"L'Amérique a tort de nous demander plus". Jean-Claude Juncker sur le sommet du G20, la solidarité entre Etats membres de l'UE et les discussions sur le secret bancaire

Jean Quatremer: A la veille du G2O, on retrouve les clivages habituels entre les continentaux favorables à la régulation et les Anglo-Saxons partisans de l'autorégulation ?

Jean-Claude Juncker: Oui, nous sentons que la ferveur dont faisaient preuve certains est en train de retomber. Les Etats-Unis et, dans une moindre^mesure, la Grande-Bretagne exigent désormais que les Européens alignent plus de moyens budgétaires dans le cadre des paquets conjoncturels. Or, nous estimons qu'aligner 3,4% à 4% du PIB est un effort substantiel. Il n'est donc pas question d'ajouter du déficit au déficit et de la dette à la dette : nous attendons d'abord de voir quels effets ces paquets conjoncturels auront produit en 2009 et en 2010. Les Américains ont tort de demander plus d'effort de notre part alors que c'est la régulation financière qui doit se trouver au centre des considérations du prochain G2O. En 2007, nous avions demandé un encadrement des hedge funds et des agences de notation.A l'époque, on s'était heurtés aux Britanniques et aux Américains.

Jean Quatremer: La crise n'a-t-elle pas fait apparaître une fracture au sein de l'Union européenne, l'Ouest refusant un plan d'aide massif aux banques de l'Est?

Jean-Claude Juncker: Faux. L'Union n'est pas constituée de blocs. Mais certains pays d'Europe centrale et orientale ont de sérieuses difficultés dont il convient de s'occuper au cas pas cas et non par un plan d'ensemble qui ne correspondrait à rien.

Jean Quatremer: N'est-il pas choquant que des pays de l'Union, tels la Lettonie, la Hongrie et bientôt la Roumanie, fassent appel au Fonds monétaire international (FMI)?

Jean-Claude Juncker: Qu'il y ait une intervention du FMI pour des pays hors zone euro ne me gêne pas trop dans la mesure où il s'agit d'une action concertée avec l'Union. Nous avons mis à disposition de ces pays des volumes financiers considérables: ainsi, l'instrument d'intervention dont nous disposons pour les pays hors zone euro a été porté de 15 à 25 milliards d'euros. Mais si la solidarité européenne doit jouer, l'assainissement commence d'abord à domicile. . .

Jean Quatremer: Une intervention du FMI serait-elle imaginable pour un pays de la zone euro?

Jean-Claude Juncker: Aucun pays de la zone euro n'est menacé par une telle intervention. Si jamais il l'était, j'exclus l'hypothèse qu'il s'adresse au FM. Les Etats de la zone euro seraient alors à même de formuler une réponse qui ferait que ce pays n'aurait pas à le faire.

Jean Quatremer: Le secret bancaire, qui a fait la richesse du Luxembourg, est-il responsable de la crise financière?

Jean-Claude Juncker: Le secret bancaire pratiqué au Luxembourg, en Autriche et en Belgique n'est évidemment pas l'une des causes de la crise bancaire. Il est néanmoins évident qu'une réglementation des marchés financiers plus dense, que souhaite le G2O, pose le problème des "juridictions non coopératives" [les paradis fiscaux, ndlr]. Tout simplement parce qu'on ne peut pas réglementer les marchés financiers sur une partie de la planète et pas sur l'autre. Ce qui me pose problème est que l'on fait actuellement un amalgame absolu entre les "juridictions non coopératives" et les pays qui connaissent un système de secret bancaire respectant le droit communautaire: c'est en vertu d'une directive européenne que l'Autriche, la Belgique et le Luxembourg appliquent une retenue à la source à partager avec les pays dont sont originaires les non-résidents et non l'échange d'informations. Néanmoins, pour clarifier les choses, nous sommes d'accord pour adopter la convention cadre de I'OCDE : autrement dit, s'il y a un soupçon de fraude fiscale, nous échangerons des informations avec ceux qui nous le demandent, car il y a là un détournement du secret bancaire.

Jean Quatremer: Les paradis fiscaux britanniques (Jersey, Guernesey, île de Man, etc.) semblent un peu moins sous pression que le Luxembourg, la Suisse ou le Liechtenstein...

Jean-Claude Juncker: La solidarité européenne est ainsi faite qu'aucune place financière ne doit avoir pour ambition de vivre aux dépens de ses voisins européens. Il est évident que si des listes noires ou grises de paradis fiscaux doivent être dressées et avalisées par le G2O, il faudra qu'y figurent les territoires dépendants de la couronne britannique. Cela doit aussi être le cas d'autres territoires comme l'Etat du Delaware aux Etats-Unis qui pratique un système échappant totalement à l'impôt.

Dernière mise à jour