"Le budget 2010 sera d'une extrème rigueur", Luc Frieden au sujet du budget 2010

paperJam: Monsieur Frieden, au vu des différents rapports publiés par la Banque centrale du Luxembourg, le FMI ou bien la commission parlementaire spéciale crise économique et financière, faut-il en conclure que le Luxembourg va vraiment très mal?

Luc Frieden: Tous ces documents confirment, en tous les cas, l’analyse que nous faisons et qui est que la crise économique est en effet grave. Dans la mesure où notre pays a une économie très ouverte, il est clair qu’il souffre, mais il souffre peut-être moins que d’autres, car nous avons pris, dès le début de cette crise, un certain nombre de mesures. Il y a d’abord eu le sauvetage de nos banques systémiques, pour éviter un drame économique et social, puis la mise en œuvre d’un programme de relance économique, dont profitent les PME. Par ailleurs, la situation de nos finances publiques nous permet de réaliser un certain nombre de dépenses, grâce aux réserves constituées ces dernières années.

La situation est donc grave, certes, mais nous avons mis en place un dispositif pour essayer d’en amortir les effets pour les citoyens et les entreprises.

paperJam: Ces différentes actions n’ont-elles été dictées que par l’urgence de la situation, ou bien se basent-elles sur une réflexion à plus long terme?

Luc Frieden: Il faut d’abord voir que notre capacité de prise de décision a été exceptionnelle. Dans le cadre du sauvetage des banques privées, nous avons pris des décisions plus rapides que le secteur privé n’a pu le faire.

Mais depuis le mois de septembre, et même avant, nous menons une réflexion à long terme, qui s’est traduite par la réduction des impôts afin d’éviter le ralentissement économique en donnant davantage de pouvoir d’achat aux ménages. Dans le même esprit, l’impôt sur le revenu des collectivités a été réduit en 2009, afin de permettre aux entreprises de continuer à investir.

Sur le moyen terme, nous avons pris des décisions permettant aux PME et aux artisans de remplir leurs carnets de commandes sur une perspective de deux ou trois ans.

paperJam: Et sur un plus long terme?

Luc Frieden: Il est essentiel que nous ne fassions rien qui conduise à un déficit public tel qu’il faille augmenter de nouveau les impôts. Il faut accepter un déficit qui doit rester dans les limites raisonnables fixées par l’Union européenne, en veillant à respecter les critères du pacte de stabilité et de croissance.

En outre, il s’agit de continuer à faire les efforts de promotion de l’économie luxembourgeoise pour diversifier l’économie et pour renforcer la place financière, qui reste un des principaux piliers de l’économie luxembourgeoise. Il faut le faire pendant cette période de crise afin d’être mieux positionné après la crise.

paperJam: De quelle marge de manœuvre disposiez-vous pour prendre cet arsenal de décisions?

Luc Frieden: Elle était assez grande, car nous n’avions aucune obligation de venir en aide à des entreprises privées. Si nous l’avons fait dans le cadre des banques Dexia BIL et Fortis, c’est uniquement pour préserver le système économique et financier.

Ceci étant dit, il est vrai que le soutien économique que nous pouvons mettre en œuvre est limité généralement au seul marché national. Nous avons peu d’influence dès qu’il est question d’économie internationale, où nous ne disposons que de peu d’éléments, comme l’aide aux entreprises liées au secteur automobile, par exemple. Le fait que notre Etat fonctionne bien et qu’il y a un large consensus des partenaires sociaux, réunis au sein de la tripartite, et du parlement, facilite aussi la tâche du gouvernement et lui donne une plus grande marge de manœuvre au-delà des termes financiers déjà abordés (…)

paperJam: Il n’était donc pas dans les attributions de l’Etat de tout mettre en œuvre pour sauver une entreprise aussi symbolique et ancienne que Villeroy & Boch?

Luc Frieden: L’Etat ne peut pas avoir pour mission d’intervenir dans le capital de toute société qui a des problèmes financiers. Ce que nous faisons, et nous avons déposé des propositions allant dans ce sens au parlement, c’est aider les entreprises à obtenir du crédit en introduisant des garanties étatiques.

Pour Villeroy & Boch, il faut bien voir qu’il y avait aussi un facteur "pré-crise" dû à la concurrence en provenance d’autres continents. La crise a plutôt été la goutte qui a fait déborder le vase.

Dans une telle situation, l’Etat doit, en revanche, s’occuper des problèmes sociaux qui découlent d’une telle fermeture. Nous l’avons fait au travers de la mise en place d’un certain nombre de mécanismes de maintien pour l’emploi et par le fonds pour l’emploi.

paperJam: Parallèlement, vous avez annoncé, le 13 mars dernier, un allègement du secret bancaire. Cela va-t-il aller de pair avec une révision du système de retenue à la source instauré en 2003?

Luc Frieden: Il ne s’agit pas d’un allègement, dans la mesure où nous ne modifions aucune disposition ayant trait au secret professionnel des banquiers. Nous avons juste ajouté à la coopération entre autorités judiciaires déjà existante, une coopération entre administrations fiscales dans des cas spécifiques et sur base de preuves concrètes.

L’acceptation du Luxembourg a été un instrument essentiel pour éviter un dommage de réputation considérable pour la Place. Nous avons veillé à garder la compétitivité de la Place en nous assurant que les places financières concurrentes du Luxembourg, en Europe, fassent la même démarche au même moment.

La retenue à la source résultant de la directive de 2003 n’est nullement remise en question. Elle constitue un instrument supplémentaire qui tend à éviter une non-imposition des revenus du capital des non-résidents. La Commission européenne a proposé une extension du champ d’application de cette directive, mais n’a, en aucun cas, proposé l’abolition de la retenue à la source comme mécanisme d’imposition.

Cela m’amène donc à dire que cette retenue à la source continuera à exister à côté des nouvelles règles décidées par l’OCDE et le G20. Les unes et les autres ne sont pas incompatibles.

paperJam: L’annonce du G20 de mettre le Luxembourg sur une "liste grise" n’est donc en rien une mauvaise nouvelle?

Luc Frieden: Non. Il s’agit simplement d’une question de délai dans l’application des mesures annoncées d’établissement de conventions bilatérales de non-double imposition. Nous ne pouvions, de toute façon, pas subir d’éventuelles mesures de rétorsion, puisque nous appliquons les règles internationales, ensemble avec les autres. Nous sommes en ligne avec ce qui avait été décidé à Feira, en 2000, c’est-à-dire de nous adapter aux évolutions des décisions prises dans les autres pays. Or, ces autres pays ont récemment pris des décisions allant dans le même sens. Il était dès lors évident que nous en ferions de même.

paperJam: Dans notre dernière édition, Serge Allegrezza, directeur du Statec et président du Conseil économique et social, s’inquiétait de l’absence de secteur économique fort susceptible de prendre la relève du secteur financier, si celui-ci venait à s’effondrer. Partagez-vous ce pessimisme?

Luc Frieden: Non, je ne suis pas pessimiste dans la mesure où le pays a toujours réussi à développer de nouveaux créneaux et de nouveaux marchés. Le Luxembourg n’est pas seulement un centre financier important. Nous allons évidemment le rester dans les vingt prochaines années. Mais à côté, nous développons de nombreuses autres activités dans les secteurs des médias, de la communication, de la logistique voire des biotechnologies.

Je crois en la force des décisions politiques qui soutiennent le développement économique du pays et nous trouverons des activités connexes, probablement davantage dans le secteur des services plutôt que de l’industrie lourde.

paperJam: Sera-ce suffisant pour offrir une alternative au poids du secteur financier?

Luc Frieden: Je ne suis pas de ceux qui disent qu’il faut remplacer la place financière. La concurrence est dure et nous devons redoubler d’efforts. Il ne suffit pas de travailler huit heures par jour sur ce sujet, mais véritablement s’y consacrer jour et nuit. Et c’est ce que nous faisons.

En pleine crise, j’ai fait beaucoup de déplacements à l’étranger pour continuer à promouvoir la place financière. Partout où je vais, je constate un réel intérêt de la part de gens recherchant des moyens de financement à l’échelle internationale. Il y aura toujours un besoin de gestion de patrimoine. Le meilleur gagnera et nous devons veiller à ce que la Place soit bien positionnée par rapport à d’autres pays. La crise est importante et affecte évidemment le secteur financier. Mais il y aura un "après-crise" et il s’agit de bien le préparer.

paperJam: Comment le préparer au mieux lorsque se profile une forte baisse des recettes pour 2009 et 2010?

Luc Frieden: Il s’agira de ne pas ajouter de nouvelles dépenses à celles qui sont actuellement engagées. On peut accepter un déficit à court terme pour soutenir l’économie, mais on ne peut pas accepter de nouvelles dépenses après les élections. Le budget 2010 sera un budget d’une extrême rigueur et si la crise dure, il faudra continuer à veiller à cette discipline budgétaire et revoir un certain nombre de dépenses, à l’exception des dépenses d’investissement qui constituent un soutien à l’emploi.

Il ne faudra pas avoir peur de dire "Non" à certaines revendications budgétaires faites dans les deux années à venir.

paperJam: Sur quelles pistes de réduction des dépenses travaillez-vous, concrètement?

Luc Frieden: Nous allons veiller à ce que les dépenses de fonctionnement soient moins élevées que la croissance économique. Cela sera fait à l’automne prochain, dans le cadre des travaux préparatoires du prochain budget. Nous ne voulons en aucun cas que le déficit budgétaire devienne plus important que ce qui est autorisé, afin d’éviter une augmentation des impôts ultérieurement.

paperJam: Faut-il s’attendre à un fort retour à l’inflation pour les prochaines années?

Luc Frieden: Il est encore trop tôt pour le dire. Tout cela va dépendre de la façon dont la crise se terminera, surtout du moment où elle cessera. Il y a un risque, oui, mais qui est difficile à évaluer pour l’instant tant il est impossible de prédire actuellement l’ampleur et la durée de cette crise.

Une chose est sûre, cette crise se terminera et il faudra veiller à ce que l’économie luxembourgeoise soit en pleine forme pour être parmi les meilleures à l’issue de cette crise…

paperJam: La tenue des élections le 7 juin prochain ne risque-t-elle pas d’être handicapante, sachant que la vie politique a alors tendance à s’arrêter pendant les quelques semaines qui précèdent?

Luc Frieden: Il faudra en effet veiller à ce que le processus de décision politique ne soit pas interrompu. Le gouvernement devra travailler sans relâche jusqu’au 7 juin, comme s’il n’y avait pas de campagne électorale et le nouveau gouvernement devra être mis en place le plus rapidement possible pour qu’il n’y ait pas d’interruption nocive dans le contexte des décisions qui doivent être prises quotidiennement. C’est une question de responsabilité pour tous ceux qui dirigent l’Etat avant et après les élections.

paperJam: Cela veut dire que la campagne sera allégée pour certains?

Luc Frieden: En effet, pour certains ministres, dont je fais partie, la priorité est la gestion de la crise et la préparation de l’après-crise. Tout le reste est secondaire. Nous le faisons déjà depuis quelques semaines, en refusant un certain nombre d’invitations en raison des urgences gouvernementales qui priment.

Les électeurs le comprennent. Il faut, certes, un débat entre les différents partis et nous nous battrons sur nos idées, mais nous n’aurons pas, tous, le temps d’assister à différentes manifestations en marge de l’actualité.

paperJam: On a beaucoup parlé de "crise de confiance". Avez-vous le sentiment que les électeurs, aujourd’hui, ont encore confiance en leurs institutions?

Luc Frieden: Si les citoyens ont encore confiance, dans ce pays, en quelque chose, c’est bien en l’Etat! Ils nous ont fait confiance lorsque nous sommes intervenus pour sauver les banques, puisqu’il n’y a pas eu de retrait massif des dépôts. Et s’il n’y avait pas eu de confiance, il n’y aurait pas eu une souscription massive à l’emprunt d’Etat que nous avons lancé dans la foulée.

Nous avons donc une grande confiance de la part de nos citoyens, mais nous savons qu’il faut la travailler au quotidien. Elle n’est certainement pas due.

paperJam: Le modèle social luxembourgeois est-il menacé par les conséquences à prévoir de la crise?

Luc Frieden: J’espère bien que non, car il constitue une de nos forces. Le fait qu’il n’y ait pas de grande différence entre les différentes catégories sociales facilite la gestion du pays, y compris en temps de crise. Il appartient donc à l’Etat de veiller à ce que les mécanismes de solidarité soient tels que ceux qui perdent leur emploi ne soient pas exclus de la société, ce qui aurait en effet des effets néfastes pour la cohésion sociale. Il faut donc essayer de cibler davantage la politique sociale vers ceux qui sont les victimes de cette crise.

paperJam: Faut-il dès lors envisager une redistribution des richesses?

Luc Frieden: Il faut tout le temps réfléchir sur l’organisation du système social. Je ne pense pas qu’il faille une redistribution des richesses, mais plutôt examiner où sont les vrais besoins sociaux. Il faut surtout essayer de cibler ces besoins en veillant à ce que la politique sociale de l’Etat reste compatible avec une bonne gestion des finances publiques. On ne peut pas promettre à tout le monde toute sorte de dépenses sociales si elles ne peuvent pas être financées à moyen et long terme…

paperJam: Comment vous positionnez-vous au regard de la grande polémique existant sur les politiques de rémunération des grands dirigeants et leurs bonus?

Luc Frieden: Je comprends parfaitement qu’un certain nombre de ces bonus soient considérés comme choquants. Je les considère d’ailleurs comme irresponsables de la part de ceux qui les demandent. Je ne pense pas pour autant qu’il faille envisager, au Luxembourg, une législation particulière sur ce sujet. Une bonne gestion et une bonne gouvernance devraient éviter d’arriver à de tels excès...

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