"Cessons de nous lamenter sur le coût de la politique sociale" Mars Di Bartolomeo fait le point sur les questions concernant la santé et la sécurité sociale

Jean-Marie Martini: Monsieur le Ministre, on entend souvent dire que la santé et la sécurité sociale coûtent cher. Est-ce votre point de vue?

Mars Di Bartolomeo: La santé et la sécurité sociale ne font pas que coûter de l'argent. Au contraire, elles apportent une plus-value énorme. Cessons de nous lamenter sur le coût de la politique sociale. Défendons de façon offensive ce système merveilleux que nous envient des milliards de gens et insistons sur les plus-values du système qui sont la cohésion sociale, la qualité de vie par un système social très généreux, donnant un accès équitable aux soins et des prestations d'un haut niveau de qualité sans distinction de revenu. Comprenons qu'à côté du coût, il y a des plus-values qui ne peuvent pas être mesurées en euros. Elles ont nom dynamique économique et moteur pour créer des emplois de haute qualité. Le secteur social est aussi un secteur économique aux besoins allant croissant. La santé peut être le secteur qui se développe de la façon la plus dynamique en termes de recherche, de services, de priorités. Quant à moi, j'en ai ras le bol de voir présenter de manière défaitiste ce secteur social comme uniquement un élément de coûts.

Jean-Marie Martini: Ce système social doit-il être considéré comme prioritaire?

Mars Di Bartolomeo: Il faut redéfinir les avantages du système social et renforcer les fondations qui restent aussi importantes que jamais. À mon niveau, j'essaie d'ouvrir un nouveau débat sur le social et ses avantages. Ce même débat, il faut l'ouvrir en Europe; la construction d'un système social est une des clés pour donner la cohésion en Europe. Il faut, en Europe, redonner cette priorité au social, à la solidarité qui ne s'inspire pas de modèles démodés. Je lance un plaidoyer non pas pour regarder le social à travers des lunettes de l'avant-dernier siècle, mais il faut y voir des avantages de cohésion et d'inclusion et non pas d'exclusion. Il ne faut pas de système laissant sur la route un pourcentage élevé de personnes. Dans sécurité sociale, il faut considérer le mot social et le mot sécurité. S'il n'y a pas de sécurité sociale, c'est toute la société qui est remise en cause. Développer et adapter le système vaut largement mieux que de le déstabiliser ou le réduire. Car réduire la solidarité, c'est capituler.

Jean-Marie Martini: Le professeur Bernard George, dans son audit sur le service de neurochirurgie du Centre hospitalier de Luxembourg (CHL) a parlé de 5 pour cent d'erreurs médicales. Un tel pourcentage est-il tolérable?

Mars Di Bartolomeo: Non. Mais précisons qu'il ne s'agit là que d'une valeur prise pour comparer. L'expert a conclu qu'on est largement en deçà. C'est un peu un faux débat. Ici, la discussion portait sur un service du CHL, pas sur sa totalité, ni sur tout le système de santé luxembourgeois. Depuis trois ans, je le répète : partenariat au lieu de concurrence, partage du travail, transparence de l'activité, documentation de cette dernière pour pouvoir en mesurer la qualité. Il s'agit de considérer le patient comme un client, mais surtout comme un partenaire majeur. Le débat n'est pas nouveau. Les débats menés ces dernières semaines ont accéléré cette discussion et exigent de tous les partenaires des résultats concrets.

Jean-Marie Martini: Avec le recul, comment jugez-vous cette affaire du CHL?

Mars Di Bartolomeo: Si je dois tirer des conclusions du dossier neurochirurgie du CHL, il faut considérer tous les éléments du dossier. Il y a là des éléments subjectifs tout d'abord, avec un ex-chef de service qui lance des reproches, et une association, la Patiente Vertriedung, qui en fait de plus graves encore. Une phase donc de reproches tous azimuts avec de très graves assertions et un amalgame très dangereux, tout cela sans beaucoup de nuances.

L'audit a largement nuancé le débat, a permis de l'objectiver. Il faut lire l'audit de la bonne façon, c'est-à-dire qu'il n'y a pas cette catastrophe, telle qu'on le fait croire, mais une obligation de faire mieux. Il faut tirer des conclusions positives pour tous les acteurs du dossier.

Jean-Marie Martini: Quelles sont alors vos conclusions?

Mars Di Bartolomeo: Sans délai, tous les hôpitaux doivent mieux articuler, mieux organiser, rendre plus visibles et plus accessibles leurs services d'information, de médiation à l'intention des patients. Tous les services nationaux seront "audités" de façon indépendante et régulière. On ne doit pas seulement parler de partage de travail, il faut, là aussi, passer aux actes. C'est tout de même désolant que les gens connaissent mieux les services médicaux spécialisés de l'étranger que ce que nos services savent faire au Luxembourg. La majorité des actes prestes dans nos hôpitaux est tout à fait comparable à ce qui se fait à l'étranger.

Jean-Marie Martini: Va-t-on parler enfin de transparence?

Mars Di Bartolomeo: Pour l'avenir, il sera nécessaire de documenter la qualité pour tous les services. Pas pour en faire du marketing, mais pour permettre aux hôpitaux d'avoir des données plus objectives. Mais documenter la qualité au lieu de se lancer dans un débat comme on l'a vécu et qui a engendré beaucoup de dégâts.

Il faudra donner aux gestionnaires et aux directeurs d'hôpitaux davantage de possibilités, notamment pour intégrer les mini-entreprises médicales qui se trouvent dans leurs établissements. Il faudra codifier l'activité dans une clinique, clarifier les relations entre le directeur d'hôpital et les médecins hospitaliers, mais aussi définir les responsabilités des médecins dans une approche de partenariat.

Des éléments importants seront la standardisation du dossier du patient, la codification des activités, et l'utilisation d'une méthode pour que tout soit transparent.

Jean-Marie Martini: Les comptes de la Sécurité sociale sont actuetement en équlibre fragile. Que comptez-vous faire pour fortifier leur position?

Mars Di Bartolomeo: Lorsque j'ai pris la relève aux ministères de la Santé et de la Sécurité sociale, le déficit structurel s'élevait à 90 millions d'euros par an. Grâce à notre méthode de responsabilisation, de suivi permanent des dépenses, de partenariat des acteurs, grâce aussi à un développement économique favorable, nous avons réussi à remettre en équilibre la situation financière des caisses de maladie. Il s'agit effectivement d'un équilibre fragile. Il faudra toujours réagir sur les problèmes qui se présentent, et donner aux acteurs la possibilité de redresser la barre.

Jean-Marie Martini: Quid de l'assurance dépendance?

Mars Di Bartolomeo: En ce qui concerne l'assurance dépendance, le système est arrivé à sa maturité. Il faut suivre, de la même manière que pour les caisses de maladie, son évolution en contrôlant la qualité et la justification des dépenses. Nous effectuerons des contrôles accentués dans un proche avenir, et nous sommes en train de nous en donner les moyens.

Jean-Marie Martini: Et pour les caisses de pension?

Mars Di Bartomeo: Elles respirent la santé pour le moment. Les réserves sont en hausse permanente, avec un plus de 635 millions d'euros en 2006, et une réserve totale de 7,3 milliards d'euros actuellement.

Si on veut maintenir cette bonne santé, il faut s'occuper des défis à moyen et long termes, et ils sont de taille. C'est ce que nous entamons en ce début novembre. Les partenaires sociaux vont se rencontrer pour se fixer une démarche commune dans l'intérêt de la garantie de la viabilité à long terme des systèmes de pension. Il ne s'agira pas d'un Rentendësch, mais d'une tripartite pension qui, de manière objective, analysera les forces et faiblesses du système avant de lancer, dans une seconde phase, la discussion sur des mesures concrètes. Pour le moment, les discussions se feront entre experts; nous travaillerons en gardant la tête froide.

Jean-Marie Martini: Au niveau du ministère de ta Santé, quels domaines privilégiez-vous?

Mars Di Bartolomeo: La réforme de la psychiatrie avance à un rythme soutenu. Nous avons réussi à décentraliser la psychiatrie aiguë et nous donnons des moyens supplémentaires à la psychiatrie extra-hospitalière. La réforme du CHNP est sur les rails et ce centre aura de nouvelles missions très importantes.

Quant à la démarche de la prévention, elle est largement entamée. En la privilégiant, nous voulons montrer que la santé n'est pas seulement un atelier de réparation, mais qu'en instaurant des attitudes préventives, il est possible d'éviter nombre de problèmes. Elle sera accompagnée en 2008 par un nombre impressionnant de programmes. Citons la vaccination contre le cancer du col de l'utérus, l'aide au sevrage tabagique, le remboursement, pour les jeunes, des moyens contraceptifs, la mise eh place d'un programme préventif contre les maladies cérébro-vasculaires, la création d'une école nationale du dos.

Jean-Marie Martini: Quel est l'état d'avancement du dossier du statut unique?

Mars Di Bartolomeo: On attend les premiers avis sur le projet de loi. La commission jointe travail et sécurité sociale de la Chambre des Députés a commencé ses travaux avec les ministres concernés.

Rappelons que ce statut unique est partie intégrante des négociations tripartites. C'est une réforme structurelle fondamentale qui va doter l'assurance maladie de structures modernes. Elle va améliorer la capacité de pilotage par une meilleure organisation. Elle représentera aussi un allégement des charges administratives des entreprises et contribuera à une plus grande justice sociale par le biais d'un traitement égalitaire entre ouvriers et employés. Une séparation artificielle et archaïque va être abolie.

Le statut unique est un bon exemple démontrant que le monde politique est capable de réformes fondamentales.

Et c'est surtout une claque pour une partie de l'opposition qui a essayé de semer la zizanie entre ouvriers et employés et qui n'y a pas réussi. Les avantages du nouveau modèle prévalent largement, d'autant plus qu'il ne faut pas se limiter à se doter d'autres structures. Il faut aussi revoir le contenu, améliorer les prestations et l'information, et reconsidérer les missions.

Jean-Marie Martini: Des caisses unifiées donc pour le secteur privé? Et rien de changé au niveau du secteur public?

Mars Di Bartolomeo: Pour le secteur privé, une seule caisse de maladie et une seule caisse de pension regroupera donc ouvriers et employés. Pour le secteur public, rien ne changera, sur un plan pratique tout au moins.

Jean-Marie Martini: Votre sentiment sur la lutte contre le tabagisme?

Mars Di Bartolomeo: Nous avons bien fait de présenter rapidement cette nouvelle loi qui n'est pas parfaite mais qui a été largement acceptée. C'est un pas décisif vers la normalisation du sans-tabac et la démystification du tabac. C'est un encouragement pour continuer sur la lancée en s'inspirant du mouvement qui se fait autour de nous et pour s'occuper du problème sur le lieu de travail et les cafés. Mais il ne faut pas seulement prohiber, il faut également être constructif. C'est pour cela que nous proposerons notamment un programme de sevrage tabagique.

Jean-Marie Martini: Le Grand-Duché est à la traîne au niveau des médicaments génériques. Quelle est votre position sur le problème?

Mars Di Bartolomeo: J'ai entamé la démarche pour encourager les médecins à prescrire, à valeur égale, les médicaments les moins chers aux patients. On va poursuivre cette action dans le sens du bon usage du médicament. Ainsi, on se donnera la marge de manœuvre pour payer des médicaments spécialisés de plus en plus chers. Il n'est pas question de jeter l'argent par les fenêtres, mais de bien utiliser les médicaments.

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