"Nous nous soutenons mutuellement". Jean Asselborn au sujet de la visite d'État au Chili

Le Quotidien: En avril 2006, vous étiez déjà à Santiago. Vous y revenez en ce moment pour accompagner le couple grand-ducal en visite officielle. Que vous inspire ce pays et son développement économique?

Jean Asselborn: II faut savoir que selon l'indice de développement humain de l'ONU, le Chili se classe 38e sur 177, juste après la Pologne, qui est membre de l'Union européenne. Le produit intérieur brut par habitant est d'environ 12.000 dollars par an. Ce sont des chiffres très bons, mais il ne faut pas perdre de vue qu'il y a, ici au Chili, d'énormes poches de pauvreté dans la population. On estime que 5% de la population est d'une extrême pauvreté. C'est-à-dire qu'ils ne sont pas seulement pauvres, mais extrêmement pauvres. Ils vivent avec moins d'un dollar par jour. C'est terrible. Surtout quand on sait qu'un cinquième de la population est riche et dispose de 60% des revenus...

Le Quotidien: C'est une situation inquiétante. Et cela pourrait concerner le Luxembourg?

Jean Asselborn: Oui, parce qu'il existe un lien important entre le Luxembourg et le Chili: les fonds de pension. Le Chili a bâti une grande partie de son économie sur le système de capitalisation individuelle pour les retraites. L'État n'intervient pas et laisse la gestion de cette capitalisation à six grands fonds privés. Il y a juste un superintendant qui est chargé d'observer la gestion de ces fonds.

En 2006, 61 milliards d'actifs ont été comptabilisés par ces fonds de pension. Cela représente 50% du PIB chilien. Et 66% de ces actifs sont placés au Luxembourg. Ce système de capitalisation fonctionne selon le principe que chaque personne doit verser, chaque mois, environ 12% de son salaire à ces fonds de pension. Mais le problème, c'est que quand on ne verse rien, on ne touche rien en échange. Donc beaucoup de gens pauvres ne touchent leur retraite que par intermittence. Je ne trouve pas cela très équitable.

Le Quotidien: Pourtant, ce système fait des émules. Son auteur, José Pinera, est invité tout autour du monde pour expliquer à différents gouvernements comment cela fonctionne. Beaucoup de pays, comme le Mexique et l'Argentine, ont déjà opté pour ce système. D'autres y pensent, notamment en Europe...

Jean Asselborn: Oui, et je pense même que beaucoup de pays de l'Est vont choisir ce système. Je crois que la Roumanie et la Pologne vont déjà dans ce sens. Il y en aura d'autres...

Je pense que c'est une erreur. Ce système n'est bon que si la croissance économique est constante. Dans la théorie, ça fonctionne toujours, mais je crois que le système qui repose sur la solidarité entre générations, comme cela existe chez nous, est beaucoup plus rassurant.

Le Quotidien: Vous avez rencontré, hier, votre homologue chilien, Alejandro Foxley. De quoi avez-vous parlé?

Jean Asselborn: Nous avons essentiellement évoqué les liens entre l'Union européenne et le Chili. Notre démarche est de favoriser les échanges entre l'UE et une structure organisée similaire, en Amérique du Sud. Ce serait très important. Depuis 2002, les échanges entre le Chili et I'UE ont augmenté de 269%. C'est énorme. Même s'il faut relativiser cette hausse, car elle a été essentiellement stimulée par le prix du cuivre, dont le Chili est un important exportateur, qui a triplé ces cinq dernières années.

Le Quotidien: Pour l'instant, il n'y a pas de structure similaire à l'UE en Amérique du Sud. Et le Chili n'est même pas candidat au Mercosur...

Jean Asselborn: C'est vrai, le Chili est très méfiant vis-à-vis du Mercosur, mais il serait favorable à une meilleure intégration en Amérique du Sud. En cela, le Chili nous admire beaucoup. Alejandro Foxley me disait combien il était enthousiaste devant ce qu'est devenu l'UE et comment nous avons su mettre nos différences de côté. Je lui ai rappelé que nous avions payé un lourd prix pour cela, puisque l'UE est née des suites de la Seconde Guerre mondiale.

Le Quotidien: Avez-vous évoqué les différences d'opinions qu'il existent entre les pays d'Amérique du Sud?

Jean Asselborn: Oui. Pour être très franc, nous avons abordé ce qu'il convient d'appeler le "problème Chávez". Les Chiliens ont soutenu le roi d'Espagne quand celui-ci a demandé à Hugo Chávez de se taire, lors du sommet ibéro-latino-américain, ici à Santiago, le 11 novembre dernier. On voit que le continent cherche encore sa voie, entre les sociaux-démocrates modérés, comme Michelle Bachelet ici et Lula, au Brésil, qui restent tout de même très critiques envers les États-Unis, et des dirigeants plus radicaux comme Chávez ou Evo Morales, en Bolivie.

Le Quotidien: Ces différences peuvent-elles s'effacer avec le temps pour donner naissance à l'union sud-américaine que vous évoquiez?

Jean Asselborn: Tout dépend de la capacité de ces pays à réduire ces poches de pauvreté qui s'agrandissent. C'est pourquoi, je pense, il faut une coopération efficiente à tous les niveaux entre l'Amérique du Sud et l'Union européenne.

Le Quotidien: Le Chili et le Luxembourg ont encore un point commun: les deux pays sont candidats au Conseil de sécurité de l'ONU pour 2013...

Jean Asselborn: Oui, le Chili, comme le Luxembourg, est membre fondateur de l'ONU. Nous avons d'ailleurs convenu d'un échange: le Luxembourg soutient le Chili pour 2013 et le Chili soutient le Luxembourg.

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