Jean-Claude Juncker au sujet du Conseil européen des 8 et 9 décembre 2011

Le Monde: Etes-vous favorable à une réforme des traités à vingt-sept, comme l'exige Angela Merkel, ou à un traité à dix-sept, comme le privilégie Nicolas Sarkozy?

Jean-Claude Juncker: Je suis résolument favorable à une réforme des traités à vingt-sept, ou à un traité spécifique à dix-sept si la première option n'était pas possible. Il faut d'abord se mettre d'accord sur les grands objectifs. Je suis pour un changement de traité limité, et rapide, car il s'agit de ne pas exposer nos divergences à la face du monde. De simples amendements au protocole sur les déficits excessifs ne seront pas suffisants pour renforcer l'Union budgétaire. Il faudra aller au-delà, tout en agissant vite, pour avoir bouclé la révision en mars.

Le Monde: Craignez-vous un blocage de la part du Royaume-Uni?

Jean-Claude Juncker: En échange d'une réforme à vingt-sept, il ne faut pas donner au Royaume-Uni des espaces de liberté qui lui permettent de faire ce qu'il veut en matière de régulation financière, alors que les autres centres financiers seraient davantage encadrés au sein de la zone euro. Je n'aimerais pas non plus l'idée d'avoir un traité à vingt-sept avec des dérogations pour les Britanniques sur les questions sociales.

Le Monde: Un traité à dix-sept ne signifierait-il pas l'éclatement de l'Union européenne (UE)?

Jean-Claude Juncker: Non. Depuis le traité de Maastricht, dont on fête le vingtième anniversaire, l'euro est la monnàie de l'UE.

Nous sommes politiquement et techniquement tenus de tenir compte de cet acquis. Il faudrait que les Dix-Sept puissent utiliser les institutions des Vingt-Sept. Nous n'allons tout de même pas inventer une nouvelle Commission européenne parce que le Royaume-Uni menace de saisir la Cour de justice contre l'utilisation des institutions communautaires par la zone euro. Il me semblerait par ailleurs difficile d'exclure les pays candidats à l'euro. Il faudra les associer à la prise de décision.

Le Monde: Faut-il attendre la mort de l'euro pour parler euro-obligations?

Jean-Claude Juncker: J'ai été le premier à parler d'euro-obligations en décembre 2010. Je ne voudrais pas faire croire que l'émission de dettes communes serait une solution à la crise à court terme. En dépit de l'opposition allemande, Herman Van Rompuy [le président du Conseil européen] a raison de soumettre ce sujet à notre méditation, mais une telle décision suppose certaines conditions préliminaires pour renforcer l'Union budgétaire, via des règles beaucoup plus strictes.

Le Monde: La France est-elle crédible, alors que Nicolas Sarkozy hésite à partager davantage de souveraineté, et que certains socialistes comparent M Merkel à Bismarck?

Jean-Claude Juncker: Je n'aime pas la germanophobie qui semble gagner certains milieux français. Nous n'arriverons pas à développer l'esprit de solidarité nécessaire si nous en venons à dire du mal des autres. Je ne fais pas partie de ceux qui considèrent que l'Allemagne est en train d'imposer sa domination sur l'Europe. Berlin et Paris reprennent parfois ensemble les idées que d'autres, dont moi-même, développent souvent avant elles. D'ailleurs, l'Allemagne ne peut pas se considérer comme le seul pôle de stabilité budgétaire. Au moins une dizaine de pays de la zone euro affichent un endettement inférieur au sien.

Le Monde: M. Sarkozy doit-il, à six mois des élections présidentielles, mettre sur pied un troisième plan de rigueur pour ramener le déficit en dessous des 3% en 20l3?

Jean-Claude Juncker: Je dirais, comme le premier ministre français, François Fillon, que des ajustements seront sans doute nécessaires, mais pas un troisième plan de rigueur. Il faut respecter le Pacte de stabilité. En Europe, il y a des élections partout et tout le temps. Or, c'est surtout lors des grandes échéances qu'il faut démontrer que l'on sait gouverner. Remettre à après les élections des décisions cruciales est une façon de ne pas respecter les citoyens. Je ne doute pas un instant que le gouvernement français saura prendre les décisions qui vont s'imposer indépendamment des échéances électorales.

Le Monde: Appelez-vous les socialistes français à soutenir cette politique de rigueur?

Jean-Claude Juncker: Dans d'autres circonstances, nous avons demandé aux Grecs, aux Portugais et aux Irlandais de forger un consensus national pour redresser leur pays. La situation de la France n'est aucunement comparable à ces trois Etats sous assistance. Mais si de grandes décisions doivent être prises, elles impliquent pour les opposants de ne pas se soustraire aux efforts demandés.

Le Monde: La refonte du mécanisme permanent de sauvetage est à l'ordre du jour du sommet. Ses moyens doivent-ils être cumulés à ceux du Fonds européen de stabilité financière (FESF)?

Jean-Claude Juncker: Nous ne pouvons pas échapper à ce genre de réflexions. Il nous faut examiner la meilleure façon de renforcer les pare-feu mis en place. La France et l'Allemagne proposent par ailleurs, après nous, de casser la règle de l'unanimité dans les dispositifs de sauvetage. La plupart des pays de la zone euro y sont favorables, d'autres, comme la Finlande, les Pays-Bas et la Slovaquie, sont très sceptiques. C'est une bonne chose de décider que le secteur privé ne sera plus systématiquement associé au sauvetage. La restructuration de la dette grecque doit rester un cas uniqtie.

Le Monde: M. Van Rompuy propose de donner une licence bancaire au FESF, au risque de relancer la bataille sur le rôle de la Banque centrale européenne (BCE)?

Jean-Claude Juncker: Je ne veux pas préjuger des discussions. La BCE est indépendante, comme l'ont rappelé Mme Merkel et M. Sarkozy. Il serait sage que les chefs d'Etat et de gouvernement n'abordent pas publiquement le sujet. La BCE aura faire ce qu'elle doit faire au fil des circonstances.

Le Monde: Les Européens veulent accroître les ressources du Fonds monétaire international (FMI), via leurs banques centrales nationales. Est-ce une bonne idée?

Jean-Claude Juncker: Ce n'est pas une solution miracle. Le FMI ne souhaite pas s'engager en Europe au-delà du tiers des plans de sauvetage, Il ne va pas changer ses règles pour les beaux yeux des Européens. L'essentiel des efforts doit être pris en charge par les pays membres de la zone euro.

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