus stables du monde.

Le Quotidien: Le traité de Rome était précédé de fiançailles, la CECA, qui ont permis d'installer les premières institutions supranationales à Luxembourg. Le Luxembourg a-t-il bien géré cette corbeille de fiançailles alors qu'il faut partager le titre de capitale européenne avec Strasbourg mais surtout avec Bruxelles?

Jean-Claude Juncker: Il ne faut pas sous-estimer l'importance de la CECA pour l'Union européenne. La Communauté du charbon et de l'acier en a aussi été le creuset qui a permis de forger les idées qui ont abouti à la création du marché commun.

C'est dans le cadre de la CECA que Luxembourg a obtenu le premier siège des institutions européennes. Je trouve normal qu'il a fallu ensuite le partager avec Strasbourg - ville symbole pour la réconciliation de la France et de l'Allemagne - et avec Bruxelles. Luxembourg reste l'une des capitales de l'Europe, et je continuerai à me battre pour que les institutions qui y sont installées y restent et puissent s'y développer.

Mais il faut aussi comprendre que d'autres pays - nous sommes désormais 27 - souhaitent accueillir des institutions et agences européennes. Mon vœu serait que la capitale de l'Europe se trouve dans le cœur de chacun de ses citoyens.

Le Quotidien: Après le refus de la France d'accepter la Communauté européenne de défense (CED), c'est un mémorandum des pays du Bénélux et une conférence présidée par le Luxembourgeois Joseph Bech qui a permis la relance de l'idée européenne. Les petits pays, dont le Luxembourg, ne sont-ils pas particulièrement sollicités pour relancer l'Europe en panne suite aux référendums français et néerlandais?

Jean-Claude Juncker: Tous les États membres de l'Union européenne sont sollicités pour trouver une sortie à la crise dans laquelle se trouve actuellement l'Europe! Au niveau du Bénélux, la Belgique a ratifié le traité par la procédure parlementaire, le Luxembourg par référendum... mais, aux Pays-Bas, une majorité des citoyens s'y est opposée.

Il est ainsi plus difficile de trouver une position commune au sein du Bénélux. Mais, d'autre part, toutes les sensibilités, tous les cas de figure sont représentés au sein des trois pays. Grâce à nos liens étroits au sein du Bénélux, il ne me semble pas impossible d'y élaborer des propositions constructives pour relancer le traité constitutionnel.

Le Quotidien: 50 ans durant, le Luxembourg, pays fondateur, a joué un rôle important, largement supérieur à son poids économique et démographique, dans les différentes étapes de la construction européenne. Qu'en sera-t-il, dans un avenir prévisible, dans l'Europe à 27?

Jean-Claude Juncker: Le Luxembourg est l'un des six pays fondateurs de l'Union européenne, il peut pour le moins revendiquer le droit d'aînesse... Le Grand-Duché, fort de ses contributions, de son expérience, de sa situation en Europe continuera, j'en suis sûr, à avoir un rôle important au sein de l'Union.

Le Quotidien: L'Europe a permis au Luxembourg de s'épanouir, de développer sa prospérité. Mais dans une Union de plus en plus harmonisée, le Grand-Duché aura-t-il encore des atouts à jouer, ou bien le premier de la classe va-t-il se rapprocher de la "moyenne" européenne?

Jean-Claude Juncker: Je n'aime pas cette expression de "premier de. la classe", nous n'avons aucune raison de faire état d'une quelconque arrogance. Ce qui est exact, c'est que le pays a su prospérer au sein de l'Union européenne et grâce à l'Union européenne, parce qu'il a toujours su s'adapter aux règles communes. Je ne vois aucune raison qui pourrait empêcher, à l'avenir, le Luxembourg de tirer son épingle du jeu.

Le Quotidien: Personnellement, vous avez déjà de grandes responsabilités au niveau européen - en tant que président de l'Eurogroupe - mais les observateurs nationaux et internationaux vous voient dans un rôle encore plus important. Etes-vous prêt à jouer ce rôle alors que l'Europe semble confrontée à sa "crise de la cinquantaine"?

Jean-Claude Juncker: Les fonctions de Premier ministre et de ministre des Finances au Luxembourg, les tâches qui m'incombent actuellement au sein de l'Union européenne comme président de l'Eurogroupe mais aussi au sein des différents Conseils de ministres - je suis le doyen en fonction au Conseil européen - m'offrent suffisamment de latitude pour me permettre d'apporter les contributions que je juge utiles. Ce qui est requis, ce sont les efforts de l'ensemble des acteurs européens.

Le Quotidien: A titre personnel, êtes-vous plutôt optimiste ou pessimiste pour une sortie de la crise?

Jean-Claude Juncker: La crise résulte du fait que, pour la moitié des États membres il y a trop d'Europe et que pour l'autre moitié il n'y en a pas assez! La tâche difficile qui nous attend consiste à construire le pont qui va permettre aux uns et aux autres de s'y retrouver. Il nous faut également combler l'un des déficits importants de l'Union européenne: poser les fondations d'un socle commun pour une Europe sociale. C'est là l'une des conditions pour réconcilier l'Europe avec ses citoyens.

Dernière mise à jour