François Bausch au sujet de la mise en oeuvre de projets par son ministère

"Faire le forcing dès le début"

Interview: Olivier Tasch

Le Jeudi: Avec cette première expérience gouvernementale n'est-ce pas trop difficile de se plier aux exigences de la realpolitik?

François Bausch: Je m'y suis déjà exercé pendant huit ans au conseil échevinal de la capitale. Certes, désormais c'est un niveau au-dessus. Et je suis positivement surpris des réelles possibilités dont nous sommes dotés au niveau gouvernemental. Je m'attendais à plus de chicaneries et de barrières. Il faut évidemment respecter le programme de coalition, faire passer les projets par le conseil de gouvernement et bien entendu par la Chambre. Mais il y a plus de marge que je ne le pensais. En fait, tout dépend beaucoup de l'implication politique et du risque que l'on est prêt à prendre. A la différence du travail d'opposition, au gouvernement il faut convaincre, c'est compliqué, on lance une idée, il y a des réticences, il faut emprunter un chemin éprouvant pour fédérer non seulement à la Chambre mais aussi dans la population. C'est moins confortable, épuisant et cela prend énormément de temps. Mais ce stress est supportable et j'assume cette charge avec plaisir parce que je constate que les choses avancent.

Le Jeudi: C'est également un moment historique pour votre parti, les Verts, qui participent pour la première fois de leur histoire à un gouvernement...

François Bausch: Pour les Verts c'est un grand défi. Evidemment, le parti a dû se réorganiser pour se retrouver lui-même dans cette nouvelle situation. Les liens entre les membres du gouvernement, la fraction, le parti fonctionnent bien. On peut affirmer que le processus de maturité du parti est définitivement terminé. C'est aussi une chance pour les Verts. En participant au gouvernement nous pouvons démontrer notre capacité à appliquer concrètement nos idées. Et sans vouloir nous lancer des fleurs, si je regarde le bilan des neuf premiers mois, les ministres verts ont énormément travaillé. Ce n'est pas pour rien que l'on entend çà et là que nous avons initié beaucoup de projets. Cela tient peut-être à notre envie de vouloir changer le monde en deux jours, même si ce n'est pas toujours possible. Mais cela crée une dynamique et nous voulons prouver que ce que nous entreprenons est cohérent. Ce qui manque encore peut-être un peu, c'est l'esprit critique du parti, c'est là où nous devons trouver l'équilibre. Evidemment, le parti porte le travail du gouvernement, mais il doit rester un laboratoire d'idées, pas forcément par rapport au programme gouvernemental mais sur les questions sociétales en général.

Le Jeudi: Les deux projets emblématiques que sont le tram et les plans sectoriels ont été présentés très rapidement. Vous vouliez marquer les esprits?

François Bausch: Mon objectif c'est que la Chambre vote les grands projets d'infrastructures dans la première année et demie de mon mandat. Il reste encore la ligne ferroviaire de Bettembourg, les radars, les réformes du contrôle technique et du permis à point, du secteur des taxis, la loi sur les pistes cyclables. J'aimerais que tous ces projets soient votés au plus tard avant l'été 2015.

Le Jeudi: Vous faites un peu le forcing!

François Bausch: C'est mon but de faire le forcing dès le début, parce qu'après ça, je peux travailler "tranquillement" à la mise en oeuvre. Si le processus législatif n'est pas achevé après un an et demi, alors je n'arriverais pas à appliquer les projets au cours de la législature. Le tram à lui seul est un énorme challenge. La loi est votée. Ce mois-ci, nous créons la société anonyme avec la Ville de Luxembourg et puis c'est parti! A l'automne, les travaux commencent avec le déboisement dans le Gréngewald pour le centre de remisage.

Le Jeudi: Le tram est un bon exemple de projet qui ne fait pas l'unanimité...

François Bausch: Je prends le pari avec tous ceux qui sont contre que lorsque le tram roulera, il ne viendra plus à l'idée de quiconque de remettre le projet en cause!

Le Jeudi: Pour ce qui est des plans sectoriels, un des reproches consiste à dire qu'ils sont axés avant tout sur la croissance et moins sur la qualité de vie. Que répondez-vous à cela?

François Bausch: Le débat sur la croissance est justifié. Mais jusqu'ici, je n'ai entendu personne dire qu'il ne faut pas créer des emplois ou que nous devons stagner. En tant que société il faut se poser la question de la croissance parce qu'on ne peut pas croître à l'infini. Mais à ce stade, on ne peut pas se baser sur une ambition qui serait de ne pas croître. Il faut être réaliste, rien que les infrastructures que nous construisons, le tram, le réseau ferroviaire ou même les éoliennes créent de la croissance. D'ailleurs, même si nous voulions régler la question, nous ne pourrions pas le faire seuls. Ce débat de la croissance doit être mené au plan international, un petit pays comme le nôtre ne peut pas régler cette question de manière isolée. Les plans sectoriels se fondent sur un Luxembourg en croissance. Mais on essaye de rectifier le tir par rapport à ce qui a été mal conçu au cours des trente dernières années. Il faut croître de manière plus ordonnée, ne pas continuer à découper les paysages, créer des liens entre mobilité, logement et zones d'activités. Ce cadre réglementaire ramènera de l'ordre. 700.000 habitants ce n'est pas un problème pour le pays, mais cela peut me faire peur si on continue avec les recettes qui ont cours depuis trente ans.

Le Jeudi: Les plans sectoriels réduiraient également l'autonomie communale...

François Bausch: L'autonomie communale est importante je suis le premier à la défendre, mais ce n'est pas un dogme. L'intérêt général et national prime. C'est dans ce sens que sont définis les plans sectoriels, il s'agit d'un cadre réglementaire général, et d'ailleurs les communes en profiteront. L'autonomie communale ne signifie pas que les communes sont déconnectées du reste du pays. Il y aura une série de règles qui sont dans l'intérêt national et permettront de mieux fonctionner ensemble. Ce n'est pas que les communes ne pourront plus rien faire toutes seules. Pour moi une perte d'autonomie, ce serait, par exemple, le fait qu'une commune ne puisse plus rien développer sans en demander préalablement l'autorisation à l'Etat.

Le Jeudi: Parmi les nombreux projets dont vous avez la charge, il y a la question des parkings P+R de part et d'autre de la frontière. Il y a notamment des projets côté belge. Où en sont les négociations?

François Bausch: Je suis allé voir un projet privé du côté de Sterpenich matis il n'a pas retenu mon intérêt. En revanche, il y a un projet de la SNCB à Arlon (NDLR: gare de Vivifie) que nous avons décidé de soutenir. Dans un premier temps, il y aurait 500 places et je suis convaincu qu'elles seront toutes rapidement occupées. Mais de toute façon, il y a suffisamment d'espace pour offrir jusqu'à 10.000 places! Nous devrions donc desservir cette gare avec trains, ce qui n'est pas un souci majeur. La question de la tarification est un peu plus délicate, nous cherchons un compromis acceptable pour tout le monde...

Le Jeudi: Comment réagissez-vous à l'annonce de la fermeture de la centrale turbine gaz -vapeur d'Esch-sur-Alzette?

François Bausch: C'est la preuve qu'à l'époque, il aurait mieux valu écouter Greenpeace et les Verts. Construire ce "machin" gigantesque fondé sur une technique de dinosaure était dès le départ inintéressant. C'était clairement un mauvais investissement. Il y avait une certaine euphorie autour de l'autonomie énergétique - qui est évidemment souhaitable - mais là, on avait misé sur le mauvais cheval, c'est évident.

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