Jean-Claude Juncker: "Un jour, on sera dans le mur". Le Premier ministre au sujet de ses vingt-cinq ans de gouvernement

Le Jeudi: Que pensez-vous avoir apporté au pays en vingt-cinq ans; un objet de fierté? Un regret?

Jean-Claude Juncker: J'ai apporté une stabilité gouvernementale conséquente. Et j'ai résisté à cette vague néolibérale sans bornes, sans nuances. J'ai permis que le droit du travail reste un cordon sanitaire qui protège ceux qui travaillent. Le Luxembourg dispose de contrats de travail atypiques enviés à l'extérieur. Le modèle reste le contrat à durée indéterminée souvent vilipendé mais qui confère aux travailleurs une grande prévisibilité des conditions de vie. La loi de 1989 sur le contrat de travail et le licenciement est une autre réussite. En revanche, et c'est un échec de ma part, je ne suis pas parvenu à expliquer que notre système de pension est insoutenable. Le pays, les syndicats, les partis n'aiment pas ce discours. Nous surchargeons la barque, nous ne voulons pas enlever du confort. Personne ne veut l'entendre et nous faisons le contraire de ce qu'il faudrait. Nous allons dans le mur. Un mur qui recule car les réserves sont régulièrement alimentées. Mais viendra le jour où on sera dans le mur.

Le Jeudi: Qu'est-ce qui vous fait courir depuis 25 ans?

Jean-Claude Juncker: Ça va peut-être vous paraître pathétique (j'admets que la consonance est un peu cléricale)! C'est l'amour des autres, la sympathie que j'ai pour les gens. Pour ce qui fait bouger un peuple. Ces gens avec lesquels je vis m'intéressent C'est vrai qu'il y a de temps à autre de la lassitude. Notamment quand je suis à Bruxelles où je me bats pendant des heures seul face aux Vingt-Six autres pour la défense des intérêts luxembourgeois. Alors je me demande parfois si ça vaut le coup. Surtout quand bon nombre de personnes pensent que nous sommes corrompus, là pour nous remplir les poches. Cette attitude me fait souffrir.

Le Jeudi: Une attitude qui vous poussera à aller voir ailleurs, en Europe ou au-delà?

Jean-Claude Juncker: Si je n'ai plus la confiance, et j'en serais triste, je reviendrai à mes anciennes amours, l'écriture, la lecture, la presse. J'ai toujours considéré qu'il devait être excitant d'observer mais avec une connaissance de l'intérieur, cela sans rendre de comptes. J'ai toujours dû rendre des comptes, depuis 25 ans. L'Europe? On verra au moment où la question se posera. En attendant, je m'appuie sur la confiance de la population. Je suis parfois étonné de ce capital confiance. On en a besoin.

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