"L'OTAN sert à stabiliser", Jean Asselborn au sujet du soixantième anniversaire de l'OTAN

Le Jeudi: Le rôle que l'OTAN a pris depuis la fin de la guerre froide a créé des points de vue divergents sur ce que l'organisation est devenue. Après soixante ans, l'organisation est-elle politique ou militaire?

Jean Asselborn: Pour le soixantième anniversaire de l'OTAN, je rappelle que durant la guerre froide, l'OTAN a connu une période "de tempête et de passion", qui s'est estompée depuis. Dans ce contexte de deux blocs opposés, le rôle de l'OTAN était fondamentalement différent, elle assurait la défense et la dissuasion. Aujourd'hui, le côté politique de l'Alliance gagne en importance. Il serait erroné de présenter l'OTAN de 2009 comme une institution mettant l'accent sur les actions militaires. Elle n'est plus celle d'avant 1989, et elle est différente aujourd'hui de ce qu'elle sera dans 50 ans. Mais il ne faut pas oublier que notre appartenance à cette organisation, au même titre que l'ONU et les organisations européennes, nous a aidés pendant ces soixante dernières années à assurer notre sécurité et notre place sur la scène internationale.

Le Jeudi: À quoi sert l'OTAN aujourd'hui puisque la guerre froide est terminée?

Jean Asselborn: Il y a de nombreux nouveaux défis qui impactent notre sécurité. J'en cite trois: la lutte conte le terrorisme, la cyberdéfense, et la sécurité énergétique. Mais la grande contribution de l'OTAN est qu'elle sert à stabiliser. Une balance certes difficile à définir politiquement parce que le mur de Berlin est tombé et que les conflits ne sont plus aussi simples à identifier.

Le Jeudi: L'OTAN n'est-elle pas aussi un bon moyen pour les États-Unis de bloquer la PESD (Politique européenne de sécurité et de défense)?

Jean Asselborn: À mon avis l'OTAN permet une bonne compatibilité avec l'ONU et la PESD. Je note au passage que sur les 26 membres actuels de l'OTAN, 21 sont des pays de l'UE. Il ne faut pas oublier que pour le Luxembourg l'alliance avec les Etats-Unis est extrêmement positive. Pour beaucoup d'Américains, l'OTAN est une plate-forme pour discuter avec les Européens. Ce n'est pas mon avis. La plateforme pour discuter avec les États-Unis c'est à l'évidence l'UE. Je suis contiant qu'avec l'arrivée d'Obama les Américains admettront qu'il y a d'un côté l'UE qui sert au débat politique et de l'autre l'OTAN qui sert à mener les discussions sécuritaires.

Le Jeudi: Qu'en est-il de l'épineuse question de l'élargissement, en particulier de la question géorgienne?

Jean Asselborn: Il y a beaucoup de pays qui veulent adhérer à l'OTAN. Ce qui montre son intérêt. L'Albanie et la Croatie deviendront membres à ce sommet de Strasbourg. Pour les autres pays balkaniques la porte reste ouverte une fois qu'ils rempliront les critères d'adhésion. Là où le débat s'enflamme, c'est avec les deux anciennes républiques de feu l'Union soviétique. La Géorgie sait que le pas vers un plan d'action pour l'adhésion, n'est pas pour demain. En Géorgie, tout comme en Ukraine la démocratie doit d'abord se stabiliser. Sur le conflit géorgien, on reste toujours sur la même ligne à savoir que si c'est la Géorgie qui a déclenché le conflit, c'est au moins aussi vrai que la riposte de la Russie fut disproportionnée.

Le Jeudi: La question de la Russie reste donc une question centrale pour l'OTAN...

Jean Asselborn: Oui et cela reste extrêmement complexe. Sur cette question, il faut bien prendre son temps, parce qu'il y a des choses à digérer des deux côtés: le Kosovo, le bouclier antimissile et le conflit géorgien. Comme l'a dit Mitterrand, il faut donner du temps au temps. Ces questions ne seront pas explicitement à l'ordre du jour de la réunion du soixantième anniversaire. Mais je rappelle qu'à la dernière réunion des ministres des Affaires étrangères de l'OTAN, le 5 mars dernier nous avons convenu d'une relance du dialogue avec la Russie, pour les sujets de coopération comme pour ceux de controverse.

Pour ce qui est de la Russie, je suis en désaccord avec sa position sur le Kosovo et le refus de son indépendance. Je ne veux pas remuer le couteau dans la plaie mais je ne suis pas convaincu que laisser dormir les choses entre la Serbie et le Kosovo puisse contribuer à la stabilité des Balkans. Je comprends toutefois les inquiétudes de la Russie sur le bouclier antimissile. Lors des sommets de Riga (ndlr: en 2006) et de Bucarest (ndlr: en 2008), l'OTAN a décidé de pousser l'étude sur la menace et la faisabilité d'une telle installation, une étude pas plus. Mais parallèlement l'administration Bush a négocié de manière bilatérale avec la Pologne et la République tchèque. Cela a été mal reçu.

Depuis, le président Obama a délimité trois paramètres pour la poursuite des discussions sur une défense antimissile, sa faisabilité technique, un coût financier acceptable, et une discussion avec la Russie. Je me félicite du dernier point, on ne développe pas la sécurité contre la Russie mais avec elle.

Le Jeudi: La réintégration de la France dans le commandement intégré de l'OTAN est-elle une mauvaise nouvelle pour le PESC?

Jean Asselborn: Sur le plan militaire et pour le Luxembourg, cela ne change pas grand-chose. Les Français ont toujours été présents, au Kosovo, en Afghanistan en Bosnie. Je n'entends pas commenter les débats franco-français sur les rapports de la France avec l'OTAN. Mais sur le plan politique, si le retour de la France dans le commandement intégré de I'OTAN a pour conséquence que les Européens aient une voix plus importante dans l'Alliance, et il me semble que c'est le but, c'est plutôt intéressant.

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