"Une revue communautaire des budgets nationaux est dans notre intérêt". Luc Frieden au sujet du mécanisme financier européen de stabilisation et de la surveillance en amont des budgets nationaux

Le Temps: Votre Premier ministre, Jean-Claude Juncker, a confirmé jeudi à Luxembourg la création aujourd'hui du mécanisme financier européen de stabilisation destiné à emprunter en cas d'urgence sur les marchés de capitaux à hauteur de 440 milliards d'euros. A quoi ressemblera-t-il?

Luc Frieden: Le travail technique nécessaire pour créer cette "Facilité de stabilité financière européenne" (European financial stability facility) est en effet terminé. Il s'agira d'une société anonyme de droit luxembourgeois dont l'activité, en cas de "défaillance" d'un Etat membre doté de la monnaie unique, consistera à emprunter des capitaux avec la garantie de tous les Etats de la zone euro, qui seront ses actionnaires à proportion de leur participation au capital de la Banque centrale européenne. Nous aurons donc là un mécanisme intergouvememental opérationnel, à objet précis: venir en aide à un Etat membre confronté à un besoin urgent de financement, comme cela fut le cas pour la Grèce. Mais il y a des règles. La première est que cette capacité d'emprunt de 440 milliards d'euros, garantie par les seize pays de l'Eurogroupe (dix-sept si l'Estonie rejoint le club comme prévu en 2011), ne sera activée qu'en deuxième ligne, si l'autre mécanisme européen mis en place, à savoir la facilité d'ajustement à la balance des paiements de 60 milliards d'euros confiée à la Commission, ne suffit pas. La seconde règle est que l'Etat demandeur présente un programme de redressement crédible et rigoureux. Nous y veillerons.

Le Temps: Présidé par Jean-Claude Juncker, l'Eurogroupe reste très contesté, au vu de la gestion de la crise grecque. Certains pays, comme la France, réclament des changements, en vue d'améliorer sa gouvernance. Qu'en pensez-vous?

Luc Frieden: L'Eurogroupe fonctionne aussi bien que ce que les Etats membres veulent bien lui concéder! Je crois pour ma part que l'urgence est de redonner de la crédibilité au Pacte de stabilité. C'est un bon instrument. Mais son aspect préventif a besoin d'être amélioré. L'erreur actuelle est que les procédures pour déficit excessif, et les éventuelles sanctions qui vont avec, ne tombent qu'après le dépassement par les Etats des critères imposés par le pacte. Il faut corriger cette erreur. L'Eurogroupe doit disposer d'instruments supplémentaires pour intervenir avant que les infractions ne soient commises.

Le Temps: Etes-vous favorable, par conséquent, à l'idée avancée par la Commission européenne d'une surveillance en amont des budgets nationaux?

Luc Frieden: Cette proposition va dans la bonne direction. Si l'on veut améliorer l'aspect préventif du Pacte de stabilité, il me paraîtrait logique qu'en début d'année les pays membres de la zone euro présentent leurs grandes orientations budgétaires à leurs partenaires. La Commission et l'Eurogroupe pourraient alors émettre un double avis, qui serait transmis aux parlements nationaux qui garderont la charge de débattre, puis de voter le détail du budget. Cette revue par les pairs est dans notre intérêt commun. Et elle se justifie pleinement, tant l'impact du dérapage budgétaire d'un Etat membre peut affecter les autres.

Le Temps: Qui dit avis dit aussi refus éventuel d'entériner un projet de budget, voire sanctions?

Luc Frieden: En cas d'orientation budgétaire problématique de la part d'un Etat membre, le fait d'émettre un avis défavorable et de le rendre public aura déjà un impact considérable. Rares sont les gouvernements qui se risqueront à affronter leur parlement après de telles remontrances. Mais il faut aussi creuser, cela va de soi, la piste des sanctions financières. L'idée de bloquer l'octroi de certains fonds européens aux Etats pris en défaut peut être une piste intéressante. Il nous faut en tout cas améliorer impérativement notre système d'avertissement. L'idée de sanctions a posteriori, lorsque les déficits et l'endettement atteignent des niveaux trop élevés, ne convient plus.

Le Temps: Le président de la BCE, Jean-Claude Trichet, est, lui, allé plus loin: il propose une fédération budgétaire européenne...

Luc Frieden: Un tel concept de droit international ne me semble pas applicable. Le pouvoir budgétaire restera toujours celui des Etats membres. Je préfère partir de l'idée qu'il faut tenir compte de l'intérêt commun dans nos prises de décision budgétaires nationales. Au sein de la zone euro, les orientations de nos finances publiques doivent être au service de la monnaie commune. Pas le contraire.

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